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D'ici à 2030, trois milliards d'individus dans les pays en développement auront besoin d'un logement. Pour relever ce défi, il faudrait construire 565 millions de nouveaux logements – en plus des 400 millions qui font actuellement défaut. Les bénéfices seraient multiples à commencer par la création d'emplois dans les industries du bâtiment, des matériaux de construction, des équipements et des services… À condition de lever les obstacles au développement de l'offre et de la demande – notamment l'accès aux financements.

Selon l'ONU-Habitat, plus de la moitié de la population mondiale est urbaine. Au cours des 40 prochaines années, les villes devraient absorber encore l'essentiel de la croissance démographique, soit 2,3 milliards d'individus supplémentaires (ONU, 2011). En 2050, près de 70 % de la population mondiale sera citadine. Cette explosion urbaine s'est accompagnée d'une prolifération de l'habitat informel. L'objectif du Millénaire pour le développement (OMD) visant à l'amélioration des conditions de vie d'au moins 100 millions d'habitants des bidonvilles d'ici 2020, a été atteint en 2012. 200 millions ont désormais accès à une eau potable de meilleure qualité, à des systèmes d'assainissement améliorés, ainsi qu'à des logements durables moins surpeuplés. Mais si la part de la population vivant dans des bidonvilles a diminué de 39 % à 33 %, son nombre a augmenté de 100 millions depuis 2000 pour atteindre aujourd'hui 863 millions d'individus – soit près du tiers de la population urbaine des pays en développement. Si l'habitat informel peut être considéré comme une composante inévitable et nécessaire des villes en pleine croissance – offrant aux migrants un tremplin vers une vie meilleure à moindre coût – il est indispensable de soutenir et faciliter la transformation des bidonvilles en habitat classique.

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Pour relever les défis d'une urbanisation accélérée (Figure 1), de nouvelles solutions s'imposent car le secteur public ne pourra à lui seul produire les logements et les infrastructures nécessaires. Selon l'ONU-Habitat, d'ici à 2030, près de trois milliards d'individus (environ 40 % de la population mondiale) auront besoin d'un nouveau logement et d'infrastructures et services de base. Si on admet l'hypothèse d'une moyenne de cinq personnes par ménage, il faudrait construire 565 millions de nouveaux logements – en plus des 400 millions qui font déjà défaut.

Loger les populations urbaines pauvres : une opportunité à l'échelle mondiale

Pour les pays émergents, la « révolution urbaine » en cours est porteuse d'opportunités : les villes densément peuplées et bien aménagées sont des lieux où foisonnent idées, diversité et innovations. Elles peuvent être aussi des vecteurs d'inclusion sociale. Au-delà de ces bénéfices, l'accès au logement des populations urbaines présente également un intérêt économique. Résorber la pénurie de logements dans 16 des principaux pays émergents représenterait un marché de 600 milliards de dollars (McKinsey, 2012). En Inde par exemple, la construction de 2 millions de logements à bas coût permettrait la création de 3 millions d'emplois dans le bâtiment et de 24 millions dans les industries et les services connexes – ce qui favoriserait une croissance de 2 % du produit intérieur brut, soit environ 25 milliards de dollars. La demande de crédit augmenterait également de 17 milliards de dollars, les besoins en ciment et en acier supplémentaires atteindraient respectivement 16 et 6 millions de tonnes. La demande en peinture, plomberie, appareils électriques et autres équipements suivrait cette évolution. Les bénéfices peuvent être aussi environnementaux. Selon les calculs du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), les bâtiments consomment 40 % de l'énergie mondiale. Le GIEC estime que le secteur du logement pourrait réduire sa consommation d'énergie de près d'un tiers d'ici à 2020. Des techniques d'isolation plus efficaces et des systèmes de chauffage et de climatisation écoénergétiques pourraient générer dans un bâtiment jusqu'à 90 % d'économie en énergie thermique (Agence internationale de l'énergie, 2012). L'empreinte carbone de la construction de logements pourrait aussi être réduite en ayant recours à des technologies intelligentes, permettant par exemple de limiter l'emploi de ciment, actuellement responsable de 5 % des émissions mondiales de CO². Les investisseurs, promoteurs et décideurs sont de plus en plus conscients que l'éco-construction permet de réduire les coûts et l'empreinte écologique tout en favorisant l'innovation sociale. Reste une difficulté de taille : déployer à grande échelle les technologies de construction durable.

Un secteur soumis à de fortes contraintes

Bien que d'ampleur différente, les contraintes qui pèsent sur la construction de logements abordables sont assez similaires d'un pays à l'autre. Les unes tendent à limiter la demande, les autres entravent la production de logements en nombre suffisant et à des prix adaptés à un marché de masse. En théorie, la demande est quasiment illimitée : ceux qui n'ont pas de toit ont besoin d'un logement, et ceux qui en ont un veulent plus d'espace ou de plus de confort. Mais ces besoins se transforment difficilement en demande réelle, essentiellement pour des raisons de financement. Dans les économies émergentes, la pénétration du crédit hypothécaire est très faible : moins de 5 %1 de la population a contracté un prêt pour acheter un logement (contre 25 % à 35 % aux États-Unis, au Canada et en Europe occidentale). Et ce, malgré l'intervention, désormais sur certains marchés, du secteur de la microfinance, bien placé pour soutenir les segments les plus modestes. Ce décalage entre demande de logements et accès au financement est particulièrement fort en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud, où le financement de l'habitat est peu développé (Figure 2).

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Les établissements de crédit se heurtent à des risques de crédit élevés, au manque de culture financière des foyers à faibles revenus, aux difficultés d'enregistrement des créances, au coût et au délai des saisies, au manque d'accès à des financements de long terme… Les difficultés ne sont pas moindres du côté de l'offre – notamment en matière d'accès au foncier et de droits de propriété – et limitent le développement de projets de logements abordables. Les obstacles réglementaires – par exemple, les difficultés liées à l'enregistrement des titres ou des règlementations d'urbanisme désuètes – augmentent la durée et les coûts de construction, et donc le prix final des logements. Par ailleurs, les promoteurs ont du mal à accéder à des financements de long terme – les établissements de crédit étant peu enclins à assumer les risques liés à des projets de construction sociale. A ces difficultés s'ajoutent le coût élevé et la faible disponibilité de main d'œuvre qualifiée, d'infrastructures de base (assainissement, routes, électricité) et de matières premières, souvent importées ou difficiles à se procurer. Enfin, le manque de ressources financières publiques peut également affecter la livraison d'infrastructures et d'équipements nécessaires aux projets de construction.

Une nécessaire collaboration entre secteur public et secteur privé

Dans les pays émergents, le logement abordable est traditionnellement considéré comme relevant de la compétence des Etats. Mais, dans un contexte où la demande dépasse largement les ressources fiscales, une approche radicalement différente est nécessaire pour répondre à la pénurie de logement – notamment en mobilisant des capitaux privés et en s'orientant vers des solutions de marché adaptées aux populations à faibles revenus. Les gouvernements doivent travailler avec le secteur privé et créer un environnement économique favorable à leur intervention. De solides politiques publiques doivent être mises en place pour favoriser l'efficacité de la filière habitat, lever les obstacles à l'action des acteurs (ménages et organisations communautaires, institutions financières, développeurs, entreprises du secteur de la construction, municipalités) et les inciter à collaborer. L'industrie du logement doit aussi pouvoir s'appuyer sur des politiques macroéconomiques garantissant une volatilité limitée et une faible inflation, en vue de favoriser les financements à long terme et des taux d'intérêt réduits. Un tel environnement peut faire plus pour améliorer l'accès au logement qu'un dispositif de subventions massives. Il est aussi essentiel de mobiliser les capitaux de marché pour permettre, grâce à des instruments adaptés, de canaliser des ressources à long terme issues de fonds de pension, de compagnies d'assurance et de fonds d'investissement en faveur du logement. Les difficultés d'accès au foncier, que ce soit pour des raisons de disponibilité ou de sécurité du cadre règlementaire, est un obstacle majeur au développement du logement abordable dans les pays émergents. Les pouvoirs publics doivent libérer leurs ressources foncières et renforcer leur système d'enregistrement des titres de propriété pour garantir les droits de chacun. Les municipalités et les autorités locales ont aussi un rôle à jouer, en tant qu'acteurs principaux des plans d'urbanisation. Des choix pertinents concernant le découpage des zones, les réseaux de transport et la planification des infrastructures sont la clé d'une ville efficace. Il faut, par ailleurs, que les politiques publiques portent sur tous les segments de la chaine de valeur du logement. Des instruments tels que des garanties, des subventions ou des avantages fiscaux, pourraient enfin être développés pour encourager le financement de logements pour les plus défavorisés. Répondre aux besoins en logements contribuera à atteindre l'objectif de la Banque Mondiale d'une prospérité partagée. La construction de logements a de nombreux effets multiplicateurs : elle crée de l'emploi, tant dans le bâtiment que dans des secteurs connexes – de la finance aux services en passant par la fourniture de matériaux. Des actions ciblées de l'Etat sont par ailleurs nécessaires pour garantir l'accessibilité des logements aux couches de population les plus modestes. En fonction des ressources disponibles, cela peut passer par des systèmes de subventions, en collaboration avec les marchés privés du logement et du financement. Ou par l'instauration de conditions adéquates pour que le secteur locatif privé puisse répondre aux besoins des ménages à faibles revenus. Des habitations de bonne qualité à loyer accessible peuvent aider à absorber les flux de migrants. Mais sans solutions de logement planifiées, les bidonvilles continueront à se développer.

 

1 Dans six pays d'Afrique (Algérie, Malawi, Sénégal, Somalie, Soudan et Tchad), ce taux est de 5 à 15 %.  

 

RÉFÉRENCES:
Agence internationale de l'énergie, 2012. Rapport World Energy Outlook. Paris. 
Banque mondiale, 2011. Base de données sur l'intégration financière mondiale (Global Findex) (http://data.worldbank.org/data-catalog/financial_inclusion) 
McKinsey, 2012. Affordable Housing for All. Présentation McKinsey lors de la Global Housing Finance Conference, Banque mondiale, Washington, États-Unis. 
Organisation des Nations unies, 2011. Population prospects (Perspectives de la population mondiale). Division de la population, New York, États-Unis. (http://esa.un.org/unpd/wpp/index.htm). 
Rubenstein, M., 2012. Emissions from the Cement Industry. The Earth Institute, Columbia University, New York, États-Unis (http://blogs.ei.columbia.edu/2012/05/09/emissions-from-the-cement-industry).  

 

Téléchargez l'intégralité du numéro Secteur Privé & Développement "Relever les défis du logement avec le secteur privé"

Simon Walley

Economiste
Banque mondiale

Parcours

Simon Walley travaille depuis 2006 à la Banque mondiale, où il s'occupe notamment du développement des marchés hypothécaires secondaires, en particulier par la mise en place de facilités de crédit, de programmes d'aide à l'accession à la propriété et de règlementations sur les obligations sécurisées. Il a auparavant été économiste à la Nationwide Building Society et secrétaire général adjoint à la Fédération hypothécaire européenne.

Banque mondiale

Le groupe de la Banque mondiale est une des plus grandes sources de financement et d'expertise  pour les pays en voie de développement. Le groupe comprend 5 institutions étroitement associées : la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développent (BIRD) et de l'Association Internationale pour le Développement (AID), la Société Financière Internationale (SFI), l'Agence Multilatérale de Garantie des Investissements (AMGI), et le Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements (CIRDI). Chaque institution joue un rôle important dans la lutte contre la pauvreté et l'amélioration des conditions de vie des populations vivant dans les pays en voie de développement. Pour de plus amples informations vous pouvez visiter nos sites www.worldbank.org, www.miga.org, et  www.ifc.org.    

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