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Le transport aérien représente une opportunité particulièrement adaptée au contexte africain. Mais le secteur est encore très dépendant de la sphère politique, les organismes de contrôle sont souvent inefficaces ou corrompus, les flottes sont anciennes et les aéroports inadaptés. L’adoption de certaines mesures politiques, financières et techniques, permettrait au secteur de contribuer de façon importante au développement du continent.

Moyen de transport le plus sûr, le moins cher et le plus facile à mettre en œuvre – surtout dans un contexte marqué par la faiblesse des infrastructures routières –, le transport aérien représente une fantastique opportunité pour l’Afrique. Ayant une faible emprise au sol, les infrastructures aéroportuaires sont beaucoup plus faciles à sécuriser et à entretenir que le réseau routier, voire ferroviaire. Elles sont aussi moins chères, car une piste de 1 600 m suffit à tous les appareils courts et moyen-courriers ; le différentiel de coût d’exploitation au kilomètre parcouru est largement compensé par le faible coût d’entretien des infrastructures aéroportuaires. Enfin, elles sont aussi assez faciles à exploiter, car elles sont très encadrées et normées. Pourtant, la situation du transport aérien en Afrique n’est pas à la hauteur du potentiel qu’il représente. Après la décolonisation, tous les états africains nouvellement indépendants ont souhaité avoir leur propre compagnie aérienne internationale. De très nombreux transporteurs ont ainsi vu le jour, comme Air Mali, Air Mauritanie, Air Sénégal, Air Gabon, etc., sans avoir toujours la capacité de survivre dans un environnement en pleine dérégulation. Aujourd’hui, la grande majorité des compagnies africaines1 essaie de survivre sans avoir les moyens de se développer (Encadré 1); elles souffrent de graves déficiences en capitaux et en management. Le secteur pâtit en particulier d’un environnement politique peu favorable, d’une flotte et d’infrastructures inadaptées.

 

État des lieux du transport aérien africain

Sur le continent africain, 40 pays ont au moins une compagnie aérienne ; 16 en ont plusieurs. Mais sur les 97 compagnies africaines enregistrées à l’Official Airline Guide (OAG, 2016), seules 23 d’entre elles possèdent des codes IATA. Délivrés par l’International Air Transport Association (IATA) et constitués de deux ou trois lettres, ces codes reconnus internationalement permettent aux compagnies d’être distribuées dans le monde par le canal des agents de voyages. Le continent se caractérise donc par une forte proportion de compagnies très petites, n’ayant qu’une vocation locale. Au total, treize compagnies pratiquent le low cost. L’Afrique se distingue aussi par un trafic passager faible. Quatorze compagnies transportent plus de 500 000 passagers par an et seules neuf dépassent un million de passagers – ce qui reste très modeste. Au total, avec environ 100 millions de passagers par an, les transporteurs africains représentent moins de 3 % du trafic mondial – ces chiffres ne prennent pas en compte les passagers transportés par les compagnies qui ne sont pas africaines (transporteurs européens ou ceux du Golfe), très implantées sur certaines destinations. Seuls deux aéroports africains sont présents dans la liste des 150 premiers aéroports mondiaux en termes de trafic (Airline Business, 2016). Il s’agit de Johannesburg – qui se place en 98e position avec 20,076 millions de passagers – et Le Caire, situé à la 117e place avec 14,678 millions de passagers. Tous les autres aéroports africains traitent moins de dix millions de passagers par an. Enfin, en matière de sécurité aérienne, 13 États ne sont pas jugés aptes à effectuer les contrôles de leurs compagnies et voient par conséquent tous leurs transporteurs placés sur la liste noire du transport aérien de l’Union européenne – conformément au règlement du 21 décembre 2015 relatif à l’interdiction d’exploitation pour des motifs de sécurité. Deux États disposent néanmoins d’une dérogation pour leur transporteur national. Au total, 114 compagnies sont placées sur cette liste noire – il faut préciser que beaucoup d’entre elles sont marginales dans le secteur du transport aérien.

 

Un environnement peu favorable

Par la Déclaration de Yamoussoukro, datant de 1988, l’Afrique a été la première à ouvrir, sur le papier certes, la voie vers les accords de « ciel ouvert »2. Malgré ces accords, les États ont encore bien du mal à laisser le transport aérien quitter la sphère politique et continuent à protéger leur transporteur national.

L’ouverture de l’espace aérien, au contraire, permet aux transporteurs de se réformer. Royal Air Maroc en est un bon exemple. Sous la pression de son industrie touristique, le Maroc a signé un accord de « ciel ouvert » avec l’Europe. Mis en difficulté par la concurrence des transporteurs européens, Royal Air Maroc a été contraint de trouver un nouveau modèle d’expansion en ouvrant un hub performant à Casablanca pour relier l’Afrique de l’Ouest à l’Europe. Cette stratégie s’est révélée payante. Mais il reste bien difficile, pour la plupart des États africains, de libéraliser le transport aérien ; après tout, l’espace aérien leur appartient et il conserve une dimension symbolique et politique forte. Malheureusement, les pouvoirs publics n’ont pas souvent les compétences et les moyens nécessaires à la bonne gestion de ce secteur d’activité. Dans beaucoup de pays, les responsables des compagnies aériennes sont toujours nommés en fonction de leur proximité avec le pouvoir politique en place – et non pas en raison de leurs compétences. Le transport aérien en Afrique est par ailleurs entravé par le manque d’efficacité ou de crédibilité des organismes de contrôle. Chaque pays dispose d’une direction de l’Aviation civile, chargée de veiller que les acteurs du secteur suivent les règles internationales acceptées par tous les États. L’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) délègue donc aux autorités aéronautiques de chaque pays le soin d’inspecter les compagnies aériennes domiciliées sur leur territoire. Les certificats délivrés doivent permettre aux transporteurs d’exercer leur activité dans le monde entier, sous réserve de l’attribution des droits de trafic. Seulement, certaines aviations civiles sont tellement déficientes que l’OACI ne peut plus leur délivrer les habilitations pour qu’elles valident leurs transporteurs. Les conséquences sont dramatiques, car ces derniers, même s’ils sont performants, se voient immédiatement placés sur une liste noire et leur activité est limitée au seul territoire sur lequel ils sont enregistrés. C’est le cas de 15 pays du continent et en particulier de la République démocratique du Congo – dont toutes les compagnies aériennes sont sur la liste noire européenne, l’OACI refusant de valider les audits faits par les services de l’Aviation civile de ce pays, jugés laxistes et corrompus. Car, c’est une réalité, le transport aérien souffre aussi en Afrique de la corruption et de détournements de fonds. Ces pratiques ne sont pas l’apanage du continent, mais elles y sont largement répandues – au point de mettre en danger l’existence même des compagnies. Les exemples sont hélas très nombreux – du Mali à Madagascar en passant par le Gabon, entre autres –, depuis la surfacturation des appareils jusqu’au détournement des ventes réalisées dans les pays étrangers.

 

Flottes disparates et infrastructures peu adaptées

Beaucoup d’États africains ne disposent pas des revenus suffisants pour financer convenablement leurs compagnies aériennes et leurs infrastructures au sol. Un avion moderne coûte très cher – environ 500 000 dollars par siège ; pour acheter un appareil de taille moyenne, disons un Airbus 319 de 150 sièges, il faut mettre sur la table 75 millions de dollars. Or, la construction d’une flotte moyen-courrier réclame au moins entre 10 et 20 appareils. Où trouver cet argent ? Certes, la plupart des avions s’acquiert maintenant en location ou en leasing, il n’empêche que le banquier réclamera les garanties correspondantes avant de financer l’investissement. Et il sera d’autant plus frileux si le transporteur appartient à l’État, du fait de l’instabilité politique du continent. Alors les transporteurs africains utilisent bien souvent des appareils peu coûteux à l’achat mais âgés, difficiles à entretenir et chers à exploiter. Or, sans flotte moderne et sans infrastructure au sol de qualité pour les opérations et la maintenance, il n’y a pas de transport aérien prospère. En outre, beaucoup de transporteurs ont des flottes très réduites, de moins de dix appareils, souvent disparates : il n’est pas rare que tous les appareils soient de modèles différents. Comment, dans ces conditions, assurer une maintenance correcte et une formation adaptée ? Le principal avantage du transport aérien est de pouvoir s’affranchir en grande partie des infrastructures routières ou ferroviaires, que ce soit pour les passagers ou pour le fret.

Si les grands aéroports sont convenablement équipés, le réseau « secondaire » – quand il existe – ne l’est pas toujours. Pourtant, pour répondre aux besoins de la population et soutenir la croissance économique, chaque ville moyenne devrait être équipée de plateformes en dur (et non pas de pistes en terre) disposant d’outils de contrôle aérien performants permettant de pouvoir utiliser des appareils modernes. Les villages devraient eux aussi être desservis, ne serait-ce qu’à partir de pistes en terre avec des appareils de moins de vingt places. Or, ce maillage territorial serré n’existe pas.

 

Rendre le transport aérien plus performant

Pour améliorer le fonctionnement du secteur et réduire la corruption, il faut avant tout appliquer les standards définis par l’OACI et par l’International Air Transport Association (IATA). Ces deux organismes édictent les règles du transport aérien ; les États sont représentés à l’OACI et les compagnies à IATA. Les États sont audités régulièrement par les inspecteurs de l’OACI ; s’ils ne respectent pas les règles, l’OACI leur enlève leur droit d’audit des transporteurs enregistrés sur leur territoire et ces derniers sont immédiatement ajoutés à la liste noire. Heureusement, la grande majorité des pays africains suivent actuellement ces règles. Celles de IATA ne sont pas moins contraignantes. Cet organisme facilite la facturation entre les transporteurs et les agents de voyage et sert de chambre de compensation pour les compagnies. Aucun transporteur ne peut se passer de ses outils financiers – sauf à rejoindre la petite cohorte des compagnies à bas coûts qui utilisent pour l’essentiel la vente directe à grands renforts de publicité. Les services proposés par IATA – en particulier le Billing and Settlement Plan et l’Interline Clearing House (Encadré 2) – empêchent de fait tout détournement de l’argent des ventes et constitue par conséquent un moyen extrêmement efficace pour lutter contre la corruption. Malheureusement, un grand nombre de compagnies aériennes africaines méconnaissent ces produits. Un effort de formation technique permettrait sans doute d’augmenter leur utilisation.

 

Les produits proposés par IATA
Le Billing and Settlement Plan (BSP) est utilisé par toutes les agences de voyages. Au lieu de détenir un stock de billets de chaque transporteur, les agences utilisent un billet neutre sur lequel elles émettent les titres de transport et les attribuent à une compagnie aérienne. Un billet Dakar-Paris-Copenhague, par exemple, qui fait intervenir Air France et SAS, sera émis par l’agence de voyages de Dakar sur un billet neutre BSP qu’elle attribuera à Air France. En fin de mois, l’organisme gestionnaire du BSP prélève le montant des ventes de toutes les agences de voyages, les répartit selon les compagnies sans qu’il puisse y avoir d’intermédiaire. Le système est suffisamment bien fait pour éviter tout détournement d’argent. Mais dans cet exemple, Air France a encaissé l’intégralité du prix du billet et SAS a transporté le passager sans avoir encore été rémunéré. Les deux compagnies ont entre elles un accord « Interline » qui permet l’acceptation réciproque des billets. Une fois le transport effectué, SAS envoie sa facture à Air France. Comme toutes les compagnies doivent de l’argent à beaucoup d’autres qui leur doivent elles-mêmes de l’argent, les transactions se font par le biais d’une chambre de compensation, l’Interline Clearing House (ICH) qui appartient et est géré par IATA.

 

Pour dynamiser le secteur, il faudrait par ailleurs que les États africains s’engagent résolument à appliquer les accords de « ciel ouvert » déjà signés et qu’ils mandatent une autorité continentale – peut-être l’Union africaine – pour négocier les accords de trafic avec l’Europe et les pays du Golfe. Le continent africain est en fort développement et son espace aérien est convoité. Il faut donc pouvoir négocier des accords réciproques, mais aucun pays africain n’est assez puissant pour discuter d’égal à égal avec les autorités européennes ou avec les puissants transporteurs du Golfe (Emirates, Etihad ou Qatar Airways). L’Afrique doit arriver unie à ces négociations. Enfin, il faudrait créer un fonds d’investissement consacré au transport aérien, dont les ressources serviraient à la fois à financer les infrastructures et les compagnies aériennes. Entité privée, neutre et totalement indépendante des États, ce fonds serait préoccupé uniquement de sa propre rentabilité. Doté d’au moins 100 milliards de dollars, il financerait uniquement les projets qu’il estimerait les plus aboutis.

La priorité en matière d’équipement et d’infrastructures devrait être la densification du réseau aérien « secondaire » – avec pour objectif de desservir même les petites villes. En parallèle, les États devraient aider à rendre ce type de transport abordable pour le plus grand nombre. Dans un deuxième temps, il sera sans doute possible d’avoir des réseaux régionaux puissants – certains, d’ailleurs, existent déjà mais pâtissent de fréquences trop faibles. Enfin viendront les dessertes intercontinentales. Le continent africain jouit d’une forte croissance, portée par une meilleure stabilité politique, une population en augmentation et l’émergence d’une classe moyenne bien éduquée. Dans ce contexte, le transport aérien peut être un formidable facteur d’accélération du développement, à condition de ne pas laisser passer cette opportunité.

 

1 Il faut tout de même préciser que certaines compagnies aériennes comme Ethiopian Airlines, Kenya Airways, Egyptair ou Royal Air Maroc sont des transporteurs de bon niveau qui ont largement intégré les systèmes mondiaux
2 La Déclaration de Yamassoukro octroie à toutes les compagnies aériennes africaines les droits de cinquième Liberté, autrement dit le droit de charger des clients dans un pays pour les acheminer dans un autre pays.
3 Ils vont du droit de survol pour des raisons techniques au droit de cabotage, qui consiste à desservir des lignes domestiques à l’intérieur des pays.

Jean-Louis Baroux

Président
APG World Connect

Parcours

Jean-Louis Baroux a quarante-cinq ans d’expérience dans le secteur du transport aérien. En 1991, il fonde APG Global Associates, premier réseau mondial de services commerciaux pour le transport aérien. Il est créateur et Président de l’APG World Connect et de l’APG Academy. Jean-Louis Baroux est l’auteur de Compagnies aériennes : la faillite du modèle, de Transport aérien : une profession au bord de la crise de nerfs, et de Terreur sur le Vatican (Archipel, 2010, 2012 et 2014).

APG World Connect

APG World Connect est une conférence mondiale sur les aspects commerciaux et de distribution du transport aérien qui réunit annuellement plus de 400 décideurs commerciaux et généraux de compagnies aériennes. 80 pays et 65 compagnies y sont représentés. L’APG Academy est en système de formation en ligne sur la distribution du transport aérien.

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