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Alors que tous les pays sont confrontés à des problèmes de santé, la situation est plus grave dans les pays les plus vulnérables. Tout en continuant à lutter contre les grandes maladies transmissibles, les problèmes de santé maternelle et infantile, ces pays doivent également supporter le fardeau de plus en plus lourd des maladies non transmissibles. Dans ce contexte, le passage à une couverture maladie universelle est devenu un objectif essentiel pour le renforcement des systèmes de santé.

Les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) doivent être atteints d’ici moins de 1 000 jours. Établis pour orienter les efforts mondiaux en matière de développement, ces objectifs sont assortis de cibles quantifiables pour mesurer le degré de progression dans les différents secteurs (Nations Unies, 2000). La santé constitue un domaine à part entière du programme des OMD (Tableau 1), mais elle intervient également indirectement dans les autres objectifs.

la couverture universelle 1Elle est considérée comme étant essentielle à la mise en place d’un développement socio-économique équitable, tant au niveau des individus qu’au niveau des pays (Banque mondiale, 1993 ; OMS, 2001 ; Bloom et alii, 2011). Bon nombre de pays, parmi les plus vulnérables, ont vu récemment leur situation sanitaire évoluer positivement. Ainsi, entre 1990 et 2011, le taux mondial de mortalité des moins de cinq ans a reculé de 41 % et le ratio de mortalité maternelle de 47 % entre 1990 et 2010. Les progrès les plus spectaculaires proviennent de la région du Pacifique occidental de l’OMS (Figure 1).

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Beaucoup de pays ont également accompli de notables progrès dans le traitement et le contrôle de certaines grandes maladies, telles que le VIH/Sida, la tuberculose et le paludisme. Le nombre de personnes vivant avec le VIH et ayant accès aux traitements antirétroviraux a ainsi progressé de 63 % entre 2009 et 2011 (ONUSIDA, 2012). Le taux de mortalité par tuberculose a, lui, chuté de 41 % au niveau mondial depuis 1990 (OMS, 2012). Ces résultats impressionnants ne doivent toutefois pas masquer les disparités existantes entre différentes régions du monde et au sein de chaque pays. Plusieurs pays vulnérables n’atteindront probablement pas les objectifs du Millénaire (Nations Unies, 2012A). Ils sont par ailleurs confrontés à des problèmes de santé qui ne sont pas directement pris en compte par les OMD. En effet, le poids des maladies non transmissibles générées par les évolutions épidémiologiques et démographiques s’accroît. Selon les estimations, 80 % des décès par maladies non transmissibles se produisent dans des pays à revenus faibles ou moyens et concernent une population plus jeune qu’ailleurs : 29 % de ces décès se produisent avant 60 ans, contre 13 % dans les pays à revenus élevés (OMS, 2011).

Identifier les besoins des systèmes de santé

Dans beaucoup de pays en développement, les systèmes de santé sont sous-développés.Cela s’explique par des choix d’investissement privilégiant les soins spécialisés au détriment des soins primaires, mais aussi par la pénurie globale de professionnels de santé et la difficulté à les maintenir dans les régions reculées. En 2006, le déficit était évalué à 4,3 millions de professionnels de santé ; 57 pays (dont 39 en Afrique) comptent moins de 23 professionnels pour 10 000 habitants (OMS, 2006). Lorsque les moyens sont limités, des contraintes structurelles (comme des infrastructures inadaptées, par exemple) pèsent sur la qualité des soins de santé. Les systèmes d’information sanitaire sont par ailleurs souvent dans l’incapacité de fournir les données qui permettraient de procéder aux ajustements et aux réformes des politiques de santé qui s’imposent. Le coût des médicaments, leur disponibilité et leur qualité sont aussi problématiques dans nombre de pays vulnérables1.
D’autres problèmes affectent les systèmes de santé dans leur ensemble, de manière transversale. Les mécanismes mêmes de financement de la santé sont parfois iniques : dans certains pays, ils font peser le coût des soins directement sur les ménages. Par ailleurs, l’accès aux services est inégal. Enfin, les causes de l’inefficacité des systèmes de santé sont nombreuses, qu’il s’agisse d’une mauvaise efficacité technique ou d’une faible efficacité allocative – comprise ici comme l’ensemble des interventions de santé assurées au bon moment et au bon endroit qui permettent d’améliorer sensiblement la santé de la population au regard des ressources disponibles.

Des ressources insuffisantes

Le fardeau que représentent les maladies dans les pays les plus vulnérables est encore alourdi par le faible niveau des revenus nationaux, le caractère informel des économies et les ressources limitées – autant de facteurs qui restreignent la capacité des pays à agir sur les grands problèmes de santé et les facteurs de risque. Un rapport de 2009 édité par le High Level Task Force for Innovative International Financing for Health Systems estimait que, d’ici à 2015, les pays à faibles revenus devraient en moyenne consacrer 60 dollars par personne et par an pour assurer la couverture d’un ensemble relativement limité de soins de base – aujourd’hui, ils n’y consacrent en 2010 que 32 dollars par habitant2 (Figure 2).

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Les dépenses totales de santé sont calculées en prenant en compte à la fois les dépenses qui sont à la charge des ménages pour l’accès aux services de santé, les fonds résultant de la mise en commun de cotisations prépayées (impôt, autres recettes publiques ou primes d’assurance) et les fonds externes dans les pays bénéficiant d’une aide internationale pour la santé. Lorsque les systèmes de cotisation et de mutualisation sont peu développés, les patients n’ont pas d’autre recours que de les payer de leur poche. Ces dépenses peuvent les conduire au-dessous du seuil de pauvreté. Elles en découragent d’autres de se faire soigner ou de poursuivre leur traitement. Les pays les plus pauvres, en raison du faible montant de leurs dépenses publiques pour la santé, sont ceux où les frais de santé pèsent le plus sur les ménages : elles représentent près de 50 % des dépenses totales de santé dans les pays à faibles revenus, contre 30 à 35 % dans les pays à revenus moyens et 20 % dans les pays à revenus élevés.
Les dépenses publiques consacrées à la santé dans les pays à faibles revenus – qu’elles soient exprimées en valeur absolue ou rapportées au PIB – restent généralement très faibles. Elles s’élèvent en moyenne à 2,4 % du PIB et à 12 dollars par habitant dans les pays à faibles revenus3, contre 6,8 % du PIB et 2 400 dollars par habitant dans les pays de l’OCDE. Très peu de pays de l’Union africaine ont consacré 15 % de leur budget à la santé, comme ils s’y étaient engagés lors de la déclaration d’Abuja en 2001 (Organization of African Unity, 2001).
Le financement externe par les partenaires de développement est crucial pour combattre l’insuffisance des ressources en matière de santé. Le niveau de ces financements pour la santé a pratiquement triplé entre 2000 et 2011, passant de 11 à 28 milliards de dollars. Il est absolument nécessaire que les efforts internationaux pour soutenir les pays dont les ressources sont les plus limitées se poursuivent. Cependant, au regard des objectifs à long terme, ce sont les efforts des États eux-mêmes pour renforcer leurs systèmes de santé et leurs financements internes qui détermineront si l’on parviendra ou non à l’instauration d’une couverture universelle et à l’amélioration des résultats en matière de santé.

Le rôle du secteur privé  dans la mise en place des stratégies visant une couverture universelle de santé

La couverture universelle de santé est la finalité du renforcement des systèmes de santé. Elle repose sur deux piliers : que tout le monde puisse avoir accès à des soins de qualité (qu’ils soient relatifs à des traitements ou à de la prévention), et que le paiement de ces soins ne provoque pas un choc financier pour le ménage. Les mécanismes de contribution obligatoire, basés sur le pouvoir de taxation des États, visent à distribuer la charge financière équitablement au sein de la population et à rendre les soins de santé accessibles et abordables pour tous. Le financement public est donc essentiel pour la mise en place d’une couverture universelle des soins de santé. Les mécanismes de financement volontaire (assurance maladie privée) complèteraient, dans certains contextes, le financement public et aideraient à réduire les dépenses à la charge des ménages. Ils pourraient toutefois entraver le financement croisé entre différents groupes de population – et rendre le système de financement moins équitable. S’agissant de l’offre de services, les réponses sont bien moins évidentes. Si le rôle de régulateur de l’État dans ce domaine constitue l’une des pierres angulaires d’un système de santé fonctionnant correctement, la plupart des pays ont adopté un modèle d’organisation des services de santé mixte. Dans ce domaine, aucun des deux secteurs, privé ou public, ne semble intrinsèquement supérieur à l’autre. La question principale n’est donc pas de savoir s’il faut favoriser l’un plutôt que l’autre, mais bien de trouver le meilleur équilibre entre privé et public afin d’assurer disponibilité, accessibilité, efficacité, équité et qualité des services. Le rôle du secteur privé dans le renforcement d’un système de santé – et, de là, dans la mise en place d’une couverture universelle -, dépend de son impact sur les principaux critères de performance (équité, efficacité et qualité). Si l’offre de soins du secteur privé a parfois été considérée comme plus efficace et d’une meilleure qualité, les indications disponibles ne permettent pas vraiment de conclure – les résultats variant considérablement selon le contexte (Basu et alii, 2012 ; Montagu et alii, 2011). La stratégie consistant à utiliser des financements publics pour confier l’offre de services de santé au secteur privé a été employée par beaucoup de pays (Liu et alii, 2007). C’est le cas, par exemple, de nombreux pays africains subsahariens tels que le Bénin, le Ghana et la Zambie. Ils ont fait appel à des prestataires privés à but non lucratif qui, moyennant des financements publics (pour les salaires, les médicaments et les consommables), assurent des services de santé dans les régions où les services publics correspondants sont inexistants ou irréguliers. Cette stratégie pourrait donner aux gouvernements une plus grande souplesse dans l’allocation des ressources, en évitant certaines rigidités du secteur public – en même temps qu’elle leur permettrait de se concentrer sur leurs fonctions essentielles : la gouvernance et la régulation.
Le chemin vers la couverture universelle des soins de santé impose de progresser en même temps sur plusieurs fronts. Ce qui importe, au final, c’est la manière dont les différentes composantes du système de santé participent à la mise en place d’une telle couverture, en garantissant et en encourageant l’accès aux services de santé, leur qualité, la protection contre les risques financiers, l’équité et l’efficacité.

Notes de bas de page

¹ Les données disponibles concernant les pays à faibles revenus et à revenus moyens pour la période 2007-2011 montrent que – en dépit des initiatives internationales reposant sur des financements publics et privés tels que le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme et UNITAID -, la disponibilité d’une sélection de médicaments essentiels était, en moyenne, de 51,8 % dans les établissements de santé publics et de 68,5 % dans les établissements privés (Nations unies, 2012B)
² Cette somme couvre l’ensemble des sources de financement, internes et externes. Ces dernières représentent en moyenne 28 % des dépenses totales de santé de ces pays.
³ Les chiffres des dépenses publiques de santé indiqués ici incluent une part des dépenses de santé provenant de sources externes mais gérées et déboursées par les autorités publiques.  

Références / Banque mondiale, 1993. Rapport sur le développement dans le monde : Investir dans la santé. Washington DC. / Basu, S., Andrews, J., Kishore, S., Panjabi, R., Stuckler, D., 2012. Comparative Performance of Private and Public Healthcare Systems in Low- and Middle-income Countries: A Systematic Review. PLoS Med. / Bloom, D.E., Cafiero, E.T., Jané-Llopis, E., Abrahams-Gessel, S., Bloom, L.R., Fathima, S., Feigl, 2011. The Global Economic Burden of Noncommunicable Diseases. Genève ; Forum Economique Mondial. / High Level Task Force for Innovative International Financing for Health Systems, 2009. More money for health, and more health for the money: final report. Geneva: International Health Partnership. / Liu, X., Hotchkiss, D., Bose, S., 2007. The impact of contracting-out on health system performance: a conceptual framework. Health Policy. / Montagu, DD., Anglemyer, A., Tiwari, M., Drasser, K., Rutherford, GW., Horvath, T., Kennedy, GE., Bero, L., Shah, N., Kinlaw, HS., 2011. Private versus public strategies for health service provision for improving health outcomes in resource-limited settings. Global Health Sciences, Université de Californie, San Francisco. / Nations Unies, 2000. 55ème session de l’assemblée générale des Nations unies, Résolution A/ RES/55/2: « Déclaration du Millénaire ». / Nations Unies, 2001. First annual report based on the ‘Road map towards the implementation of the United Nations Millennium Declaration’, document A/56/326 (6 septembre 2001). / Nations Unies, 2002. Implementation of the United Nations Millennium Declaration: Report of the Secretary-General. Document A/57/270. 31 Juillet 2002. disponible à l’adresse :  http://www.un.org/millenniumgoals/sgreport2002.pdf / Nations Unies, 2012A. The Millennium Development Goals Report 2012. New York / Nations Unies, 2012B. Millennium Development Goal 8. The Global Partnership for Development: Making Rhetoric a Reality. MDG Gap Task Force Report 2012. New York. / ONUSIDA, 2012. Rapport mondial : rapport ONUSIDA sur l’épidémie mondiale de sida 2012. Genève. / Organization of African Unity, 2001. African Summit on HIV/AIDS, tuberculosis and other related infectious diseases. Abuja Declaration on HIV/AIDS, Tuberculosis and Other Related Infectious Diseases, 24–27 April 2001. (OAU/SPS/ ABUJA/3) / Organisation mondiale de la santé, 2001. Macro-économie et Santé : Investir dans la santé pour le développement économique. Genève. / Organisation mondiale de la Santé, 2006. Rapport sur la santé dans le monde 2006 : Travailler ensemble pour la santé. Genève. / Organisation mondiale de la Santé, 2011. Rapport sur la situation mondiale des maladies non transmissibles 2010. Genève. / Organisation mondiale de la Santé, 2012. Base de données.