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Le marché des obligations vertes est en plein essor. Il participe à la densification des flux de capitaux privés en faveur de la transition énergétique et pourrait à terme favoriser le financement direct de projets verts dans les pays en développement. Pour renforcer la crédibilité de ce marché encore jeune, des initiatives de standardisation devront être engagées.

Les obligations vertes – ou green bonds – ont le vent en poupe. Ces emprunts d'un nouveau genre constituent aujourd'hui un outil intéressant pour financer la transition énergétique et la protection de l'environnement, en particulier dans les pays en développement. Titre de dette, une obligation verte présente les mêmes caractéristiques financières qu'une obligation standard : mêmes garanties, même séniorité1, même notation. En achetant ces obligations, les investisseurs (société de gestion, assureurs, etc.) prêtent donc de l'argent à l'entreprise émettrice, qui les rembourse avec intérêts après un temps donné. La différence avec une obligation classique réside dans la destination des investissements. En effet, l'émetteur s'engage à allouer les fonds levés à des projets « verts » et à informer les investisseurs de l'utilisation des fonds : projets d'énergies renouvelables, d'efficacité énergétique, de gestion des déchets et des eaux usées, de transports publics, de préservation de la biodiversité, etc. En général, les émetteurs font appel à des experts indépendants pour valider la qualité environnementale des projets qu'ils proposent.

Motivations des acteurs et développement du marché

Le marché des obligations vertes, encore frémissant il y a trois ans, a connu depuis 2013 une forte croissance : les montants annuels ont quasiment décuplé entre 2012 et 2014, avec plus de 37 milliards de dollars émis (Figure). Certains observateurs pensent même que le marché dépassera 100 milliards de dollars d'ici fin 2015 (Climate Bond Initiative, 2015). A l'origine, le marché des obligations vertes a été dominé par des institutions publiques internationales comme la Banque Européenne d'Investissment (BEI) ou la Banque Mondiale (BM), répondant à la demande de quelques investisseurs institutionnels s'intéressant aux questions environnementales. Peu à peu, le secteur privé est aussi arrivé sur le marché : en novembre 2013, EDF a levé pour 1,4 milliard d'euros d'obligations vertes pour financer sa filiale EDF Energies Nouvelles, suivi en mai 2014 par ENGIE (anciennement GDF-Suez) avec 2,5 milliards d'euros d'obligations vertes. Certaines collectivités territoriales s'y sont également intéressées : la région Île-de-France, par exemple, a levé plusieurs obligations vertes entre 2012 et 2015, pour un montant total dépassant 1,5 milliard d'euros. Ce rythme soutenu d'émissions a séduit une grande variété d'investisseurs, institutionnels, publics et privés – allant des fonds de pension suédois aux gérants « responsables » américains, des banques éthiques hollandaises aux investissements socialement responsables français. Cet engouement s'explique en partie par l'intérêt croissant que les investisseurs portent aux enjeux de développement durable. Il est vrai que les obligations vertes présentent à ce titre quelques avantages : elles offrent un lien direct avec des projets identifiables, sans abandon de rendement ou de liquidité, sans risque « projet2 » et avec de plus en plus souvent un reporting sur les impacts environnementaux et sociaux. Au-delà de l'intérêt financier, la croissance du marché des obligations vertes a aussi été motivée par un objectif de développement d'outils financiers dédiés à la lutte contre le changement climatique3. Dans un marché obligataire historiquement insensible aux enjeux environnementaux, il s'agissait tout d'abord d'éveiller les consciences et de faire entrer la question climatique au sein des marchés financiers. Pari réussi : aujourd'hui, plus aucun opérateur obligataire n'ignore l'existence et la raison d'être des obligations vertes. Il s'agissait aussi de créer un nouveau marché, puisque les obligations vertes sont destinés à devenir une classe d'actifs à part entière, avec leurs propres fonds dédiés et leurs investisseurs spécialisés. Le compte n'y est pas encore, mais la perspective d'un marché de plusieurs centaines de milliards de dollars d'obligations vertes, profond, liquide et diversifié est aujourd'hui réaliste. Si le développement des obligations vertes, initialement anecdotique, a surpris beaucoup de monde en devenant un marché significatif, c'est donc aussi grâce à des émetteurs, des investisseurs et des banquiers qui ont pris le temps de travailler sur un produit avec, au-delà des motivations économique, un souci de l'intérêt général. C'est un bel exemple de l'émergence par le bas (« bottum-up ») d'une solution innovante.

Des effets positifs dans les pays en développement

De toute évidence, l'apparition des obligations vertes est aussi une nouvelle intéressante pour le financement de projets dans les pays émergents et en développement. En Asie, en Amérique latine et en Afrique, le changement climatique implique en effet des besoins de financement particulièrement importants. La Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) évoque un besoin d'investissement de 28 à 67 milliards de dollars par an d'ici à 2030 pour les pays en développement. Les pays émergents ne s'y trompent d'ailleurs pas : des émissions de obligations vertes ont déjà eu lieu en Inde (par exemple, par Yes Bank ou EXIM Bank of India) et en Amérique latine (par Energia Eolica ou BRF) et de nombreux observateurs s'attendent à voir le marché chinois décoller prochainement. Les obligations vertes sont en outre de très bons outils pour promouvoir un développement durable auprès des acteurs du marché. Du côté des émetteurs des pays en développement, la volonté d'émettre des obligations vertes peut conduire des institutions à renforcer leur politique environnementale, sociale et gouvernementale (ESG). Ainsi, certaines banques de pays émergents envisagent de ratifier les Principes de l'Équateur4 pour pouvoir ensuite émettre plus facilement des obligations vertes. Du côté des investisseurs, l'émission d'une obligation verte finançant des infrastructures dans des pays émergents est un moyen privilégié pour sensibiliser les pays développés aux spécificités de ces projets. A titre d'exemple, tous les acheteurs du Climate Bond de l'Agence Française de Développement (en septembre 2014) connaissent désormais le projet urbain intégral de Medellin (Colombie) et savent qu'un couloir avec un tramway et de deux lignes de métrocable dans une région défavorisée peut être un investissement à la fois rentable et bénéfique pour les populations locales. Sur le long terme, les obligations vertes peuvent contribuer à densifier les flux de capitaux privés venant des pays développés et finançant des projets verts dans les pays en développement.Certaines institutions internationales de développement utilisent aussi les obligations vertes pour favoriser l'essor de marchés obligataires locaux. Le groupe Banque mondiale a ainsi émis plusieurs obligations vertes dans les devises de pays émergents (Mexique, Pérou, Chine), à la fois pour dynamiser le marché local, mais aussi pour sensibiliser les investisseurs locaux aux questions sociales ou environnementales – dans des régions où ces aspects sont encore souvent absents des décisions d'investissement. Elles constituent aussi, dans ces pays, un vecteur du développement de la finance responsable.

Pour changer d'échelle

Au-delà, les obligations vertes peuvent être une étape vers le financement direct des acteurs et des projets « verts » dans les pays en développement. Le produit cible serait alors une obligation de projet (project bond) ou bien de portefeuille (titrisation) où le risque du projet (ou des actifs) serait porté directement par les investisseurs. Le contexte est certainement favorable : les investisseurs ayant créé des poches des obligations vertes sont aujourd'hui à la recherche de rendements et d'actifs longs et, pour ce faire, s'intéressent à la fois aux project bonds et aux pays émergents. Pour faciliter cette évolution, les banques de développement peuvent intervenir de différentes manières, de façon ciblée ou concomitante. Elles peuvent tout d'abord tenir le rôle d'agrégateur et assurer le portage pour des projets trop petits pour accéder au marché obligataire, en jouant sur la diversification du portefeuille pour réduire les coûts de refinancement. L'opération rend ainsi envisageable la distribution sur les marchés d'une opération de petite taille. Elles peuvent aussi fournir des garanties partielles afin de faciliter la mise sur le marché de certains projets (garantie sur la phase de construction, garantie des risques politiques, etc.) – l'OPIC5 et la Banque Interaméricaine de Développement sont intervenus de cette manière sur quelques obligations vertes. Par ailleurs, les banques de développement peuvent rehausser le crédit des opérations obligataires pour leur permettre d'atteindre les niveaux de notation attendus par de nombreux investisseurs institutionnels. Il s'agit de s'engager à prendre en charge les premières pertes. Plusieurs banques multilatérales de développement travaillent aujourd'hui sur des montages de ce type dans le cadre d'obligations vertes. Enfin, elles peuvent assurer une capacité de souscription, éventuellement partielle, sur des obligations vertes issues des pays en développement. Cette capacité permet aux banques arrangeuses de se positionner sur des transactions trop risquées selon leurs critères d'analyse classiques : si les banques ne parviennent pas à vendre l'opération, elles ont l'engagement d'un rachat partiel possible. La Société Financière Internationale (SFI) a agi de cette manière pour l'obligation verte, de Yes Bank, qui a lancé ce marché en Inde. De toute évidence, les obligations vertes sont un outil intéressant pour soutenir des projets « verts » dans les pays en développement. Avec l'expertise des banques de développement, l'outil pourrait même permettre leur financement direct. Mais le marché actuel des obligations vertes, autorégulé, est exposé à un risque important : qu'adviendrait-il si un émetteur contrevenait de manière flagrante ?  À ce jour, le marché a bien géré ce risque. Des meilleures pratiques, rédigées par quatre banques6 et publiées au début de l'année 2014 sous la forme de Green Bonds Principles (GBP), ont ainsi été reconnues par la plupart des acteurs (émetteurs, investisseurs, banques). La tendance du marché va d'ailleurs vers une amélioration de ces pratiques : davantage de secondes opinions7 et un reporting sur les impacts environnementaux et sociaux de plus grande qualité. Mais cette absence de régulation ne durera peut-être pas et plusieurs régulateurs et gouvernements se penchent déjà avec intérêt sur cet outil prometteur pour relayer une politique publique de financement de la transition vers une économie bas carbone. La COP21 de décembre prochain pourrait être une bonne occasion pour les gouvernements de trouver l'équilibre entre encadrement et incitation de ce marché.

 

1 La séniorité définit le rang de recouvrement en cas de faillite.
2 Le risque ne porte pas sur le projet car le financement est dirigé vers un émetteur qui redirige ces flux vers un regroupement de projets. Le risque direct porte donc sur l'émetteur et indirectement sur un regroupement de projets.
3 Ce qui explique pourquoi les greens bonds ont souvent été émis par les banques de développement – Banque Européenne d'Investissement, Banque Mondiale, Société financière internationale, KfW, Agence Française de Développement, etc.
4 Les Principes de l'Équateur constituent dans le secteur financier un cadre reconnu de gestion des risques environnementaux et sociaux relatif au financement de projets. Ils engagent les banques signataires à sélectionner leurs investissements selon des critères de respect de l'environnement, des droits sociaux et humains, etc.
5 L'Overseas Private Investment Corporation est une institution américaine de financement du développement.
6 Crédit Agricole CIB, Bank of America Merrill Lynch, Citi et J.P. Morgan.
7 Avis concernant les risques du produit.

 

RÉFÉRENCES :
Climate Bonds Initiative, 2015.
Bonds and Climate Change –The State of the Market in 2015. CBI, juillet 2015. Disponible sur Internet : https://www.climatebonds.net/files/files/CBI-HSBC%20report%207July%20JG01.pdf

Tanguy Claquin

dirige l'équipe Sustainable Banking
Crédit Agricole CIB

Parcours

Tanguy Claquin dirige l'équipe Sustainable Banking, qui conseille les clients de Crédit Agricole CIB sur les projets alliant rentabilité financière et objectifs sociaux et environnementaux. Il a fondé cette activité en 2010. Il travaillait auparavant dans la couverture assurancielle des risques (climat, catastrophes naturelles, etc.). Tanguy Claquin a plus de 15 ans d'expérience dans le conseil et la banque d'investissement.

Crédit Agricole CIB

Crédit Agricole Corporate and Investment Bank (CIB) est la banque de financement et d'investissement du groupe Crédit Agricole. Elle propose à ses clients une gamme de produits et services dans les métiers de la banque de marché, de la banque d'investissement, des financements structurés et de la banque commerciale. Ces quatre dernières années, Crédit Agricole CIB a conduit avec succès la structuration et le placement d'une soixantaine d'obligations vertes et autres « sustainable bonds ».  

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