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Les autorités portuaires disposent d’un ensemble de leviers pour entrer dans une logique de « port vert » : capacité de contractualisation, fiscalité, certifications environnementales, adoption de normes internationales. Mais si les ports des pays développés évoluent rapidement vers plus de durabilité, leurs homologues africains peuvent avoir besoin d’appuis pour répondre aux enjeux environnementaux.  Les bailleurs de fonds peuvent y contribuer.

Le secteur du transport maritime, pourtant  fondamental  pour  le  commerce mondial, est responsable d’un certain nombre d’externalités négatives. Les oxydes de soufre émis par la combustion du fioul lourd utilisé comme carburant par les navires engendreraient par exemple quelques 60 000 décès prématurés par an dans l’Union européenne (Van Eeckhout, 2015). Par ailleurs, ce sont quelques 6,4 millions de tonnes de déchets marins qui sont rejetées chaque année dans les océans et les mers (UNEP, 2005) ; en 2015, les tankers ont déversé dans l’eau quelques 7 000 tonnes d’hydrocarbures (ITOPF, 2016).Si la majeure partie de ces impacts est générée par les navires eux-mêmes, les ports sont aussi à l’origine d’un certain nombre de nuisances environnementales : pollution de l’eau et de l’air, modification du milieu ambiant, production de déchets, etc. Souvent localisés dans des bassins de population très denses, ils peuvent générer des conflits d’usage pour les espaces côtiers ou des nuisances pour les populations environnantes (niveaux de bruit ou d’éclairage). Par la mise en place, notamment, de normes spécifiques, de labels, de certifications, l’évolution de la réglementation internationale et européenne pousse aujourd’hui la plupart des acteurs du secteur maritime à réduire leurs impacts environnementaux et climatiques.  

MOYENS D’ACTION, BONNES PRATIQUES ET CERTIFICATIONS : DES OUTILS AU SERVICE DES « PORTS VERTS »

Ainsi, de plus en plus de ports tentent de prendre des mesures pour prévenir les pollutions marines ou aériennes, pour améliorer leur efficacité énergétique, pour mieux gérer leurs déchets et diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre. De par sa position clef dans la chaîne logistique, l’autorité portuaire est l’acteur principal de l’évolution d’un port. En tant que gestionnaires de leurs ouvrages, les  autorités  portuaires  peuvent  intégrer  les problématiques environnementales et sociales dans leur planification stratégique. Elles peuvent aussi rendre très concrètement leurs infrastructures plus durables, en utilisant par exemple des matériaux durables économes en énergie pour leurs travaux ou en mettant à disposition des branchements électriques qui évitent que les navires ne consomment leur carburant à quai. En tant que gestionnaires de zones d’activités, les autorités portuaires peuvent encourager les différents intervenants de la zone à évoluer. Elles disposent en effet d’outils de régulation et d’incitation financière : les taxes portuaires peuvent être différenciées selon la performance environnementale des navires, une taxe sur les carburants carbonés peut être instaurée et/ou un rabais pour les moteurs « propres » consenti. Enfin, elles peuvent s’appuyer sur leur capacité de contractualisation pour favoriser les changements, notamment par l’introduction de clauses environnementales dans les contrats de concession, sur l’efficacité énergétique des équipements de manutention par exemple. En tant qu’acteur local, l’autorité portuaire intervient aussi dans les réflexions sur les interfaces entre le port et son environnement : schéma d’aménagement urbain, modalités de transit des marchandises, etc.

Les autorités portuaires, enfin, peuvent s’engager dans différents systèmes de certifications environnementales : certification ISO 14001, Eco-management and Audit Scheme de l’Union européenne ou encore le Port Environnemental Review System. L’European Sea Ports Organization (ESPO) a développé un label – « EcoPorts » – destiné à des ports adhérant volontairement à de bonnes pratiques en matière de développement durable ; aujourd’hui, 98 ports sont labellisés. La prise de conscience des enjeux environnementaux et climatiques, et la disponibilité de ces différents outils ont fait émerger le concept de « port vert » – un port où les autorités de gestion et les acteurs adoptent une approche respectueuse de la société et de l’environnement en s’appuyant sur les trois piliers de la durabilité : sociale, économique et environnementale.  

UNE MISE EN ŒUVRE DIFFICILE DANS LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT

Même si ces démarches sont avant tout volontaires, le contexte international et la forte concurrence que se font aujourd’hui les ports au niveau mondial les incitent à les mettre en œuvre. Une étude de l’ESPO montre que, entre 2004 et 2013, de nombreux progrès en termes de management environnemental ont été réalisés¹. De nombreux ports d’importance internationale mènent désormais des politiques environnementales ambitieuses (port de Rotterdam, d’Amsterdam, d’Anvers, etc.). Mais dans un certain nombre de pays en développement – en Afrique notamment –, les ports peinent à minimiser les impacts négatifs de leur activité. En effet, un certain nombre de ports africains sont confrontés à des difficultés et des problématiques variées, qui freinent l’identification et l’adoption de bonnes pratiques environnementales. Le choix de mesures efficaces et leur mise en place sont compliqués par les contextes géographiques, réglementaires et techniques. Les prises électriques à quai pour les navires, par exemple, requièrent une alimentation fiable et puissante – qui n’est pas disponible dans tous les pays. Les obstacles peuvent être aussi d’ordre économique et financier. La justification de mesures qui ne sont pas toujours directement en prise avec l’activité du port peut se heurter aux logiques de compétitivité, dans un contexte de forte concurrence. Les difficultés concernent aussi le domaine de la gestion et de la gouvernance, car l’évolution vers une plus grande durabilité nécessite l’intégration d’un système de management environnemental efficace et stable – dans des contextes où les cadres institutionnels sont parfois fortement dégradés. De plus, la multiplicité des acteurs portuaires concernés complique la mise en place de mesures efficaces et globales, qui requièrent une forte coordination. Enfin, les freins peuvent être aussi d’ordre sociaux ; le secteur maritime s’automatise de façon croissante, laissant craindre un impact négatif sur la main-d’œuvre manutentionnaire.

Dans ce contexte, les bailleurs de fonds – comme l’Agence Française de Développement (AFD) – peuvent jouer un rôle important, en particulier en soutenant les initiatives visant à atténuer les impacts environnementaux et climatiques, à réduire la consommation d’énergie, à améliorer le cadre de vie et de travail autour du port. Cet accompagnement peut prendre des formes diverses, allant du simple appui au transfert de compétences jusqu’au financement direct.  

LE RÔLE DES BAILLEURS DE FONDS

Les bailleurs ont la possibilité, par exemple, de conditionner le financement des infrastructures à la réalisation d’un certain nombre d’études environnementales – voire les financer directement. L’AFD a ainsi financé un diagnostic environnemental et social pour le port autonome de Pointe-Noire (République du Congo) et une étude sur la mise en place d’un système de gestion de déchets et d’un réseau d’assainissement d’eau adapté à l’activité du port (encadré ci-contre).

L’AFD et le port autonome de Pointe-Noire (PAPN)
Le port autonome de Pointe-Noire, comme tous les ports, génère un certain nombre d’impacts négatifs pour l’environnement. L’AFD, dans le cadre du financement du Programme d’investissement prioritaire du port, a accompagné dès 2009 le financement des infrastructures portuaires (quais, terre-pleins, etc.). Un cabinet de conseil a été mandaté pour définir et mettre en place un système de gestion environnemental au port de Pointe-Noire. Dans ce cadre, différentes études ont été produites, concernant le traitement des eaux pluviales, la gestion des déchets et des matières dangereuses. En outre, un plan d’amélioration des procédures portuaires a également été financé afin de réduire le temps d’attente en rade et la congestion du port, source d’impacts environnementaux négatifs. Par ailleurs, le PAPN ayant fait face – lors d’opérations de dragage – à une pollution liée à la présence de sables bitumineux dans le sous-sol, l’AFD et la Banque européenne d’investissement ont exigé la rédaction d’un plan de gestion environnemental et social spécifique aux opérations de dragage, ces dernières étant en effet indispensables à l’exploitation du port. Toutefois, la gestion des questions environnementales et sociales reste à améliorer. Le PAPN, conscient de l’importance de ces sujets, a commandé un audit simplifié « Développement durable », afin d’identifier des pistes d’amélioration, et, à plus long terme, les étapes à franchir pour s’orienter vers une certification ou une labellisation environnementale. Il a déjà, à plus court terme, défini ses priorités pour les prochaines années : mise en place d’un réseau d’assainissement recommandé par l’étude préalable et amélioration de la gestion des déchets (via notamment la création d’un Ecopoint MARPOL). Au-delà de ces investissements spécifiques et compte tenu de la multiplicité des sujets environnementaux et sociaux à suivre, le PAPN devra se doter d’un système de management environnemental et social et d’une organisation plus adaptée.

Les bailleurs peuvent aussi solliciter pour leurs partenaires des compléments de financement auprès des institutions internationales du type « Fonds vert » – prioritairement sous forme de subventions à l’investissement. Bien sûr, ils interviennent parfois directement dans le financement des infrastructures et d’équipements plus performants. Par ailleurs, les bailleurs jouent souvent un rôle non négligeable dans le transfert de compétences entre pays développés et en développement. Ils peuvent enfin avoir une approche plus globale, en s’établissant par exemple à l’échelle d’une région. Ainsi l’agence allemande pour le développement, la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ), a mis en place le programme Sustainable Port Development in ASEAN Region en coopération avec deux organisations intergouvernementales régionales². Les résultats de ce programme sont plutôt encourageants : tous les ports partenaires ont amélioré leur système de gestion de la sécurité, de la santé et de l’environnement. Enfin, les bailleurs de fonds travaillent aussi sur le lien ville-port. Il peut s’agir d’aider le développement d’une ville autour du port, en concevant un aménagement intégré – l’AFD finance ainsi un fonds d’études et d’expertise pour l’aménagement de la région du nouveau port de Kribi (Cameroun). Dans les villes anciennes, il faut parfois gérer les difficultés de circulation que génère le trafic portuaire ou répondre au besoin de créer des zones de stockage en dehors d’un port encombré.

Les ports jouent indéniablement un rôle important dans la réduction des externalités négatives du secteur du transport maritime. De nombreux efforts allant dans ce sens ont déjà été consentis, particulièrement dans les pays développés, comme le montrent l’ensemble des mesures mises en place dans les ports européens et le succès croissant des normes et des certifications internationales. Si certaines initiatives sont sans doute difficiles à dupliquer dans les pays en développement, d’autres doivent être promues, encouragées, accompagnées. Les bailleurs de fonds peuvent aider les acteurs de ce secteur, en particulier en Afrique, à entrer dans une logique de « port vert » – par exemple en liant leurs financements d’infrastructures à l’adoption de pratiques plus durables.  

 

¹ Sur la période, les ports ont été + 43 % à mettre en place un système de management environnemental, et + 33 % a publié un rapport environnemental.
²  Ce programme a été établi en coopération avec l’Association of South East Asian Nations (l’ASEAN, qui regroupe Brunei, le Cambodge, l’Indonésie, le Laos, la Malaisie, le Myanmar, les Philippines, Singapour, la Thaïlande et le Vietnam) et avec le Partnerships in Environnemental Management for the Seas of East Asia, une organisation intergouvernementale qui a développé le PSHEM (Port Safety, Health and environnemental Management), un standard qui équivaut aux certifications ISO 14001 et 9001 et à la norme britannique OHSAS 18001.

 

RÉFÉRENCES
Van Eeckhout, L., 2015. La pollution du transport maritime plus dangereuse que celle du transport automobile. Le Monde, 22 juillet 2015. Disponible sur Internet : www.lemonde.fr/planete/article/2015/07/22/la-pollution-du-transport-maritime-plus-dangereuse-que-celle-du-transport-automobile_4694015_3244.html
United Nations Environment Programme, 2005. Marine Litter: An analytical overview. Disponible sur Internet : www.marinedebris.info/sites/default/files/literature/UNEP %20Marine %20Litter %20Analytical %20Overview.pdf
International Tanker Owners Pollution Federation Limited, 2016. Oil tanker spills statistics 2015. Disponible sur Internet : http://www.itopf.com/fileadmin/data/Documents/Company_Lit/Oil_Spill_Stats_2016.pdf
European Sea Ports Organization (ESPO), Port Performance Dashboard May 2013. Disponible sur internet :www.espo.be/media/espopublications/espo_dashboard_2013%20final.pdf

Lionel Franceschini

Chef de projet AFD
Agence française de développement (AFD)

Parcours

Lionel Franceschini est ingénieur des Travaux publics. Pendant 13 ans au ministère des Transports, il a pu travailler sur la rénovation d’ouvrages de navigation ou sur l’attribution de contrats public-privé. Il rejoint l’AFD en 2014 comme chef de projets Transport. Il intervient en particulier au Maroc, à Maurice et dans les Outre-mer sur des sujets liés au développement portuaire et aéroportuaire.

Véronique Pescatori

Chef de projet
Agence française de développement (AFD)

Parcours

Depuis 2015, Véronique Pescatori est chef de projets dans le secteur des transports à l’Agence française de développement (AFD). À ce titre, elle a en charge l’instruction et le suivi de projets routiers, ferroviaires, portuaires et aéroportuaires. Elle travaillait précédemment à Proparco, en particulier au sein du département Infrastructures. Diplômée de l’ESSEC, elle a rejoint le groupe AFD en 2003.

Agence française de développement (AFD)

L’Agence française de développement (AFD) contribue à mettre en œuvre la politique de la France en matière de développement et de solidarité internationale. À travers ses activités de financement du secteur public et des ONG, ses travaux et publications de recherche (Éditions AFD), de formation sur le développement durable (Campus AFD) et de sensibilisation en France, elle finance, accompagne et accélère les transitions vers un monde plus juste et résilient. Ses équipes sont engagées dans plus de 3 250 projets sur le terrain, dans les Outre-mer, dans 115 pays et dans les territoires en crise, pour les biens communs – le climat, la biodiversité, la paix, l’égalité femmes-hommes, l’éducation ou encore la santé.

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