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La part du secteur privé dans le financement de la gestion durable des forêts est largement supérieure à celle du secteur public, mais elle est encore loin de ce qui serait nécessaire pour réduire de moitié la déforestation mondiale d’ici à 2020. Il existe un sérieux déficit d’information sur les flux financiers et sur les raisons justifiant que certains pays concentrent des investissements privés massifs. Les institutions internationales travaillent à la fiabilisation des données et s’efforcent de favoriser l’accès au financement ; dans le même temps, les pouvoirs publics pourraient accroître les investissements internationaux en améliorant leur gouvernance dans la gestion des ressources, mais aussi le cadre de l’investissement dans le pays.

Le Forum des Nations Unies sur les forêts (FNUF) et le Groupe de travail sur les forêts de l’AGF (Advisory Group on Finance) estiment que le financement nécessaire dans le cadre de la Gestion Durable des Forêts (GDF) se situe entre 70 et 160 milliards de dollars par an. Pour arriver à réduire de moitié la déforestation à l’échelle de la planète d’ici 2020, ce sont 20 à 40 milliards de dollars qui seraient ainsi nécessaires chaque année. La déforestation touchant principalement les pays en développement, le financement de la GDF est réellement une problématique de développement. À l’heure actuelle, l’aide publique au développement consacrée à la sylviculture est d’environ 1 milliard de dollars par an, soit à peu près 1% des besoins de financement ; ce montant est à peine doublé si l’on y ajoute les autres sources de financement public. De plus, même si le financement du REDD+ 1 progresse – 4,5 milliards de dollars ont été engagés pour la période 2010-2012 –, une grande partie reste encore à débourser. Pour porter la GDF à un autre niveau et créer de la valeur ajoutée, de la croissance économique et de l’emploi tout en préservant les forêts et leurs services éco-systémiques, il faut accélérer les flux d’investissements et financements privés, qu’ils soient étrangers ou nationaux. Les données chiffrées restent cependant insuffisantes ; il s’agirait par exemple de mieux comprendre pourquoi certains pays attirent des investissements privés massifs, et quelles sont les forces qui régissent les flux financiers.

La Banque mondiale2  identifie la participation du secteur privé comme l’une des conditions essentielles pour atteindre son objectif de mettre fin à l’extrême pauvreté et de promouvoir une prospérité partagée. Sylviculture, filière bois et produits forestiers non ligneux 3 : tous les domaines peuvent être concernés. Les forêts contribuent en effet à la subsistance de plus de 1,6 milliard de personnes, dont plus de 90% de ceux qui vivent dans l’extrême pauvreté 4.  Mais ces objectifs ne seront pas atteints par la seule intervention du secteur public ou du secteur privé (voir Asen et al., 2012).

En 2012-2013, le Programme pour les forêts (PROFOR) et la Banque Mondiale ont lancé deux études sur le rôle et la dynamique du financement privé dans le secteur forestier. La première fournit des données très complètes, analyse les différentes sources de financement et examine des pistes d’amélioration. L’autre étude envisage différentes façons d’aborder le climat de l’investissement et d’attirer les investisseurs, son objectif étant d’aider les pays concernés à améliorer l’environnement des affaires. Bien qu’elles ne se limitent pas au financement de la GDF, ces deux études permettront de mieux comprendre ses mécanismes 5.

Cartographie des investissements privés dans le secteur forestier

Alors même que des études existent sur les flux de l’investissement privé dans le secteur forestier, il n’y a pas eu jusqu’ici d’effort systématique et concerté pour en donner une vision globale et exhaustive. Nous savons par exemple que les plantations forestières commerciales privées couvrent 18,7 millions d’hectares en Amérique Latine – soit 78% de la surface plantée totale – et 5,1 millions d’hectares en Asie et Océanie, soit 14% du total.  En Afrique, ce pourcentage n’est que de 6%, soit 0,3 million d’hectares ; la faiblesse de ce dernier chiffre laisse penser que  le développement des plantations y est encore largement déterminé par le secteur public.

Le montant total investi chaque année par le secteur privé dans les plantations forestières était estimé à 1 763 millions de dollars en 2011, hors investissements du programme REDD et hors restauration des paysages forestiers, sans tenir compte également de l’investissement des ménages, des communautés locales ou des petites et moyennes entreprises (PME). L’essentiel, soit 83%, concernait l’Amérique Latine, 16% l’Asie et l’Océanie, et seulement 1% l’Afrique.

Les investisseurs, particulièrement attentifs sur les nouveaux marchés, et préoccupés de maximiser leur rentabilité ajustée au risque, préfèrent investir dans des pays qui combinent de bonnes conditions de croissance des arbres et un environnement stable pour leur investissement. Cela suppose notamment la stabilité politique et économique, et la sécurité des droits fonciers.

Dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, l’investissement  privé à long terme est entravé par une législation foncière ambiguë, par la corruption ou d’autres manifestations d’une gouvernance lacunaire, et par des infrastructures inadaptées, sans compter le manque de terres arables et de main d’œuvre qualifiée. Pourtant certains pays, parmi lesquels le Mozambique, l’Afrique du Sud et la Tanzanie, sont parvenus à attirer l’investissement privé grâce à de bonnes conditions de croissance biologique, à des infrastructures adaptées et à un environnement politique et économique stable. Au Mozambique, de grands espaces sont encore potentiellement disponibles pour le développement de l’exploitation forestière et, dans ce pays comme en Tanzanie, il existe des infrastructures portuaires offrant un accès aux marchés asiatiques.

Un autre élément important à prendre en compte est la solidité du marché intérieur : le Brésil et la Chine, par exemple, ont attiré des investissements substantiels.  Ces derniers se développent rapidement dans de nombreux pays africains, tirés par la croissance de l’économie et de la population. De grands centres urbains comme Kinshasa, Lagos et Nairobi consomment d’énormes quantités de bois et de produits dérivés du bois pour la construction et la production d’énergie, formant ainsi la base d’un commerce informel de grande ampleur.
Un pays ne peut certes pas modifier sa situation géographique ni les conditions biologiques de la croissance des arbres sur son sol, mais ses décideurs doivent néanmoins avoir conscience que certaines évolutions sont susceptibles de limiter les risques, et donc de rendre le pays plus attractif pour les investisseurs. Secteur privé, autorités gouvernementales et communautés locales partagent le même besoin d’une meilleure information sur le secteur forestier, sur l’utilisation des terres et sur les débouchés.

Avantages et obstacles

Les objectifs d’un investisseur varient selon sa taille et selon sa nature : un investisseur industriel sera avant tout attentif à ses bénéfices sur les marchés en croissance, tandis qu’à l’échelle d’une famille, le petit investisseur recherchera le plus souvent une contribution à sa subsistance et à sa sécurité.  En outre, lorsqu’il s’agit d’investissements commerciaux, d’autres facteurs influent sur la décision, au-delà de la seule politique forestière sectorielle ou des règles qui conditionnent le cadre de l’investissement.

Les sociétés internationales de gestion de fonds investissant dans les actifs forestiers, principalement financées par des investisseurs institutionnels tels que les fonds de pension, constituent une source de capitaux de plus en plus significative. Bien que ces investissements se concentrent fortement sur une poignée de pays d’Amérique Latine, leurs actifs sous gestion ont déjà atteint, selon les estimations, un total de 80 milliards de dollars.

Au-delà de la vente du bois ou de son utilisation physique dans une unité de transformation, les actifs forestiers offrent à un investisseur commercial la possibilité de diversifier son portefeuille et de répartir ses risques. Historiquement, le bois s’est en effet révélé un bon instrument de couverture contre l’inflation.  En outre, même si la demande stagne, en Europe et en Amérique du Nord, pour les produits à base de fibre de bois, l’Asie, l’Amérique Latine et l’Afrique devraient en revanche voir leurs besoins augmenter. À plus long terme, de nouveaux emplois de la fibre de bois pourraient aussi contribuer à un nouvel accroissement de la demande.

Même pour les petits exploitants des pays développés, il peut s’avérer avantageux d’investir dans la sylviculture. Pour un agriculteur, par exemple, les arbres peuvent procurer fourrage et combustible, servir à la régulation des services éco-systémiques locaux et contribuer à la création d’emplois et de revenus en dehors des cycles de la production agricole. En définitive, le bois n’est pas une denrée périssable et, bien souvent, sa valeur ne fait qu’augmenter lorsqu’il n’est pas récolté.

Il n’en demeure pas moins que les investissements sylvicoles comportent des risques spécifiques, parmi lesquels les incendies de forêt, les parasites et une liquidité limitée pour l’investisseur qui souhaiterait se retirer.

Le financement privé de la GDF se heurte à d’importants obstacles, que les pays en développement doivent connaître et auxquels ils doivent tenter de répondre. Premièrement, les investisseurs sont sensibles aux risques politiques, fonciers, sociaux ou environnementaux, ainsi qu’au risque de change ou au risque de réputation, qu’il s’agisse de risques réels ou simplement perçus comme tels ; les pays qui peuvent démontrer un niveau inférieur de leurs risques systémiques sont donc davantage susceptibles d’attirer l’investissement.

La faible disponibilité des capitaux propres nationaux ou étrangers, du crédit et du financement par la dette constituent des obstacles supplémentaires, auxquels il faut ajouter la compréhension limitée qu’ont souvent les institutions financières de l’investissement forestier. Il s’avère aussi particulièrement difficile de mobiliser un financement international pour des projets de moins de 25 millions de dollars. Et même lorsqu’un financement par la dette locale est possible, les taux d’intérêts du pays sont souvent excessivement élevés et les périodes de remboursement très courtes – généralement de 6 à 36 mois.

Il faut enfin ajouter au nombre des facteurs dissuasifs un coût initial élevé, lié notamment au déficit d’information disponible sur les ressources forestières 6, les opportunités d’investissement ou les risques, et des coûts de transaction encore majorés pour les petits projets et les projets de taille moyenne.

Vaincre les obstacles

Si l’on veut améliorer efficacement le cadre de l’investissement, il  faut concevoir et mettre en œuvre une politique qui repose sur une information financière quantitative de qualité. Il est par conséquent crucial d’améliorer la collecte des données – et c’est là notamment que les institutions financières internationales (IFI) peuvent apporter leur contribution.

Constituer un fonds d’information

Les données concernant le financement des activités sylvicoles nationales et celui de l’exploitation des forêts naturelles sont actuellement insuffisantes puisqu’il n’existe pas à l’heure actuelle de structure qui ait vocation à collecter et compiler cette information de manière systématique. Les études émanant des entreprises, les enquêtes conduites par les médias, les recherches ad hoc et les banques de données d’experts peuvent constituer un point de départ, mais il faut encore apporter des améliorations considérables aux instituts nationaux de statistiques et aux banques centrales, en terme de ressources et de personnel qualifié. Quant aux entités nationales de gestion des forêts, elles nécessitent elles aussi un soutien, pour leur financement autant que pour renforcer leurs capacités de production et d’exploitation des données.

Améliorer l’accès au financement

Les investisseurs se préoccupent avant tout de maximiser leur rentabilité ajustée au risque.  L’évaluation de cette rentabilité tient compte des potentialités de croissance et de l’accès aux marchés porteurs, de la stabilité économique, politique et réglementaire, mais aussi du  cadre de l’investissement dans le pays : solidité de la gouvernance, sécurité des droits fonciers, qualité des infrastructures physiques autant qu’institutionnelles, existence d’un état de droit.
Les pouvoirs publics sont à même d’influencer les politiques en place, la réglementation et le cadre d’accueil des investissements – parfois simplement en décidant d’agir. Mais pour améliorer la gouvernance en matière de gestion des terres et des ressources, pour réformer le climat des affaires, pour soutenir la recherche et le développement sur la forêt et aider les petits exploitants ou les communautés locales à s’organiser afin de produire des économies d’échelle, pour tout cela, il faudra du temps et de l’investissement public.
Malgré l’insuffisance des données disponibles, on peut affirmer sans hésiter qu’en matière de GDF, les financements privés nationaux et internationaux, bien qu’inégalement répartis, excèdent largement le financement public. Ces financements privés devraient à l’avenir jouer un rôle de plus en plus important, bien que les acteurs publics conservent les missions qui sont les leurs dans la mise à disposition des biens publics mondiaux ou le financement pionnier des investissements à haut-risque.

Finalement, si l’amélioration du cadre de l’investissement relève de la responsabilité nationale, les pouvoirs publics peuvent être soutenus dans leurs efforts par les partenaires internationaux. La Banque Mondiale et les IFI sont notamment en mesure d’apporter une aide à la conception d’outils analytiques et de gestion des risques, ou d’assurer la présence de financements adéquats. Les IFI pourraient en outre favoriser le développement des compétences en matière de collecte et de diffusion des données ; elles disposent en effet à bien des égards d’une capacité d’accompagnement et d’expertise qui va au-delà du secteur forestier, et peut s’avérer essentielle lorsqu’il s’agit par exemple de réformer plus largement le secteur financier ou le secteur public dans leur ensemble.

Les autorités gouvernementales sont également en mesure d’améliorer l’accès à des données essentielles comme les inventaires forestiers du pays, les registres fonciers et l’utilisation des terres. Elles peuvent enfin investir dans la recherche et le développement, un domaine où l’utilisation des nouvelles technologies s’avère efficace et économiquement rentable.
Les problématiques liées au financement du secteur forestier doivent en tout état de cause être abordées sous différents angles d’approche et par des partenaires extérieurs au secteur lui-même, en l’occurrence des individus et des institutions dont le travail porte sur le secteur financier, sur les évolutions et la réglementation du secteur bancaire, ou encore sur le développement des infrastructures, de l’agriculture et du marché du travail. Enfin, les instances internationales comme le FNUF doivent continuer d’œuvrer pour la diffusion des meilleures pratiques et pour un accès plus large aux financements.

Notes de bas de page :

1 Réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts (en anglais « Reduced Emissions from Deforestation and forest Degradation ») ; l’objectif de cette initiative, coordonnée par l’ONU (et dite « UN-REDD ») est de lutter contre le changement climatique par une meilleure gestion des forêts.
2 Le Groupe de la Banque Mondiale a publié en 2002 une révision de sa politique en matière de forêts, à la suite de quoi, entre 2002 et 2013, l’investissement pour la forêt a atteint un total de 4,3 milliards de dollars environ ; plus de 60% de ce montant ont été investis par la Banque mondiale et le reste par l’IFC, branche privée du Groupe de la Banque mondiale. Les montants varient considérablement d’une année sur l’autre, mais ils ont été de 50 à 500  millions par an pour la Banque, et de 130 millions pour l’IFC. Deux précisions ici cependant : premièrement, l’essentiel du financement de la Banque va au secteur public et, deuxièmement, même si la Banque est le plus grand contributeur financier en la matière, à son échelle, le secteur lui-même est tout petit. Ces dernières années, la part des crédits débloqués par la Banque pour des projets forestiers a tourné autour de 0,5% du total de ses prêts. Les investissements en direction du secteur privé  sont principalement le fait de l’International Finance Corporation (IFC), dans la mesure où elle est la branche du Groupe de la Banque Mondiale chargée des opérations avec le secteur privé.
3 Y compris un certain nombre de produits non ligneux fréquemment utilisés par les ménages : noix, plantes médicinales, miel, combustible de chauffage, etc.
4 Banque mondiale (2004) ; Banque mondiale (2008)
5 T. Castrén, M. Katila et P. Lehtonen, 2014. Business Climate for Forest Investments: A Survey. Washington, DC : Programme pour les forêts (PROFOR).
6 Selon les données du Global Forest Resources Assessment 2010, évaluation des ressources forestières mondiales réalisée en 2010, seuls quarante-cinq pays ont dressé l’inventaire complet de leurs forêts, et vingt-deux seulement se sont livrés plus d’une fois à l’exercice. Par conséquent, pour une grande majorité de pays, il n’existe pas de données à jour concernant les forêts et les arbres hors forêts. Pourtant, les récents progrès des technologies numériques et la baisse des coûts d’observation de la planète devraient a minima rendre accessible à la plupart d’entre eux un recensement élémentaire.

 

Références:

AGF, 2008. Financing Flows and Needs to Implement the Non-Legally Binding Instrument on All Types of Forests. Prepared for the Advisory Group on Finance of the Collaborative Partnership on Forests, Markku Simula, Consultant. Supported by the Program on Forests (PROFOR). Available here: http://www.profor.info/sites/profor.info/files/Analyzing_Financing_Flows.pdf
AGF, 2012. 2012 Study on Forest Financing. Advisory Group on Finance. Collaborative Partnership on Forests. Available here: http://www.un.org/esa/forests/pdf/AGF_Study_July_2012.pdf
Asen, A.; Savenije, H. and Schmidt, F. (eds.). 2012. Good Business: Making Private Investments Work for Tropical Forests. ETFRN News. Issue no. 54 December 2012 Available here: http://www.profor.info/sites/profor.info/files/docs/ETFRN-54-Good-Business.pdf
Castrén, Tuukka, Marko Katila, Karoliina Lindroos, and Jyrki Salmi. [2014][forthcoming]. Private Financing for Sustainable Forest Management and Forest Products in Developing Countries: Trends and drivers. Washington, DC: Program on Forests (PROFOR)
FAO, 2010. Global Forest Resources Assessment 2010 Available here: http://www.fao.org/forestry/fra/fra2010/en/Joint PROFOR-GIZ-Trobenbos event at UNFF10 — event report available here: http://www.profor.info/sites/profor.info/files/docs/UNFF10Sideevent-private-sector-report.pdf
PROFOR [2014] Business Climate for Forest Investments: a survey. Washington, DC: Program on Forests (PROFOR)
World Bank (2004): Sustaining Forests: a development strategy. Washington, D.C.
World Bank (2008): Forests Sourcebook: practical guidance for sustaining forests in development cooperation. Washington, D.C.