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L’assurance indicielle permet le paiement de prestations en fonction d’un indice prédéterminé (pluviosité, mortalité du bétail, etc.) en cas de pertes liées au climat et/ou à des catastrophes, sans avoir à évaluer les demandes d’indemnisation. Cet article s’intéresse aux niveaux micro et méso de sa distribution, à la lumière des expériences du Programme global pour l’assurance indicielle (GIIF)1.

AU SÉNÉGAL, UNE ASSURANCE AGRICOLE LIÉE À DES « CRÉDITS EN NATURE »

Au Sénégal, le GIIF est partenaire de la Compagnie nationale d’assurance agricole (CNAAS) dans le développement de l’assurance indicielle contre la sécheresse pour les cultivateurs d’arachide. La CNAAS propose des produits d’assurance indicielle via des coopératives agricoles, des institutions de microfinance ou des banques agricoles. Ces agrégateurs sont des acteurs-clés : ils fournissent une gamme de services variés, y compris des intrants à crédit (ou crédit « en nature »), l’accès au marché (en agissant comme intermédiaires entre les agriculteurs et les grands acheteurs), des services de conseil et d’information (meilleures pratiques agricoles, informations météorologiques, etc.). Au cours des trois dernières années, certaines coopératives agricoles ont commencé à proposer une assurance combinée à des crédits en « nature ». Pour pouvoir en bénéficier, les agriculteurs doivent contracter l’assurance (rendue obligatoire). Ils remboursent l’emprunt et la prime d’assurance après récolte, en vendant leur production à la coopérative. En 2015, environ 2 700 planteurs d’arachide ont été assurés2. Les coopératives agricoles sont devenues le premier recours pour les demandes d’indemnisation. Les paiements sont effectués uniquement aux planteurs qui ont remboursé leur prêt en fin de saison. En 2015, 36 % des paiements ont été conservés, pour couvrir le non-règlement des crédits en « nature » par les cultivateurs assurés3. Cet exemple de distribution au niveau micro montre comment l’assurance indicielle peut être intégrée à des programmes de prêt (pour des intrants par exemple) en faveur des petits exploitants agricoles. En rehaussant leur solvabilité au moyen d’une couverture d’assurance, les planteurs et coopératives agricoles participantes espèrent pouvoir emprunter davantage et à de meilleures conditions – les coopératives agricoles sénégalaises disposant d’un pouvoir de négociation accru avec les institutions financières. Plusieurs études ont mis en évidence l’impact significatif de l’assurance agricole sur le comportement des cultivateurs en matière de prise de risques4, mais son impact sur l’accès au crédit est moins documenté. Une analyse de l’activité de prêts par les coopératives agricoles sénégalaises suggère que seulement une partie réduite du crédit de production auquel les petits exploitants agricoles accèdent est liée à l’assurance (moins de 5 % en 2014). Même pour les programmes d’assurance d’envergure et bien établis comme en Inde ou au Mexique, il n’y a pas d’élément probant indiquant que l’assurance a permis de sécuriser les prêts agricoles (par exemple en réduisant la proportion de prêts non-performants au cours des mauvaises années) ou qu’elle a été utilisée par les institutions financières pour étendre le prêt agricole (volumes de crédit et/ou segments d’emprunteurs plus importants, meilleur taux de marché, maturités plus longues, etc.). Des recherches complémentaires restent nécessaires.

 

BANGLADESH : L’ASSURANCE INDICIELLE COMME OUTIL DE GESTION DU RISQUE

PRAN Foods, l’une des plus importantes entreprises de transformation agroalimentaire au Bangladesh, a souscrit à une assurance indicielle méso chez Green Delta au cours du premier semestre 20165. GIIF était partenaire de Green Delta pour développer ce produit, destiné à assurer le manioc (le glucose est utilisé dans la fabrication des boissons énergisantes) contre les périodes de froid et la pluviosité excessive aux stades critiques de culture. Une soixantaine de planteurs sur une quarantaine d’hectares ont été assurés. PRAN a souscrit cette assurance pour couvrir la valeur de la récolte prévue sur 40 hectares sélectionnés pour le programme pilote (environ 130 dollars par acre, soit 13 000 dollars au total). L’entreprise est à la fois le titulaire de la police et l’assuré : elle a payé la prime et sera le seul bénéficiaire des paiements, qui lui permettront de couvrir partiellement ses besoins de liquidité en cas de choc météorologique majeur affectant la production locale. Au cas où le sinistre affecterait moindrement l’approvisionnement de l’entreprise, PRAN envisage de transférer les paiements aux planteurs, sous forme de prime, pour les sensibiliser aux avantages de l’assurance. Il s’agit là d’une première étape dans la transition d’une assurance souscrite par l’entreprise au niveau méso, vers une assurance souscrite par les planteurs au niveau micro. L’ambition de cette initiative est d’inciter les planteurs à assurer eux-mêmes leurs récoltes – le coût pouvant être partagé avec PRAN – et, ainsi, de les encourager à poursuivre la culture du manioc, relativement nouvelle dans le pays. Il reste difficile de tirer des conclusions sur l’impact de la couverture au niveau méso, mais l’exemple de PRAN fournit néanmoins des indications utiles. Premièrement, la couverture au niveau méso peut améliorer l’accès aux marchés. PRAN est une entreprise nouvelle dans le secteur de l’agriculture contractuelle au Bangladesh et son programme a ouvert un nouveau marché aux petits exploitants agricoles locaux. De plus, la disponibilité d’une assurance pour sécuriser l’approvisionnement de l’entreprise en matière première pourrait s’avérer un facteur critique pour établir une production de manioc locale et durable.

Deuxièmement, la démarche de PRAN, qui consiste à préparer la transition d’une couverture au niveau méso vers le niveau micro (pour les planteurs), offre une illustration intéressante des stades de développement de l’assurance indicielle décrits par J. R. Skee6. Le régime au niveau méso de PRAN est conforme au premier stade : les produits sont vendus aux agrégateurs pour s’assurer contre les catastrophes naturelles. En contractant cette assurance, PRAN limite son risque de liquidité, en cas de mauvaises récoltes locales qui l’obligeraient à importer des quantités importantes de manioc.  

 

Distribution de l’assurance aux niveaux micro et méso

Les polices d’assurance au niveau micro sont destinées aux planteurs individuels. Elles sont, pour la plupart, vendues par l’intermédiaire d’agrégateurs, tels que les institutions financières ou les coopératives agricoles. L’agrégateur est normalement le titulaire de la police, ce qui rend l’administration plus facile pour l’assureur. Les planteurs individuels sont les parties assurées qui, in fine, paient la couverture et en bénéficient. L’assurance est parfois obligatoire pour les planteurs travaillant avec l’agrégateur, par exemple pour ceux qui bénéficient d’un prêt d’une institution de microfinance ou d’intrants à crédit provenant d’un programme d’agriculture contractuel. La distribution au niveau méso fournit une assurance destinée à des sociétés à des fins de gestion de risques. L’agrégateur est le titulaire de la police, la partie assurée et le client de l’assureur. Des institutions financières peuvent contracter des polices d’assurance pour couvrir les risques de défaut résultant de chocs majeurs dans le secteur agricole. Des entreprises agroalimentaires peuvent, elles, contracter des polices d’assurance pour couvrir le risque de non-recouvrement des intrants avancés aux cultivateurs contractuels ou de fourniture insuffisante de matières premières due à de mauvaises récoltes. La distribution au niveau méso se développe depuis peu, les exemples restent rares.

 

L’idée de PRAN, qui consiste à utiliser les paiements comme des « primes », faciliterait activement un passage au deuxième stade, où l’assurance offre un avantage direct aux planteurs. Troisièmement, l’assurance au niveau méso pour les acteurs de la chaîne de valeur agricole, tels que PRAN, peut représenter une opportunité commerciale plus attrayante pour les compagnies d’assurance. En effet, les entreprises agricoles ont un intérêt direct à assurer la valeur de la production agricole et pas seulement la valeur des intrants. Ce qui, pour les assureurs, se traduirait par des volumes de primes nettement supérieurs.

Mais il convient encore d’apporter des éléments robustes de preuve en ce qui concerne les régimes de distribution aux niveaux micro et méso. Les recherches futures devront se concentrer sur leurs avantages et inconvénients respectifs. Les mérites de la distribution à ces deux niveaux seront, en général, fortement influencés par les risques propres à chaque contexte, contre lesquelles les produits d’assurance sont conçus.

 

1 Le GIIF est un fonds de fiducie à donateurs multiples, financé par le groupe ACP du Conseil de l’Union européenne, le ministère des Finances du Japon et le ministère des Affaires étrangères des Pays-Bas. Il vise à développer l’assurance basée sur un indice climatique et de catastrophe dans les pays en développement. Les partenaires régionaux de GIIF ont assuré 138 millions d’euros d’actifs pour plus de 1,2 million de petits agriculteurs et de petites entreprises. Ils ont également fourni à des millions de personnes des informations sur l’accès à l’assurance indicielle.
2 En 2015, presque 9 000 cultivateurs s’étaient inscrits, mais n’ont finalement pas contracté de couverture. Ce chiffre est à comparer à 5 667 inscrits en 2014, 2 325 en 2013 et 60 en 2012.
3 Sondage effectué auprès de 212 planteurs en décembre 2014.
4 Karlan D., Osei R., Osei-Akoto I. et Udry C., « Décisions du secteur agricole après le relâchement de l’accès au crédit et des contraintes de risque », The Quarterly Journal of Economics 129.2, 2014 ; ainsi que Ghada E. et Carter M., « Aversion au risque de base et risque composite : Preuves provenant d’une expérience WTP au Mali », Initiative d’innovation de l’assurance basée sur un indice, 2014.
5 Les entreprises agro-alimentaires peuvent également être des agrégateurs pour la couverture au niveau micro. En 2012-2013, deux sociétés cotonnières du Mozambique ont, par exemple, soutenu l’assurance d’environ 40 000 producteurs contractuels de coton. Le coût de l’assurance a été déduit, avec les coûts d’intrants, de leur paiement à la livraison après récolte.
6 Skees, J. R., « Défis de l’utilisation de l’assurance basée sur l’indice climatique dans les pays à revenus plus faibles », Agricultural Finance Review, 68.1, pp. 197-217, 2008.

Chloe Dugger

Responsable des opérations « finance et marchés »
Banque mondiale

Parcours

Chloe Dugger dirige des projets de conseil pour des entreprises cherchant à développer l’assurance agricole et indicielle en Afrique. Elle est titulaire d’une maîtrise en études du développement de l’université d’Oxford.

Rachel Sberro-Kessler

Analyste de recherche sur le financement de l’agriculture
Banque mondiale

Parcours

Rachel Sberro-Kessler travaille à l’amélioration de l’accès des agriculteurs et des PME agricoles à des services financiers adéquats. Elle est titulaire d’une maîtrise en administration des affaires (ESSEC, Paris) et d’une maîtrise en affaires publiques (MPA) de Sciences-Po (Paris).

Banque mondiale

Le groupe de la Banque mondiale est une des plus grandes sources de financement et d'expertise  pour les pays en voie de développement. Le groupe comprend 5 institutions étroitement associées : la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développent (BIRD) et de l'Association Internationale pour le Développement (AID), la Société Financière Internationale (SFI), l'Agence Multilatérale de Garantie des Investissements (AMGI), et le Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements (CIRDI). Chaque institution joue un rôle important dans la lutte contre la pauvreté et l'amélioration des conditions de vie des populations vivant dans les pays en voie de développement. Pour de plus amples informations vous pouvez visiter nos sites www.worldbank.org, www.miga.org, et  www.ifc.org.    

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