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Dans les pays en développement, le secteur de la santé est peu structuré et mal régulé, les assurances maladie sont quasi inexistantes. Cela n’encourage pas la prise de risque – et pourtant les besoins en financement sont considérables. Les institutions de développement, qui interviennent déjà dans le secteur, doivent mettre en place des solutions financières toujours plus innovantes pour faire face aux besoins croissants.

La rareté et le coût élevé des financements est un des problèmes majeurs des économies des pays en développement ; c’est tout particulièrement vrai pour le secteur de la santé. Bien que les partenaires financiers s’efforcent de proposer un large éventail d’instruments de financement adaptés – de la dette à la prise de participation –, les freins restent nombreux, tant du côté de l’offre de financement que de la demande. Or, les besoins en nouveaux investissements sont énormes. Dans les 49 pays les plus pauvres, les besoins de financement privé sont estimés à 25 milliards de dollars entre 2011 et 2015. Les institutions de développement ont un rôle déterminant à jouer pour renforcer les contreparties, structurer la demande, pérenniser l’offre dans un cadre régulé par les pouvoirs publics, rapprocher prestataires de soins et financeurs – et enfin, pour favoriser l’accessibilité des soins du plus grand nombre.

Un secteur atomisé, capitalistique et à rentabilité moyenne

Le risque de marché dans le secteur de la santé pourrait sembler relativement limité : les besoins sont connus, globalement stables et les perspectives de croissance importantes – en raison des transitions démographique et épidémiologique en cours dans le monde. En dehors de phénomènes épidémiques, les besoins en matière de soins ne sont ni cycliques, ni liés à des effets de modes. Le vieillissement et le développement des maladies chroniques vont inévitablement entraîner une hausse des besoins en soins hospitaliers. Mais la solvabilité très limitée de la demande – liée au manque de couverture sociale, qu’elle soit publique ou privée, obligatoire ou volontaire –, génère un risque de marché important, une incertitude sur le niveau de revenus des hôpitaux et une difficulté à évaluer le juste prix des prestations. En Afrique subsaharienne et en Asie du Sud, où seulement 5 à 10 % de la population est couverte (partiellement) par une protection sociale organisée, les soins sont très majoritairement payés directement par les malades. Si certaines hypothèses des prévisions financières d’un établissement hospitalier sont relativement faciles à modéliser (les compétences et les technologies qui doivent être mobilisées sont connues), il est souvent plus difficile d’estimer les besoins générés par un bassin de population – et encore plus compliqué d’évaluer sa capacité à payer les prestations proposées.

En outre, la santé est un secteur à fort besoin capitalistique. En effet, il rend indispensable le développement d’infrastructures, la mise en place de plateaux techniques modernes, le regroupement des petites structures pour générer des économies d’échelle. La qualité et la continuité des soins doivent sans cesse être améliorées, tout particulièrement en mobilisant des équipes spécialisées. Par  ailleurs,  les entreprises de ce secteur ont des besoins importants en fonds de roulement. Les charges d’exploitation récurrentes sont élevées : frais de personnel, maintenance des équipements, hygiène et sécurité des patients, entretiens des locaux, achat de médicaments, gestion des déchets et des divers dispositifs médicaux, etc. Ce besoin de liquidités est souvent accru par les délais de paiements importants de la part des assurances publiques ou privées.

Il n’est pas rare de voir des projets intéressants ne pas aboutir ou ne pas parvenir à proposer des solutions adaptées aux marchés uniquement par manque de capitaux et de financements. Dans les pays émergents, la mobilisation des financements (tant en dette qu’en fonds propres) est plus complexe et difficile ; de ce fait, le secteur privé de la santé tarde à se moderniser, reste émietté, peu capitalisé et offre des gammes de soins de qualité variable.

Les freins au financement de l’offre de soins

La croissance de la demande représente un véritable atout pour les prestataires de santé. Mais lorsqu’il s’agit de lever de la ressource auprès de banques locales, cet avantage est contrebalancé par divers facteurs pénalisants. La structure des revenus peut par exemple poser problème. En effet, les paiements en liquide sont particulièrement importants, les centres de recettes sont multiples1, les systèmes d’assurance maladie sont rares et peu développés. De fait, les établissements sont peu bancarisés. Leurs comptes ne reflètent que très partiellement leur activité et leur surface ; ils ne permettent pas à des prêteurs d’envisager sereinement une prise de risque raisonnable et équilibrée. La majorité des structures sont de petites tailles et peu spécialisées. En Afrique subsaharienne, la taille moyenne des projets d’investissement oscille entre 250 000 et trois millions de dollars. Pourtant les opportunités d’investissements sont nombreuses (voir Figure 1).

comment repondre aux besoins

Même lorsqu’il est envisageable, le développement des prestataires de soins est rendu difficile par les conditions d’accès à l’emprunt. La structuration de la dette de ces établissements est complexe. Certes, il est facile de garantir les emprunts par des sûretés réelles2, comme des hypothèques sur les terrains, bâtiments et équipements (crédit-bail). Mais leur exercice (enforcement) n’est pas simple, à la fois pour des raisons éthiques et morales mais aussi – dans le cas de certains équipements –, pour des raisons pratiques. Certaines sûretés engendrent moins de problèmes, telles que les délégations de créances sur les mutuelles. Toutefois, trop peu d’hôpitaux génèrent suffisamment de revenus issus desdites assurances privées – et la sécurité sociale publique, elle, est souvent peu solvable. Les banques refusent donc fréquemment, dans de nombreux pays émergents, de prendre le risque d’investir dans le secteur privé de la santé.

Quand il est possible, le recours à l’emprunt pénalise fortement la rentabilité du prestataire puisque les conditions de mise en place du financement sont peu favorables (taux d’intérêt élevés et maturités trop courtes). Seuls des tarifs élevés peuvent, dans ce cas, assurer une certaine rentabilité. Dans la plupart des cas, les établissements ne trouvent pas le juste équilibre entre des conditions de financement acceptables et des perspectives de recettes suffisantes pour leur permettre d’entrer dans un cycle d’investissement vertueux – qui favoriserait au final la baisse de leurs tarifs. Les établissements qui réussissent à se financer sont souvent des structures de plus de 100 lits qui peuvent supporter un service de la dette, à condition que les maturités s’allongent à plus de dix ans.

Le cadre réglementaire dans lequel évoluent les établissements de soins constitue lui aussi un des freins majeurs à leur financement. Les États peinent à réguler le secteur et à définir un cadre pour la mise en place d’une protection sociale obligatoire – qu’elle soit publique ou déléguée au secteur privé. Le rapport de l’OMS de 2010 faisait de la mise en place d’un système de protection sociale le prérequis pour attirer les investisseurs. La capacité de la puissance publique à encadrer et contrôler la qualité des installations et des prestations, à imposer des normes d’hygiène et de sécurité est faible. Elle ne contraint pas les promoteurs à se moderniser.

Les solutions proposées par les institutions de développement

Le secteur de la santé est souvent à la frontière entre des logiques strictement privées et des missions d’intérêt général. Pour assurer son développement en tenant compte de cette spécificité, les institutions de développement proposent plusieurs schémas de financements.

Dans le secteur privé de la santé, ces institutions financent des prestataires de soins via des crédits sur mesure, les assurances maladies ou bien des projets innovants. Le développement du secteur privé de la santé résulte le plus souvent d’une politique d’incitation menée par les pouvoirs publics, qui implique généralement la mise en œuvre de la réforme de l’assurance maladie dans une perspective d’extension de la population solvable. Cependant, les populations des pays pauvres sont peu enclines à dédier une part de leurs revenus à des dépenses futures et non certaines si elles n’ont pas un caractère obligatoire ; de plus, le secteur de la « micro-assurance »3 reste très peu développé. Le système de mutualisation des risques semble fonctionner quand la cotisation a un caractère obligatoire, ce qui est le plus souvent réservé aux salariés du secteur formel. Or, ces salariés sont encore loin de représenter la majorité de la population. Le financement de mutuelles privées ou semi-privées permet d’apporter des revenus plus stables au secteur tout en diminuant la part des dépenses directes des patients – le développement de l’offre de soins s’en trouve alors favorisé. Autant de raisons qui expliquent que les bailleurs de fonds s’intéressent au financement des mutuelles. Par ailleurs, les institutions financières de développement peuvent être amenées à proposer des subventions ou des prêts à taux préférentiel à des projets innovants dont le niveau de risque est élevé. Mais la subvention ne peut pas toujours être considérée, à elle seule, comme un produit financier structurant. Elle ne permet pas, en général, d’améliorer la gestion financière et la gouvernance du bénéficiaire. En outre, elle ne débouche pas toujours sur d’autres financements – qui permettraient d’améliorer la situation sur le long terme.

Le développement du marché de la santé passe aussi par la présence structurante des fonds d’investissement. Ils peuvent en effet répondre au besoin de fonds propres du secteur et  améliorer la gouvernance des établissements de soins. Certains fonds de capital-investissement semblent décidés à pénétrer le secteur de la santé. Initiés et soutenus par les institutions de développement, ces fonds ont construit leur modèle sur la diversification du risque, à la fois dans plusieurs pays d’une même région et dans différents sous-secteurs. Ils cherchent une rentabilité « patiente », et accompagnent les structures dans leur professionnalisation et leur croissance (par exemple, Africa Health Fund ou Investment Fund for Health in Africa).

Outre un financement adapté sur des maturités longues (10 à 15 ans) et une capacité d’intermédiation financière (soutien aux secteurs bancaires locaux et aux fonds d’investissements spécialisés), la valeur ajoutée des institutions de développement est aussi d’inciter et d’aider les structures à se professionnaliser pour améliorer leur gestion et leur modèle économique (voir encadré). À ce titre, les institutions de développement proposent un service d’assistance technique pouvant être utilisé à l’amélioration de la gouvernance d’entreprise, des systèmes de gestion interne et de la formation (un enjeu majeur du développement du secteur).

Le financement d’un réseau d’hôpitaux au Liban

Le Centre Hospitalier du Nord – hôpital universitaire de référence de 160 lits – a été créé en 1996 au Liban, en particulier pour répondre à un besoin criant d’offre de soins hospitaliers dans cette zone reculée du nord du pays. Le succès rencontré par cet hôpital a suscité la création du groupe Caremed, modèle innovant de réseau d’hôpitaux. Depuis 2012, Proparco a accompagné Caremed dans son programme d’expansion de 51 millions de dollars, comprenant la construction de deux nouveaux centres de soins dans le pays (un centre de jour et une unité hospitalière), la  modernisation du centre de radiothérapie et l’achat de matériel de pointe pour le traitement des cancers. Proparco a contribué à ce programme à hauteur de 15 millions de dollars, aux côtés de banques locales. La durée de différé plus longue proposée par Proparco permet de débuter la période de remboursement une fois la structure opérationnelle. La présence de Proparco depuis l’origine du projet sur la structuration du financement a permis aux banques locales libanaises, bien capitalisées, d’accepter de prendre ce risque à long terme sur un projet de construction d’unités supplémentaires, plus risqué qu’une extension d’hôpital existant.

Enfin, les institutions de développement utilisent aussi l’innovation financière pour favoriser l’impact social, en proposant une baisse de taux d’intérêt des crédits conditionnée à la réalisation de projets sociaux. Cela peut prendre la forme, par exemple, de fonds dédiés à améliorer l’accessibilité et la gratuité des soins pour les personnes défavorisées, la construction de dispensaires dans des zones reculées, ou encore l’introduction de nouvelles technologies comme la télémédecine.

Le secteur privé de la santé des pays en développement va vivre des mutations à la mesure des progrès économiques et sociaux en cours – et de l’essor des maladies chroniques. Dans cette perspective, l’action des bailleurs de fonds doit mobiliser toute l’innovation financière possible. Il s’agit en effet d’appuyer le développement des acteurs du secteur, qu’il s’agisse des petites entreprises dites solidaires, de cliniques privées ou de grands hôpitaux privés. Ainsi, à côté des instruments traditionnels – subvention et prêt, essentiellement –, des outils plus innovants voient le jour, comme le mixage prêts-dons, le développement de la microfinance santé, l’expérimentation de systèmes de subventions partiellement remboursables, etc. Par ailleurs, les institutions de développement doivent contribuer à une meilleure péréquation des politiques publiques et privées et contribuer à la structuration du secteur. Plus qu’ailleurs, les institutions de développement doivent jouer leur rôle moteur – basé sur l’effet démonstratif – et mettre en avant, au-delà de la rentabilité attendue, l’amélioration des services de soin et le développement humain, vu comme un facteur de croissance économique.

Notes de bas de page

¹ Les patients peuvent bien souvent payer directement les médecins, sans même avoir à passer par l’établissement hospitalier.
² Une sûreté est une garantie accordée à un créancier lui permettant d’obtenir paiement de sa créance en cas de défaillance du débiteur, par affectation d’un bien (sûretés réelles) ou par la garantie apportée par un tiers.
³ La micro-assurance désigne un système qui utilise le mécanisme de l’assurance et dont les bénéficiaires sont souvent des personnes exclues des systèmes formels de protection sociale. L’adhésion n’est pas obligatoire et les adhérents contribuent, au moins partiellement, au financement des prestations.

Références / SFI, 2008. Investir dans la santé en Afrique. Le secteur privé : un partenaire pour améliorer les conditions de vie des populations. Washington. Groupe de la Banque mondiale. // Organisation mondiale de la santé, 2010. Rapport sur la santé dans le monde 2010. Le financement des systèmes de santé : le chemin vers une couverture universelle, Genève.