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Le Chili a connu un essor remarquable de sa production d'énergies renouvelables. Les fondements de cette réussite : l'abondance des ressources naturelles, l'ouverture du marché de l'énergie et un cadre règlementaire solide, couplés à des politiques publiques volontaristes. Riche en enseignements, l'expérience chilienne montre que le recours aux subventions n'est pas toujours nécessaire. Ces dernières années, les capacités de production d'énergies renouvelables non conventionnelles1 ont connu au Chili un essor très rapide.

La capacité totale installée, qui atteignait 980 mégawatts (MW) à la fin de 2013, s'est accrue de 1 000 MW au cours de l'année 2014 ; 1 000 MW supplémentaires devraient s'y ajouter en 2015. Cette croissance s'inscrit dans un contexte de marché fortement dérégulé, où les énergies renouvelables ne sont pas subventionnées. Le contexte énergétique chilien est particulièrement favorable à ce développement : il combine en effet des sources d'énergies renouvelables d'excellente qualité, un prix de l'électricité élevé, une grande ouverture du marché énergétique et un cadre réglementaire efficace. Par ailleurs, la récente amélioration de la compétitivité des énergies non conventionnelles a beaucoup contribué à cet essor. Parce que d'autres pays pourraient probablement s'inspirer du modèle chilien, il est intéressant de se pencher sur les facteurs qui ont conduit à cette évolution, et sur ses implications. La transition vers les énergies renouvelables soulève en outre un certain nombre de difficultés, dont la plus immédiate est la charge que l'intermittence de ces énergies fait peser sur le réseau électrique. La réflexion engagée doit donc se poursuivre pour permettre d'intégrer pleinement les conséquences de ces évolutions sur la problématique énergétique globale du pays.

Le paysage énergétique chilien


Au Chili, la diversité des conditions climatiques et géographiques ainsi que le manque de réserves en énergies fossiles rendent l'approvisionnement énergétique complexe. Avec 60 % de son électricité fournie par des centrales thermiques, le pays est fortement dépendant de ses importations d'hydrocarbures, d'où le niveau élevé et la volatilité des prix. En outre, la faiblesse des investissements dans les infrastructures de transport et la forte concentration du marché de la production conventionnelle viennent affecter les prix de l'énergie – et la compétitivité du Chili. Pour les activités industrielles, le prix moyen du mégawattheure (MWh) s'élève à 150 dollars, soit le double de ce qui est pratiqué au Pérou, concurrent direct du Chili dans le secteur minier (Climatescope, 2014). Pourtant, les énergies renouvelables y sont plus largement disponibles. Un rapport du ministère chilien de l'Énergie (2015), identifie un potentiel de 1 864 809 MW, sous forme d'énergie solaire thermique et photovoltaïque, d'énergie éolienne et d'énergie hydroélectrique. Cela représente plus de cent fois la capacité de production actuellement installée dans le pays. Organisé dans les années 1980, le secteur de l'énergie au Chili est entièrement libéralisé. La régulation du secteur se limite à quelques aspects très spécifiques. Toutes les installations de production, de transport et de distribution sont détenues par des entreprises privées, et la régulation ne s'applique qu'à certains segments clés du système de transport et de distribution: le développement du réseau et la tarification. Du côté de la production, le secteur privé est libre de ses choix d'investissements et la connexion au réseau électrique est basée sur le principe du libre accès2. Les utilisateurs, dont l'installation ne dépasse pas une puissance de 0,5 MW, sont tenus de se fournir auprès d'un distributeur à prix réglementés. Ceux qui disposent d'une installation allant de 0,5 à 5 MW peuvent s'approvisionner aux tarifs réglementés ou négocier directement un contrat d'approvisionnement avec un producteur d'énergie. Enfin, pour les utilisateurs ayant besoin d'une puissance supérieure à 5 MW, la fixation des prix se fait dans le cadre d'une négociation bilatérale ou d'un appel d'offre privé. En 2008, le Parlement chilien a approuvé la toute première loi visant à promouvoir les énergies renouvelables, qui doivent représenter 10 % du total de la production nationale à l'horizon 2024. Les producteurs qui n'arriveraient pas à atteindre l'objectif fixé par la loi peuvent acquérir auprès de leurs confrères des « crédits énergies renouvelables ». En 2013, une nouvelle loi, largement soutenue par le Parlement, a porté l'objectif initial de 10 à 20 %, tout en reculant à 2025 la date butoir. Pour mettre ces chiffres en perspective, il faut savoir qu'en 2014 la production totale d'électricité s'élevait à 70 000 gigawattheures (GWh), dont 8,7 % provenaient de centrales d'énergies renouvelables (Figure).

Le succès des énergies renouvelables

L'augmentation très rapide de la capacité de production installée en énergies renouvelables s'explique par différents facteurs, parmi lesquels la grande disponibilité et la bonne qualité des ressources ainsi que leur faible coût d'exploitation. Avec la diminution constante du coût actualisé de l'énergie (LCOE)3 issue de sources renouvelables, atteindre la « parité réseau4 » n'était plus qu'une question de temps. Entre 2010 et 2012, l'investissement en capital nécessaire pour une centrale photovoltaïque est par exemple passé de 3,42 à 1,61 dollars par watt, soit une diminution de plus de 50 % en à peine deux ans (Bloomberg, 2015). À cette chute des coûts de production s'ajoute une amélioration de l'efficience de la technologie, qui concerne d'ailleurs aussi bien les panneaux solaires que les éoliennes. Répercutée sur les prix, la combinaison de ces différents facteurs a rendu les énergies renouvelables pleinement concurrentielles sur le marché chilien. Les nouveaux projets sont très souvent contestés par les populations riveraines, convaincues qu'il leur faudra en supporter le coût environnemental sans en retirer les bénéfices. Aujourd'hui, la construction d'une nouvelle centrale thermique à charbon – même si elle reste la méthode de production d'électricité la plus économique au Chili – a de grandes chances de déclencher l'opposition des riverains et de se voir contestée sur le plan juridique, avec à la clé des processus légaux pouvant durer plusieurs années. Cela affecte clairement l'intérêt du secteur privé pour de tels investissements ; en comparaison, aucun projet basé sur les énergies renouvelables n'a rencontré d'opposition. D'ailleurs, le Chili se place en cinquième position sur 55 pays (Climatescope, 2014) pour sa capacité à attirer l'investissement dans le secteur des énergies dites « propres ». Le « Programme énergétique 2014 » proposé par le ministre de l'Énergie Maximo Pacheco a fortement contribué à libérer le potentiel du Chili dans ce domaine. Il identifie en effet les énergies renouvelables comme un moyen d'accroître la concurrence, de faire baisser les prix et d'accélérer la transition vers un mix énergétique durable. Le faible degré de réglementation favorise les nouveaux entrants – ce qui pourrait au demeurant devenir une faiblesse : l'intégration rapide des énergies renouvelables entraîne déjà la saturation de certaines portions du réseau électrique dont le renforcement, bien que prévu, a pris du retard. La flexibilité du système chilien a pu être appréciée à l'occasion d'un appel d'offres public lancé au cours du second semestre 2014 par des distributeurs d'électricité, portant sur des volumes pouvant aller jusqu'à 13 000 GWh annuels. Pour la première fois, l'appel d'offre distinguait plusieurs lots, dont certains étaient adaptés aux modalités de production des énergies renouvelables. Ils permettaient en effet de formuler l'offre par tranches horaires de trois heures, de manière à ce que les producteurs d'énergie solaire ou éolienne ne se trouvent pas exposés à la volatilité d'un prix spot5 à un moment de la journée où ils étaient matériellement incapables de produire de l'énergie. Cet appel d'offres a été une réussite ; les producteurs d'énergies renouvelables se sont vus attribuer près du quart des besoins à couvrir et la concurrence introduite par de nouveaux acteurs a permis d'interrompre pour la première fois la tendance haussière des prix de l'énergie. En outre, le prix moyen pondéré de l'électricité fournie par les producteurs d'énergies renouvelables retenus à l'issue de l'appel d'offre était inférieur de 8 dollars par MWh au prix proposé par les fournisseurs d'énergie conventionnelle. L'analyse conduite par l'Association chilienne pour les énergies renouvelables (ACERA, 2014) estime à 360 millions de dollars l'économie que cela représente pour les clients réglementés sur les quinze années que dureront les contrats concernés. Cela démontre clairement que les tarifs d'achat imposés ou les subventions ne constituent pas nécessairement la meilleure solution. Dans le cas du Chili, où les énergies renouvelables étaient déjà prêtes à affronter la concurrence, il a suffi d'adapter les processus d'appel d'offre.

Défis et perspectives

Certains défis subsistent cependant. Le réseau de transport de l'électricité à haute et très haute tension est proche de la saturation. Certes, de nouvelles infrastructures sont prévues – avec notamment le raccordement des réseaux du nord et du centre du pays – mais elles ne seront pas opérationnelles avant quelques années. A cela s'ajoute l'incertitude sur la capacité des générateurs conventionnels à fonctionner en interaction avec les centrales photovoltaïques et les fermes éoliennes, dont la production peut subir des variations brutales. De plus, le risque d'exposition à la volatilité des prix spot est réel pour ceux qui décident de vendre leur électricité sur le marché de gros. Ce risque est accru par l'arrivée sur le réseau d'une énergie renouvelable moins coûteuse, ce qui explique qu'il est de plus en plus difficile pour les projets basés sur les énergies renouvelables ne bénéficiant pas de contrats de vente d'électricité à prix fixes d'obtenir des financements. La nouvelle réglementation identifie clairement les problèmes liés à la capacité du réseau électrique et à la compatibilité entre les acteurs du secteur – et tente d'y répondre. Les risques liés au prix spot devraient être atténués d'ici 2018, une fois que le raccordement prévu entre les infrastructures du nord et du centre sera effectif, alors que l'accès aux contrats de vente à prix fixes permettra aux projets d'énergies renouvelables de trouver plus facilement les financements nécessaires. À l'avenir, les processus d'appel d'offres pour les sociétés de distribution (consommateurs réglementés) devraient inclure systématiquement des lots adaptés aux contraintes de production des énergies renouvelables intermittentes, ce qui devrait leur permettre de poursuivre leur croissance régulière. En outre, la demande des consommateurs non réglementés devrait augmenter d'environ 4 % par an, tirée par de nouveaux projets industriels et miniers. La « parité réseau » est désormais atteinte et le marché est ouvert à toutes les technologies de production d'énergies renouvelables. En outre, si la construction et la mise en exploitation des premiers projets s'appuyaient principalement sur du personnel qualifié étranger, le développement de compétences chiliennes est aujourd'hui vu par le secteur comme un moyen de réduire encore les coûts. Ces enjeux ont également éveillé l'intérêt des pouvoirs publics, qui engagent aujourd'hui des partenariats public-privé, à l'image du Programme stratégique national sur l'énergie solaire, dont l'objectif prioritaire est de parvenir à réduire le coût cette énergie. Enfin, pour beaucoup d'entreprises, dont certaines d'envergure internationale comme ENEL Green Power ou SunEdison, le Chili apparaît également comme une excellente base régionale pour atteindre la plupart des marchés énergétiques du Cône Sud de l'Amérique latine. Des études montrent que l'objectif de 20 % d'énergies renouvelables pourrait être atteint dès 2020, soit quatre ans plus tôt que prévu. D'ici à 2030, le Chili pourrait générer jusqu'à 40 % de son énergie à partir de ressources renouvelables. Le Chili a vécu ces dernières années une véritable révolution énergétique. Le remarquable essor des énergies renouvelables dans le pays s'explique principalement par la diversité et la qualité des ressources disponibles en énergie renouvelable, par l'ouverture du marché permettant à tous types de producteurs d'électricité d'y accéder et par une réglementation qui a été adaptée de façon à supprimer les barrières à l'entrée et à homogénéiser le risque de marché entre les acteurs. Mais quels seraient les facteurs de réussite pertinents pour d'autres pays ? La grande qualité et la diversité des ressources chiliennes est un élément structurel, et donc indépendant des politiques publiques. Mais les efforts de recherche et développement menées au niveau international concernant les technologies liées aux énergies renouvelables permettent d'atteindre, dans un nombre croissant de pays, la « parité réseau » avec les énergies conventionnelles. Les principes d'ouverture du marché chilien, avec une réglementation qui évite les barrières à l'entrée et atténue les risques de marché, sont facilement exportables dans les pays désireux de mettre en place un marché de production d'électricité durable tout en supprimant les tarifs d'achat imposés ou les systèmes de subvention. Le défi du Chili, désormais, est de faire en sorte que tous les acteurs de la filière – investisseurs, producteurs d'électricité, consultants, fournisseurs d'équipements et de services connexes, etc. – parviennent à conquérir de nouvelles parts de marché.

 

1 Les sources d'énergies renouvelables non conventionnelles incluent la géothermie, les énergies éolienne et solaire, la biomasse/biogaz, l'énergie marémotrice, ou encore les centrales hydroélectriques au fil de l'eau ne dépassant pas une capacité de 20 MW.
2 Tout producteur a le droit de se connecter au réseau pour y écouler sa production.
3 Le LCOE est calculé en rapportant les coûts moyens de construction et d'exploitation d'un actif produisant de l'énergie et la quantité totale d'électricité fournie par cet actif sur toute la durée de son fonctionnement.
4 La parité réseau est atteinte lorsque le prix des énergies renouvelables est du même ordre que celui des énergies conventionnelles.
5 Le prix spot correspond au prix fixé pour une livraison immédiate du bien ou du service.

 

RÉFÉRENCES:
ACERA, 2014
. Ulilizacíon de bloques horarios en licitación de suministro a distribuidoras: caso licitación sic 2013/03 - 2º llamado. Disponible en ligne et en espagnol : http://www.acera.cl/wp-content/uploads/2015/02/Minuta-Acera-20122014b.pdf //
Bloomberg, 2015. Q4 2014 global PV market outlook. Bloomberg New Energy Finance. //
CIFES, ministère de l'Énergie, 2015. Programa Estratégico Nacional en Industria Solar-COFRO [Programme stratégique national pour l'énergie solaire-COFRO]. Disponible en ligne en espagnol : http://cifes.gob.cl/blog/custom_landing/programa-estrategico-nacional-en-industria-solar-corfo/. //
Climatescope, 2014. Disponible en ligne sur le site : http://global-climatescope.org/en/. //
Comision Nacional de Energia, 2015. Base de données. Disponible en ligne en espagnol : http://www.cne.cl/estadisticas/energia/electricidad

Carlos Eugenio Finat Díaz

Directeur exécutif
ACERA

Parcours

Carlos Eugenio Finat Díaz est directeur exécutif de l'ACERA ; il est aussi administrateur du Centre pour l'Énergie à l'Université du Chili. En juillet 2014, à la demande du ministère de l'Énergie, il a rejoint la Commission consultative pour l'énergie. Son expérience professionnelle, très variée, couvre de nombreux secteurs d'activité – de la défense à l'énergie en passant par l'industrie minière, l'automobile et les technologies de l'information.

ACERA

L'Association chilienne pour les énergies renouvelables (ACERA) a pour objectif de promouvoir les énergies renouvelables. Elle travaille en particulier à la mise en place d'un cadre réglementaire qui leur est favorable ; elle encourage aussi l'installation de capacités de production allant au-delà des objectifs fixés par la législation nationale pour ce type d'énergie. L'ACERA réunit 120 membres, entités chiliennes ou étrangères, qui interviennent toutes à un stade ou à un autre de la filière.  

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