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Malgré un environnement macroéconomique et politique difficile, Madagascar dispose d’un tissu économique relativement diversifié et dynamique, si on le compare à des pays similaires en termes de niveau de développement. Cette caractéristique nationale explique sans doute la vitalité des social business à Madagascar. Une étude pilotée par l’AFD1 a ainsi permis de dénombrer près de 90 projets2 répondant à une définition large du social business, à savoir des organisations (tous statuts confondus) ayant un objectif social prioritaire et recherchant l’autonomie financière3.

D’où vient le social business à Madagascar ?

Dans un pays où la pauvreté touche plus des deux tiers de la population, avec une faible capacité de l’État à fournir les services essentiels (dans un contexte de crises politiques successives), les acteurs non étatiques essaient de trouver des solutions alternatives pour améliorer les conditions de vie des populations. Il s’agit des organisations de la société civile, des ONG mais également des projets de social business qui ont déjà une longue histoire à Madagascar et qui existaient bien souvent avant la popularisation du terme de social business par Mohammed Yunus.

La moyenne d’âge des projets recensés est en effet de 10 ans et plus d’un tiers des projets ont plus de 15 ans.

Quand on regarde les initiateurs de ces projets, on constate que les ONG sont à l’origine de près d’un projet sur deux (46 %), à la recherche de revenus autonomes pour leur projet de développement, au-delà des seuls financements publics.

À quoi ressemblent les projets de social business à Madagascar ?

Quand on regarde de près les projets recensés, on est frappé par la diversité des projets de social business :

diversité des problèmes sociaux ciblés (insertion, accès à des produits et services essentiels pour les plus pauvres, structuration de filières productives, préservation de l’environnement, etc.) ; diversité des secteurs d’activité (même si la microfinance domine encore avec près d’un tiers des projets) ; diversité des statuts (entreprises mais aussi associations, ONG, coopératives et parfois des montages hybrides) ; diversité des publics cibles (clients, salariés, fournisseurs, personnes extérieures, environnement). Ceci témoigne de la transversalité et de l’adaptabilité du modèle social business à de nombreux domaines.

Le financement, le premier défi du social business

La plupart des projets ont également un caractère innovant : générer des revenus en s’assignant une mission sociale habituellement prise en charge par une politique publique, en ciblant les pauvres et les défavorisés, requiert souvent une capacité à imaginer, à tester des nouveaux modèles économiques. Mais l’innovation, qui plus est sociale, est extrêmement difficile à financer, tant que l’idée nouvelle n’a pas encore été testée (car l’innovateur n’a aucune garantie que le projet va effectivement fonctionner comme prévu). De plus, le nouveau produit ou service peut avoir du mal à trouver son positionnement sur le marché, potentiellement en concurrence avec un produit ou service marchand existant ou avec les activités et distributions gratuites du secteur caritatif. Cette difficulté à financer le projet en phase de démarrage, évoquée par tous les porteurs de projets interrogés, conduit souvent à des temps de maturation de projet très longs ( jusqu’à 10 ans sur certains projets). Financer un business model innovant sans perspective de rentabilité financière reste bien le premier défi du social business, à Madagascar comme ailleurs.

Générer des revenus en s’assignant une mission sociale (...) requiert souvent une capacité à imaginer, à tester des nouveaux modèles économiques.

Le changement de statut, une pratique courante

On a également remarqué, au cours du cycle de vie des projets, que la majorité d’entre eux avaient connu des changements de statut (mue statutaire), sachant qu’il n’existe pas de statut spécifique pour les entreprises sociales à Madagascar. Il est ainsi fréquent que le projet ait démarré avec un statut plutôt non-lucratif (ONG, association, coopérative) puis, en développant une activité commerciale, et pour des raisons réglementaires et fiscales, le projet se transforme en société, statut qui n’est pas non plus toujours bien adapté au projet, quand il s’agit de sécuriser la mission sociale. Pour cela, chaque projet invente sa solution : la société commerciale a pour actionnaire majoritaire une association caritative, des pactes d’actionnaire sont signés, des comités d’éthique et de surveillance sont créés, etc. Une mauvaise adéquation entre activité et statut peut générer un risque, de nature fiscale et réglementaire, pour la survie du projet.

Les facteurs clés de succès d'un social business

On constate qu’il est préférable de privilégier au démarrage un seul objectif social (et un seul public cible) pour éviter de multiplier les tensions et les arbitrages entre les objectifs. Une fois l’équilibre financier atteint, il sera toujours possible d’élargir l’ambition sociale du projet. Il faut également anticiper au mieux le positionnement du nouveau produit ou service sur le marché par rapport à la concurrence éventuelle et aux activités du secteur caritatif (en réalisant par exemple une étude de marché sérieuse au démarrage du projet). Enfin, il est essentiel de veiller à une bonne adéquation entre le statut et l’activité du projet et à préserver la mission sociale dans les statuts (ingénierie juridique).

Quelques leçons pour les institutions financières de développement

Les difficultés de financement des social business en phase de démarrage ressemblent beaucoup à celles rencontrées par les start-up innovantes, mais sont aggravées par l’absence de perspectives de rendement financier élevé à terme, ce qui exclut la plupart des financements privés classiques. Un accompagnement de type incubateur apparaît souvent approprié, mais son financement reste un défi dans la plupart des pays en développement. Il convient d’adapter les instruments de financement et d’accompagnement à la diversité des secteurs et des statuts, mais aussi de s’adapter à l’initiateur du projet : s’il s’agit d’une ONG, l’accompagnement portera plutôt sur la dimension économique et managériale tandis que s’il s’agit d’un entrepreneur, le soutien pourra insister davantage sur la dimension sociale.

 

1 Étude sur l’entreprenariat social à Madagascar, Notes techniques de l’AFD, 2014.
2 Nous parlerons ici en termes de projets « social business », car de nombreux projets n’ont pas (encore) le statut d’entreprise.
3 Le statut n’a pas été retenu comme un critère discriminant pour l’étude, ayant rapidement constaté que de nombreux statuts peuvent co-exister dans la mise en œuvre de ce type de projet.  

 

RÉFÉRENCES :
AFD, 2014.
Étude sur le développement de l’entreprenariat social à Madagascar. Note synthétique du Rapport final, janvier 2014, disponible sur : http://www.afd.fr/webdav/site/afd/shared/PORTAILS/PAYS/MADAGASCAR/ afd-social-business-note-synthetique.pdf
AFD, 2015. Le social business, un nouveau modèle de développement durable ? Question de développement n° 22. Synthèses des études et recherches de l’AFD. Mars 2015. Disponible sur : http://www.afd.fr/webdav/site/afd/shared/PUBLICATIONS/RECHERCHE/ Scientifiques/Question-developpement/22-question-developpement.pdf

Nicolas Vincent

Chargé d’études
Agence française de développement (AFD)

Parcours

Nicolas Vincent est économiste chargé d’études et coordonnateur de projets de recherche à l’AFD depuis 2013. Après un doctorat en macroéconomie internationale, il a acquis une solide expérience des études tant dans le secteur privé (institut d’études, industrie automobile) qu’en administration publique (Direction Générale du Trésor). Il travaille aujourd’hui sur les thèmes du financement du développement et des mutations de l’aide publique au développement.

Agence française de développement (AFD)

L’Agence française de développement (AFD) contribue à mettre en œuvre la politique de la France en matière de développement et de solidarité internationale. À travers ses activités de financement du secteur public et des ONG, ses travaux et publications de recherche (Éditions AFD), de formation sur le développement durable (Campus AFD) et de sensibilisation en France, elle finance, accompagne et accélère les transitions vers un monde plus juste et résilient. Ses équipes sont engagées dans plus de 3 250 projets sur le terrain, dans les Outre-mer, dans 115 pays et dans les territoires en crise, pour les biens communs – le climat, la biodiversité, la paix, l’égalité femmes-hommes, l’éducation ou encore la santé.

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