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En Afrique, la logistique portuaire bascule rapidement du conventionnel au conteneur. De nombreux projets de modernisation concernent les ports existants, alors que des infrastructures nouvelles voient le jour. Si la conteneurisation est déjà une réalité en Afrique du Nord et en Afrique du Sud, elle se développe à l’Ouest et à l’Est. Mais les investisseurs et les opérateurs qui profitent de ce développement sont massivement étrangers au continent.

Avec un indice de croissance annuelle du PIB de 5 % depuis 10 ans – soit un point supérieur à celui de la croissance mondiale –, l’Afrique est bien arrimée à la chaîne de valeur mondiale (CVM). Ainsi, entre 1995 et 2014, la participation de l’Afrique au commerce international est passée de 1,4 % à 2,4 %, tandis qu’aux États-Unis, en Asie ou en Europe cette participation reculait légèrement. Mais le continent africain reste cantonné au rôle de fournisseur de matières premières et ne parvient pas à devenir une plateforme de production. Sa balance commerciale est déficitaire : l’Afrique importe (en majorité des produits manufacturés) plus qu’elle n’exporte (à 80 % des produits primaires : pétrole, gaz, produits miniers, agricoles et forestiers). Toutes régions du monde confondues, le coût du transport international représentait en moyenne 9 % de la valeur des importations entre 2005 et 2014 – alors qu’il était de 11,4 % pour le continent africain (CNUCED, 2015). En dépendant à 90 % du transport maritime, la CVM est tributaire des coûts et contraintes qui le caractérisent en Afrique : logistique, délais d’acheminement, faiblesse des infrastructures intermodales, etc. Ainsi, « exporter un conteneur de 20 pieds coûte 2 055 dollars au Kenya [...], 1 531 en Afrique du Sud, contre seulement [...] 577 au Maroc et 500 en Chine » (OCDE, BAD, PNUD, 2014). L’Afrique connaît depuis les années 2000 une croissance exponentielle de la conteneurisation, qui s’accompagne d’une modernisation des infrastructures et d’une mutation de la gestion portuaire. Loin d’être homogène, cette évolution est très variable d’une région à l’autre.

 

PANORAMA DE LA MODERNISATION DU SECTEUR PORTUAIRE EN AFRIQUE

L’Afrique du Nord paraît privilégiée. Sur la rive méditerranéenne, Tanger Med (Maroc), Port Saïd et Damiette (Égypte) sont des ports de transbordement qui s’inscrivent dans les économies les plus intégrées de la région. Le hub de Tanger Med, avec l’entrée en service d’un troisième terminal à conteneurs opéré par Marsa Maroc, constitue une véritable plaque tournante des échanges. L’Algérie et la Libye – pays exportateurs de pétrole et de gaz – importent des biens de toutes sortes alors que la Tunisie, moins riche en matières premières, est très liée à des délocalisations de sous-traitance.

En Afrique subsaharienne – et plus particulièrement en Afrique de l’Ouest – la chute du prix du pétrole brut a entraîné une baisse des importations portuaires. Les économies les plus diversifiées s’en tirent le mieux. La Côte d’Ivoire exporte ses fèves de cacao en majorité via le port de San Pedro, qui va devenir un des points d’entrée au Mali grâce au projet d’autoroute San Pedro-Boundiali-Zantiebougou-Bamako. Une base logistique, financée à hauteur de 20 millions d’euros par le groupe CMA CGM (spécialisé dans le transport maritime par conteneurs), devrait d’ailleurs bientôt voir le jour pour mieux approvisionner le Mali et le Burkina Faso. En plus de l’accès aux marchés intérieurs des pays enclavés, l’accessibilité des zones de production fait aussi partie intégrante des stratégies des grands opérateurs maritimes. La desserte terrestre est un enjeu majeur de compétitivité, tout comme l’accès aux ports en eau profonde – capables d’accueillir des navires pouvant transporter l’équivalent de 8 000 équivalents vingt pieds (EVP). Lomé a pris une longueur d’avance dans le domaine, avec une capacité annuelle de deux millions d’EVP. Cette mise à niveau du système portuaire ouest-africain passe pour certains (Dakar, Cotonou, Pointe- Noire) par une modernisation des quais ; d’autres s’engagent dans des extensions plus ou moins importantes (à Tema, Lomé, Freetown, Conakry). Ailleurs, de nouveaux sites sortent ou doivent sortir de terre, comme à Sao Tomé ou à Kribi, au Cameroun ; de nouveaux ports en eau profonde et de grandes capacités vont être construits à Lagos, au Nigeria. Globalement, le trafic portuaire ouest-africain, de Dakar à Luanda, est actuellement de 7,5 millions d’EVP pour une capacité de 10 millions d’EVP. Avec les nouveaux projets en cours, cette capacité sera multipliée par deux d’ici quelques années. Leader incontestable en Afrique australe et de l’Est, l’Afrique du Sud compte trois ports équipés de terminaux à conteneurs : Durban (avec 2,6 millions d’EVP, orienté vers l’Extrême-Orient, l’Europe et les États-Unis), Port Élisabeth (proche des régions agricoles) et Ngqura, créé en 2009. Djibouti, avec le terminal de Doraleh réalisé en PPP par DP World (groupe portuaire de Dubaï), ne se positionne plus seulement comme plateforme régionale mais comme port attitré de la dynamique économique de l’Éthiopie. Plus au Sud, DP World est également impliqué dans le port de Berbera, au Somaliland. La conteneurisation accélérée des trafics portuaires en Afrique australe et de l’Est est largement due aux exportations chinoises – ce qui ne va pas sans poser quelques problèmes. Au Kenya par exemple, le port de Mombasa se consacre quasi exclusivement à l’importation. Son trafic global, entre 2000 et 2012, a augmenté de 118 %, créant un véritable goulet d’étranglement et asphyxiant les économies des pays enclavés.

 

LES ACTEURS DE LA MUTATION DE L’AFRIQUE

Au cours de la dernière décennie, l’investissement portuaire a représenté 50 milliards de dollars en Afrique subsaharienne. Ces grands investissements sont le fait d’un petit nombre d’acteurs internationaux : APM Terminals, filiale portuaire du groupe Maersk ; Mediterranean Shipping Company (MSC) ; CMA Terminal, filiale de CMA CGM ; le groupe Bolloré, qui compte seize concessions portuaires conteneurisées sur le continent ; et de plus en plus, le conglomérat maritime China Merchant. Si DP World est présent à Dakar, les deux géants de la manutention Hutchison Port Holdings (HPH) et Port of Singapore Authority (PSA) brillent par leur absence dans la région. En revanche, le Philippin International Container Terminal Services, Inc. (ISTCI) est engagé en République démocratique du Congo à Matadi et surtout à Lekki, au Nigeria. Ces quelques acteurs se positionnent en concurrents ou en partenaires, au gré des concessions ouest-africaines.

La présence des principaux acteurs du secteur et d’investissements conséquents explique en partie la multiplication de projets portuaires gigantesques dans cette région. Mais d’autres logiques participent elles aussi à ce développement. Il est prévu par exemple de créer un nouveau port à Lamu, au Kenya, qui relierait par voie ferrée l’océan Indien au Golfe de Guinée. Le projet comprend aussi la construction d’une usine de gaz naturel liquéfié, une raffinerie, une usine de désalinisation et plusieurs villes nouvelles. Lubie gouvernementale soutenue par des promoteurs chinois du BTP ou véritable projet de développement régional pour l’Afrique, ce projet ne fait pas l’unanimité au sein de la population. Risque de pollution, risque de spéculation foncière, guerre civile qui couve au Soudan du Sud, actes terroristes en Somalie, etc. : les obstacles sont nombreux. D’autres projets pharaoniques, soutenus par des financements et des bâtisseurs chinois, apparaissent sur le continent, comme à Bagamoyo en Tanzanie ou à Technobanine au Mozambique. Là encore, les marchés intérieurs des pays enclavés sont visés, avec de grands axes ferroviaires allant des ports nouveaux vers les pays des Grands lacs et vers l’Afrique australe, notamment. Certes, les projets clés en main « made in China » – en particulier dans le Golfe de Guinée ou dans l’océan Indien – participent à la modernisation du continent, mais aussi au suréquipement portuaire de la région. L’histoire dira si l’apport de ces infrastructures nouvelles aura été réel ou au contraire, bien relatif.

 

OMNIPRÉSENCE DES GROUPES ÉTRANGERS

Que l’on considère les compagnies qui gèrent des lignes régulières desservant l’Afrique, ou les opérateurs et bâtisseurs d’ouvrages portuaires qui y sont présents, un constat s’impose : tous sont des groupes étrangers au continent. En effet, le marché africain reste fragile : la concurrence est en hausse, les infrastructures portuaires frôlent la surcapacité, les marchés sont dispersés, certaines lignes ne sont pas (ou pas assez) rentables, etc. Il faut donc que les opérateurs soient particulièrement solides pour s’y investir – tout particulièrement lorsqu’il s’agit de répondre à des projets toujours plus ambitieux. Ils cherchent d’ailleurs à diminuer leur prise de risque en mutualisant leurs efforts et en créant des partenariats. Additionnée à cela, une intégration de plus en plus verticale des opérateurs de bout en bout de la chaîne logistique (organisation terrestre, achat des matières premières...). Mais leur audace peut être récompensée, dans certains cas, par l’octroi d’une concession. Quoi qu’il en soit, les investisseurs africains n’ont que peu de chance d’être des membres à part entière dans le grand ballet des opérateurs portuaires.

Pour autant, des initiatives « locales » émergent, comme en témoigne la volonté de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), avec l’appui de la Banque africaine et de la Fédération des chambres de commerce et d’industrie d’Afrique de l’Ouest, de créer une compagnie maritime panafricaine : la Sealink. Celle-ci assurera le transit de marchandises et de passagers d’Afrique de l’Ouest, de façon à fluidifier le trafic et à promouvoir un commerce intra-africain. Les conditions sont favorables aux projets portuaires, qu’il s’agisse de simples modernisations ou de projets gigantesques impliquant jusqu’aux pays enclavés. Tous types d’intervenants s’intéressent au secteur maritime africain : fonds internationaux, constructeurs chinois, opérateurs européens, etc. Le profil et les origines de ces acteurs mettent en lumière la faiblesse de la présence africaine dans le secteur. En effet, les partenaires issus du continent qui sont directement impliqués dans des opérations se limitent à quelques autorités et sociétés portuaires locales. En étant optimiste, il faut considérer que la modernisation actuelle des ports africains, en contribuant au développement du continent, favorisera l’émergence d’outils économiques qui seront, à terme, pris en mains par des acteurs locaux.

 

RÉFÉRENCES
CNUCED, 2015. Étude sur les transports maritimes 2015. Voir en particulier page 64. Disponible sur Internet : http://unctad.org/fr/PublicationsLibrary/rmt2015_fr.pdf
OCDE, BAD, PNUD, 2014. Perspectives économiques en Afrique 2014 – Les chaînes de valeur mondiales et l’industrialisation de l’Afrique.

Paul Tourret

Directeur
ISEMAR

Parcours

Directeur de l’ISEMAR, Paul Tourret est un spécialiste des échanges internationaux, du transport maritime et du développement portuaire. Fort d’un savoir-faire largement reconnu dans le monde maritime francophone, il participe à des publications, réalise des études économiques et stratégiques pour des acteurs publics et privés.

Camille Valero

juriste en droit maritime
ISEMAR

Parcours

Camille Valero, juriste en droit maritime a acquis, en travaillant aussi bien dans le secteur public que pour des entreprises privées, une compréhension globale des problématiques liées aux conflits d’usage de la mer. Elle est désormais chargée de mission à l’ISEMAR, spécialiste des questions juridiques liées aux enjeux maritimes, assurant en particulier le suivi des marchés émergents.

ISEMAR

Fondé en 1997 par les acteurs territoriaux et portuaires de Nantes Saint-Nazaire, l’Institut supérieur d’économie maritime (ISEMAR) a pour mission d’analyser l’évolution des secteurs maritimes et portuaires en France et à l’international. Ce travail est mis à la disposition du public, en particulier par le biais de publications. Ainsi, les Notes de Synthèse de l’ISEMAR font aujourd’hui référence. Elles proposent une analyse reconnue des grands enjeux maritimes (marchés, acteurs, espaces géographiques).

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