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Le secteur du ciment est en pleine évolution. La consommation croît, tirée par la demande des pays émergents ; presque partout, la concentration des acteurs s'accentue. La production reste fondamentalement locale, sauf pour certains marchés fragmentés comme ceux d'Afrique subsaharienne. Là, l'intervention des institutions financières de développement doit permettre de dynamiser le secteur, de promouvoir les innovations et les normes internationales environnementales.

Le ciment est un matériau essentiel pour la construction, qui est un des premiers secteurs d'activité au monde et un des employeurs les plus importants. D'importance vitale pour le logement et les infrastructures de base, la filière ciment joue un rôle clé dans le développement économique et la réduction de la pauvreté des pays émergents. Cependant, l'industrie cimentière est aussi un des plus gros émetteurs de dioxyde de carbone et a d'importants impacts sociaux et environnementaux. Très capitalistique, elle requiert de lourds investissements qui nécessitent des financements et une rentabilité sur le long terme. Enfin, ce secteur, très énergivore, dépend des cycles de l'économie et de la santé du secteur de la construction ; cela rend les charges d'exploitation et le chiffre d'affaires très volatiles. Dans ce contexte, les institutions financières de développement (IFD) jouent un rôle crucial dans le soutien aux projets cimentiers sur les marchés émergents. Par leur participation et leurs conditions d'accès au financement, elles peuvent rendre les projets cimentiers plus durables et favoriser les innovations. Car le secteur mondial du ciment, depuis 20 ans, connaît de profonds bouleversements : la consommation évolue, les flux commerciaux se redessinent, les normes de rentabilité changent, alors que les impératifs environnementaux et sociaux doivent nécessairement être pris en compte.

 

Marchés émergents, locomotives de la consommation de ciment

La consommation mondiale de ciment a plus que doublé en 15 ans ; elle est de 2,96 milliards de tonnes (Mdt) en 2009 et devrait atteindre 3,2 Mdt en 2010. La Chine demeurait en 2010 le premier producteur et consommateur mondial de ciment avec environ 1,8 Mdt – soit à peu près 56 % de la consommation mondiale – suivie de l'Inde (205 millions de tonnes). On estime que les marchés émergents consomment aujourd'hui 90 % de la production de ciment, contre 65 % il y a vingt ans. Selon les analystes du secteur, la consommation mondiale de ciment devrait croître régulièrement jusqu'en 2030- 2050, pour culminer autour de 5 Mdt (Betts, 2011 ; Codling, 2010). Dans cet intervalle, la consommation de la Chine pourrait être ramenée  au-dessous de 1,4 Mdt, tandis que celle de l'Inde pourrait atteindre 800 millions de tonnes (Mt). La consommation de ciment suit une courbe « en cloche », qui atteint son plus haut niveau en phase de maturité – la Chine pourrait être en train d'aborder cette phase alors que l'Inde est encore en phase de croissance initiale – et décroît ensuite pour rejoindre un niveau de consommation asymptotique. Le ciment ayant un faible ratio valeur/ poids entrainant des coûts de transport élevés, la production cimentière reste avant tout locale : 95 % en moyenne du ciment consommé dans le monde est utilisé dans le pays de production. Pour être compétitifs, les cimentiers installent généralement leurs unités de production à proximité d'importantes réserves de calcaire et d'argile offrant un accès aisé à une source d'énergie fiable (électricité et combustibles). Néanmoins, dans les pays en phase précoce de développement – surtout sur les petits marchés fragmentés comme en Afrique subsaharienne –, les importations de ciment peuvent avoisiner 30 à 40 % de la consommation nationale.

 

Leaders de l'offre et de la demande cimentière

Les échanges internationaux, qui représentent environ 5 à 6 % de la consommation mondiale de ciment, ont clairement subi le contrecoup de la crise financière mondiale. Après le déclin brutal de la consommation de ciment dans la plupart des pays développés – jusqu'à plus de 40 % aux États-Unis et en Espagne1, par exemple –, le volume des échanges n'atteignait plus que 110 à 115 Mt en 2009-2010, soit environ 3,7 % de la production mondiale. Les cinq plus grandes multinationales se partagent approximativement 50 % des échanges commerciaux mondiaux – une part de marché qui croit avec la concentration du secteur. Le reste des échanges repose sur des négociants indépendants, qui vendent généralement au-dessous des prix de marché, profitant des excédents ou des pénuries périodiques et des faibles coûts de transport. En 2009, avec 18 Mt de ciment et de clinker exportées, la Turquie a devancé la Chine en se plaçant au premier rang des exportations mondiales. Cette année-là, la Chine a exporté 16 Mt environ, suivie de la Thaïlande avec 14 Mt, du Japon avec 11 Mt et du Pakistan avec 10 Mt. Concernant les importations, l'Irak venait en première position en 2009 avec 8 Mt importées, suivi du Nigeria (7 Mt), des États-Unis (6 Mt), du Bangladesh (5 Mt), et de l'Angola avec 4 Mt (Cembureau, 2010). La consommation de ciment dépend de l'activité du secteur de la construction, laquelle, sur les marchés émergents, se concentre surtout sur le logement (plus de 60 à 70 %). La demande de logements est elle-même alimentée par une forte croissance démographique et par l'urbanisation. L'Afrique subsaharienne par exemple – qui se caractérise par une population jeune, une croissance démographique de 2,5 % par an et un taux d'urbanisation de seulement 40 % – devrait compter dix villes de plus de trois millions d'habitants en plus dans les cinq ans à venir. Dans les pays en développement ayant un faible PIB par habitant (inférieur à 1 500 dollars) et une faible consommation de ciment par habitant (moins de 100 kg), le taux de croissance annuel composé2 de la consommation est étroitement corrélé à la croissance du PIB, avec un ratio bêta supérieur à 1,5 : la consommation de ciment dans ces pays augmente de plus de 7 % en moyenne chaque année.

 

Un secteur dominé par quelques majors

La concentration du secteur cimentier s'est amorcée en Europe dans les années 1970 pour s'étendre ensuite aux Amériques dans les années 1980. Elle n'a pas encore véritablement touché l'Asie, la Russie et le Moyen-Orient (Figure 1).

Alors que les six premiers cimentiers contrôlaient environ 10 % de la production mondiale en 1990, leur part avoisine 25 % aujourd'hui (et 45 % si l'on exclut la Chine). Le gouvernement chinois encourage la consolidation d'une industrie nationale très morcelée 3; d'importants acteurs apparaissent, comme Anhui Conch et CNBM, chacun ayant des capacités de production de plus de 120 Mt. Les statistiques financières de 2009 des plus grands cimentiers montrent que les grands groupes internationaux sont dans une situation financière difficile (Tableau 1).

Les objectifs sectoriels habituels seraient un ratio EBITDA/chiffre d'affaires de 25 %, un ratio dette financière nette/EBITDA 4 inférieur ou égal à 2,5 et un ratio dette financière nette/capitaux propres de 50 % ou moins. Outre la concentration horizontale, les cimentiers poursuivent leur intégration verticale dans le béton prêt à l'emploi et les agrégats, d'importance stratégique pour renforcer leur compétitivité et afin d'être mieux informés des besoins des clients et de concevoir des produits et services innovants. Positive pour les prix du ciment, cette évolution est bénéfique aux chiffres d'affaires et aux marges ; elle réduit aussi la cyclicité des résultats. Si l'on compare les ratios de rentabilité types pour les différents segments de matériaux de construction dans lesquels les acteurs internationaux ont des activités, le ciment est le plus rentable (Figure 2).

 

Impacts sur la croissance et l'environnement

L'industrie du ciment est très capitalistique et exige des financements à long terme auxquels il est difficile d'accéder dans les pays en développement. À travers leurs investissements, les IFD contribuent à la production locale de ciment, ce qui réduit le besoin d'importations coûteuses et de flux étrangers, mais renforce aussi la concurrence et aide à baisser les prix pour les consommateurs - extrêmement variables selon les pays (Figure 3).

En favorisant donc la disponibilité des matériaux de construction, les IFD participent au dynamisme du secteur. La capacité des pays en développement de construire les infrastructures et les logements dont ils ont besoin pour réduire la pauvreté et soutenir la croissance dépend, à son tour, de la bonne santé du secteur de la construction. Enfin, de meilleures infrastructures conduisent à la croissance du PIB, créent des emplois, renforcent les PME et encouragent les autres investisseurs étrangers. Pour favoriser ces impacts positifs, la Société financière internationale (SFI), avec d'autres institutions, prend de véritables risques, allant jusqu'à réaliser des investissements de démarrage dans le secteur cimentier dans des pays sortant de conflits, comme l'Irak, la Bosnie-Herzégovine, le Liberia, la Sierra Leone et le Yémen. Réduire l'empreinte carbone du ciment Les normes très rigoureuses des IFD en matière de développement durable aident donc les entreprises qu'elles financent à réduire leur empreinte écologique, à renforcer leurs actions en matière de responsabilité sociale et à améliorer leur gouvernance. De fait, le développement durable est devenu une donnée incontournable dans les pays émergents, où les politiques et les autorisations peuvent fluctuer, où les entreprises sont souvent exposées à de sévères critiques de la part des militants préoccupés par les aspects sociaux et environnementaux des projets en site vierge ou des projets d'extension. Très gourmande en énergie, la production de ciment représente 5 à 6 % des émissions de dioxyde de carbone d'origine anthropique. Sur ces émissions, à peu près 55 % sont directement liés au procédé de calcination du calcaire, 35 % aux combustibles utilisés dans les fours et 10 % à la consommation d'électricité. Actuellement, il n'existe pas d'alternative viable au ciment. Il faut noter tout de même que certains projets de recherche-développement prometteurs pourraient aboutir un jour à la commercialisation de matériaux de substitution, à faible teneur en carbone (par exemple Novacem, Calera). Toutes les IFD, quoi qu'il en soit, sont de plus en plus prudentes (et donc sélectives) ; elles sont très attentives à l'efficience énergétique et à la maîtrise de l'impact sur le changement climatique des nouveaux projets. À ce titre, elles analysent systématiquement l'empreinte carbone des projets, privilégient les meilleurs pratiques et les techniques les plus innovantes et étudient les mesures d'atténuation proposées pour réduire les émissions de dioxyde de carbone. La SFI a élaboré un ensemble de critères pour les projets qu'elle finance, excluant les techniques les moins efficaces (par ex. les fours verticaux et les fours longs en voie humide et en voie sèche). Elle encourage par ailleurs la limitation des émissions de dioxyde de carbone à un maximum de 650 à 750 kg par tonne de ciment5. L'une de ces mesures consiste à augmenter l'utilisation du ciment avec ajouts, à moindre teneur en clinker, pour qu'il représente de 65 à maximum 85 % du total – les variations sont dues à la réglementation et aux particularités locales. Une autre série de mesures consiste à améliorer le processus de production afin de réduire la consommation d'énergie. Il est en effet possible de réduire la consommation de combustibles dans le processus de production, avec un objectif de consommation de 2 900 à 3 300 joules par tonne de clinker6, ou encore de limiter la  consommation d'électricité pour la production de ciment (avec un objectif de 75 à maximum 105 kWh par tonne de ciment produit). Enfin, la SFI encourage le recours aux combustibles renouvelables et aux combustibles de substitution à chaque fois qu'il en existe localement (biomasse, pneumatiques, déchets municipaux, énergie solaire, éoliennes). Le fort impact du ciment sur le développement, l'augmentation de la demande dans les pays en développement et les besoins de capitaux à long terme en font un secteur d'intervention privilégié pour les IFD. Celles-ci doivent cependant tenir compte des importantes émissions de dioxyde de carbone associées à sa production et intégrer dans leurs critères d'investissement les mesures nécessaires pour les limiter.

 

1 Les États-Unis et l'Espagne étaient les premiers importateurs en 2006-2007, avec plus de 45 millions de tonnes importées à eux deux. En 2009-2010, leurs importations n'étaient plus que de 8 millions de tonnes environ.
2 Le taux de croissance annuel composé est un terme de gestion et d'investissement qui indique le gain annualisé lissé d'un investissement sur une période donnée.
3 Parmi plus de 2 000 entreprises, les six plus grandes contrôlent moins de 25 % des capacités cimentières chinoises.
4 Earnings before Interest, Taxes, Depreciation, and Amortization : il s'agit des revenus avant intérêts, impôts et taxes, dotations aux amortissements, provisions sur immobilisations – mais après dotations aux provisions sur stocks et créances clients.
5 En 2008, le niveau moyen des émissions de dioxyde de carbone des entreprises communiquant leurs données à l'Initiative ciment pour le développement durable du World Business Council for Sustainable Development (WBCSD) était de 745 kg (comprenant les émissions dues à la production d'électricité).
6 Objectif correspondant au projet de BREF (meilleures techniques disponibles – Best REFerences) élaboré en 2009 pour le secteur cimentier par le Bureau européen IPPC (Integrated Pollution Prevention and Control).

 

Références

Betts, M., 2011, Cement International Industry, Jefferies International Ltd., note de travail, février. / Codling, A., 2010, European Building Materials Briefing, J.P.Morgan Cazenove, mai. / Cembureau,2010, Activity Report 2009, juin. / European Integrated Pollution Prevention and Control Bureau (IPPC), 2009, draft Best Available Techniques (BAT) for the cement sector, février. / Exane BNP Paribas, 2010, Industry Outlook and Results, septembre. / Folliet, M., 2008, IFC's role in the emerging markets. Emerging Market Report, février. / International Cement Review, 2009. Global Cement Report, février.

Michel Folliet

Département “Matériaux de construction”
SFI

Parcours

Diplômé de l'École centrale de Lyon et titulaire d'un MBA de l'université George Washington, Michel Folliet a rejoint en 2006 le département “Matériaux de construction” de la Société financière internationale (SFI). Auparavant, au cours de 25 ans de vie professionnelle dans le secteur du ciment, il a occupé de nombreuses fonctions (de directeur de projet à directeur général pays) que ce soit en France, aux États-Unis, au Venezuela, au Bangladesh, en Malaisie et au Cameroun.

SFI

Membre du Groupe de la Banque mondiale, la SFI est la plus grande institution internationale de développement exclusivement consacrée au secteur privé dans les pays en développement. La SFI utilise et mobilise ses produits et services pour proposer des solutions de développement adaptées aux besoins de ses clients. Ses ressources financières, son expertise technique, son expérience internationale et sa culture de l’innovation sont mises à profit pour aider ses partenaires à surmonter les difficultés financières, opérationnelles ou politiques. Au cours de l’exercice 2016, la SFI a engagé dans le monde 1 milliard de dollars sur des investissements dans des pays en situation de fragilité et de conflits (FCS), dont 250 millions de dollars en Afrique.

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