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Dans des situations de vulnérabilités et de crises, l’investissement, par les institutions de développement international, dans les infrastructures peut constituer un socle solide sur lequel s’appuyer pour le redressement et la reconstruction d’un Etat.

Les transports, l’énergie, les technologies de l’information et de la communication (TIC) et les infrastructures liées à l’eau sont autant de domaines qui permettent à un État de stimuler la croissance de son économie et d’assurer à ses citoyens une bonne qualité de vie. Les infrastructures contribuent – tout particulièrement en situation de fragilité et de conflit – aux efforts de reconstruction et/ou de redressement, sur lesquels s’appuie la refondation de l’État. Elles jouent aussi un rôle essentiel de contrepoids aux déséconomies d’échelle, aux problèmes des communautés isolées, aux coûts élevés d’accès aux marchés, et permettent aux populations de bénéficier des services de base. Est-il réellement utile et souhaitable d’investir dans des infrastructures dans des pays confrontés à l’instabilité politique, à la faiblesse de la gouvernance, à l’insécurité économique, aux conflits et à leur vulnérabilité aux catastrophes naturelles ? La réponse est oui. La Banque asiatique de développement (ADB) est depuis longtemps un partenaire de premier plan pour le développement de pays affectés par ce type de situations. Son soutien a permis à certains d’entre eux d’échapper à la fragilité et aux conflits, dans une transition réussie. L’expérience de l’ADB témoigne du fait que, si le travail est mené efficacement, l’investissement dans les infrastructures est à même de produire une amélioration des rendements économiques dans les pays fragiles.

 

Le développement des infrastructures vient soutenir l’effort de construction de l’État

Au Cambodge, la construction de l’État s’est effectuée sur des bases extrêmement fragiles au départ, après des décennies de conflit armé, ayant entraîné d’immenses pertes humaines et économiques et une destruction des institutions publiques à grande échelle. Depuis 1992, l’ADB a permis au Cambodge de réussir sa transformation, en passant d’une réalité post-conflit à un statut d’économie de marché, au développement économique et social régulier. Le travail de l’ADB s’est d’abord concentré sur la reconstruction, en réponse aux besoins les plus urgents du pays dans trois domaines prioritaires : les infrastructures physiques, les infrastructures sociales, et enfin le renforcement de capacités et celui des institutions. Le champ d’action a ensuite été élargi à la réduction de la pauvreté, à la croissance économique générale, au progrès social inclusif et à l’amélioration de la gouvernance. Pour mieux coordonner l’assistance qu’elle apporte et améliorer l’efficacité de l’aide, l’ADB s’investit, via des groupes de travail techniques, auprès des institutions gouvernementales et des partenaires de développement, mais aussi dans la société civile. Elle a ainsi établi des partenariats avec certaines organisations issues de la société civile cambodgienne, afin de renforcer l’efficacité, la qualité et la pérennité des services proposés. Des organisations non gouvernementales ont par exemple été étroitement associées à la mise en œuvre d’un volet relatif à l’égalité homme-femme et au développement des capacités, dans le cadre du projet d’amélioration des routes dans les campagnes (Rural Road Improvement Project). En 2009, une évaluation indépendante du programme a conclu que l’investissement de l’ADB, dans les actifs matériels comme en matière de réformes sectorielles, avait permis de faire progresser la connectivité des transports, de réduire les coûts de production et de stimuler l’investissement étranger direct. Malgré certaines difficultés de mise en œuvre, le soutien à l’agriculture et aux infrastructures en milieu rural s’est avéré payant, débouchant sur une hausse des rendements et sur l’élargissement des marchés. Les initiatives de coopération régionale, et particulièrement celles du programme pour le grand bassin du Mékong, ont conduit à développer la connectivité des transports et l’échange d’informations entre les différents pays concernés de cette sous-région. En Afghanistan, l’ADB a apporté son soutien à la construction et à l’amélioration des routes, à la rénovation de quatre aéroports régionaux, à l’établissement d’une ligne de chemin de fer transfrontalière, mais aussi en matière de production, d’acheminement et de distribution de l’énergie. La route reliant Yakawlang à Bamyan a ainsi été achevée en 2012. Longue de plus de 88 km, elle permet de réduire de moitié, voire davantage, le temps de trajet entre les deux villes. Les quatre aéroports régionaux sont désormais tous pleinement opérationnels. Plus de 4 millions de tonnes de marchandises ont pu transiter par la première ligne de chemin de fer reliant Hairatan, sur la frontière ouzbèke, à Mazar-el-Sharif. Cette liaison fait en outre partie d’un réseau ferré plus vaste, qui doit desservir tout le nord et d’autres régions du pays (notamment celle d’Herat), ainsi que le Pakistan et le Tadjikistan. Enfin, les projets soutenus par l’ADB ont permis d’ajouter au total 510 km de lignes électriques, et d’apporter l’électricité à plus de 5 millions d’habitants.

Les conditions de sécurité en Afghanistan continuent cependant de compliquer la mise en œuvre des projets d’infrastructure. Elles contribuent aussi à faire grimper les coûts, notamment parce qu’elles réduisent l’appétit des consultants et des entreprises de construction pour la mise en œuvre de tels projets, ce qui limite la concurrence et peut donner lieu à certains problèmes de qualité. Ces difficultés sont encore amplifiées par le déficit de capacités des agences gouvernementales. Pour l’ADB, la réponse a consisté à déléguer la préparation et la mise en œuvre du projet à des ingénieurs spécialisés dans la conception, qui ont été associés à des consultants chargés de la maîtrise d’œuvre. Engagés sur la base de contrats longue durée, ces intervenants ont été placés au sein même des ministères, doublant ainsi leur mission d’un objectif supplémentaire, celui de faire monter en capacité les services ministériels concernés. Dans la mise en place de grands projets d’infrastructures, il est également possible de recourir à des contrats clé-en-mains et autres contrats de conception-réalisation, plutôt que de séparer l’aspect conseil de l’aspect réalisation – ce qui est fréquent dans la plupart des projets financés par l’ADB ailleurs dans le monde. Ces différentes approches sont à même de produire des résultats probants, sans pour autant mettre en péril les principes de bonne gouvernance, de transparence, de concurrence et d’efficacité. Au Timor oriental, les premiers projets administrés par l’ADB et financés par le fonds d’affectation spéciale Trust Fund for East Timor avaient pour objectif prioritaire d’assurer la paix et la stabilité, par la restauration rapide des services d’infrastructures les plus élémentaires. Des projets d’investissement public – concernant essentiellement les routes, l’électricité, ou encore la distribution et l’assainissement de l’eau – ont été engagés dans les villes et certains des villages les plus reculés. Les services publics de base ont été rétablis là où les infrastructures avaient été détruites, ou lorsqu’elles étaient devenues inutilisables du fait du manque d’entretien, de personnel et de ressources. Le port de Dili a en outre été reconstruit et agrandi pour pouvoir accueillir des volumes de fret plus importants. Les routes ont également été remises en état, afin de permettre la circulation des biens, des personnes et des forces de maintien de la paix. Au Timor oriental, l’ADB a ainsi apporté un soutien régulier au secteur routier, pour restaurer l’unité du territoire national et contribuer aux efforts de constitution de l’État. Petites et géographiquement isolées, les îles de l’océan Pacifique abritent des populations très disséminées : elles présentent une densité démographique peu élevée, des marchés faiblement développés et une grande vulnérabilité aux effets du changement climatique. Dans leur cas, l’ADB met donc l’accent sur un investissement dans des infrastructures susceptibles de résister aux défis climatiques, comme des routes ou des ports, afin d’accroître la connectivité des transports au sein d’un même territoire ou avec le reste de la région, ainsi que d’augmenter la productivité et la sécurité alimentaire. Les investissements sont étudiés pour tenir compte des défis climatiques, et faire en sorte que le résultat et les bénéfices attendus ne soient pas menacés à terme. Ces investissements dans les infrastructures sont également complétés par le développement des capacités et par un accompagnement des réformes institutionnelles et de politiques d’orientation.

 

Assurer des effets vertueux à long terme

À court terme, dans les pays fragiles, les grands chantiers publics contribuent en règle générale au rétablissement de la paix et de la stabilité, via la création d’emplois. À plus long terme, le défi consiste cependant pour ces pays à assurer la maintenance des infrastructures mises en place. Un entretien insuffisant peut en effet s’avérer très coûteux, non seulement du point de vue économique, mais aussi sur le plan social. L’incapacité à assurer de façon satisfaisante la gestion et la maintenance des infrastructures peut se traduire par une perte économique. En outre, leur vieillissement prématuré affecte directement les conditions de vie des populations, dans la mesure où il peut limiter l’accès aux centres de soins médicaux, aux écoles et aux marchés d’approvisionnement. Des études ont démontré qu’une maintenance préventive efficace est économiquement plus rentable qu’un investissement dans de nouvelles infrastructures.

Pour prendre un exemple concret, les Îles Salomon ont voté en 2010 une loi portant sur le Fonds national pour le transport (National Transport Fund Act, développé avec le concours de l’ADB). Dans le cadre de cette législation, des accords très complets ont été conclus sur la gestion des actifs dans le secteur des transports. Ils prévoient des mécanismes pérennes de rénovation et d’entretien des infrastructures sur le long terme, et reposent sur l’utilisation de financements provenant à la fois des bailleurs et des autorités nationales. Dernier point essentiel, pour que les bénéfices d’un investissement dans les infrastructures puissent être durables, la construction et la maintenance de ces dernières doivent entrer dans le cadre de politiques publiques saines, conduites par des institutions compétentes, à la faveur d’une meilleure gouvernance qui doit impliquer les communautés concernées, à la fois dans la gestion et par l’actionnariat.  

 

Travailler dans les pays fragiles : les enseignements de la Banque asiatique de développement

Cet article a initialement été publié le 12 août 2015 sur le blog Asian Developpement. Son auteur, Patrick Safran, nous a autorisés à le reproduire ici. « Si nous ne traitons pas le problème de la fragilité, nous ne serons pas en mesure de réaliser des progrès durables en matière de développement. » Cette déclaration émane du Dr Rui Maria de Araújo, Premier ministre du Timor oriental – un pays qui, comme bien d’autres dans la région Asie-Pacifique, a longtemps connu une situation de fragilité et de conflits, entravant son développement. Dans des pays dits « fragiles » comme le Timor oriental, indépendant depuis 2002, il peut être particulièrement difficile d’établir des avancées en matière de développement. Cela tient notamment à la faiblesse des institutions, à l’instabilité politique ou aux longues périodes de conflits affectant le territoire national, mais aussi à la vulnérabilité de ces pays aux chocs économiques ou au changement climatique, qui entraîne des catastrophes naturelles. Lorsque nous évoquons ces États en proie aux conflits et à la fragilité, nous avons néanmoins trop souvent tendance à envisager cette dernière comme une simple conséquence des premiers. Or c’est là une vision tout à fait erronée., dont nous avons d’ailleurs débattu à la faveur du récent groupe de travail qui réunissait à Bangkok l’ADB et l’Asia Foundation. Dans la grande majorité des cas, les conflits armés « intra nationaux » qui existent en Asie – et dont beaucoup durent depuis des générations – se produisent en effet dans des pays à revenu intermédiaire, généralement stables et dotés de gouvernement relativement solides, avec des élections régulières et des forces de sécurité qualifiées. Cela prouve bien que des violences armées de grande ampleur peuvent survenir et s’installer dans des États forts comme dans des pays plus vulnérables. Pour les organismes de développement, elles posent toute une série de problèmes spécifiques, et requièrent de nouvelles façons d’envisager la notion de fragilité, en particulier à la lumière des Objectifs de développement durable (ODD) adoptés en 2015. Pour sa part, l’OCDE a depuis longtemps pris acte de cette réalité. Il y a quelques mois de cela, eElle a créé un nouvel outil de diagnostic de la fragilité, plus complet que la méthode traditionnelle pour catégoriser la notion de « pays fragiles », et qui tient enfin compte de toute la diversité des risques et éléments de vulnérabilité qui conduisent à la fragilité. Cet outil permet d’identifier les pays « fragiles » comme étant tributaires de cinq dimensions de risque et de vulnérabilité, et pose la question de leurs conséquences sur la capacité d’un pays à atteindre les derniers Objectifs de développement durable. Ces cinq dimensions sont : a) les violences, b) l’accès à la justice, c) l’efficacité des institutions, leur caractère inclusif et leur obligation de rendre ou non des comptes, d) les fondements économiques nationaux et enfin e) la capacité d’adaptation du pays aux catastrophes ou chocs sociaux, économiques et environnementaux. L’indice de fragilité développé par l’ADB est globalement sur la même ligne que l’outil de l’OCDE. Il envisage la notion de fragilité comme un sujet complexe et multidimensionnel, comportant quatre grandes thématiques (économie, État, paix et sécurité, et enfin conflits et justice), ainsi que deux dimensions supplémentaires (environnement et risque planétaire), destinées à intégrer les aspects environnementaux et ceux liés au changement climatique. Cycle de la fragilité. Sur la base des scores obtenus dans cette évaluation, l’ADB identifie actuellement neuf pays comme fragiles (Afghanistan, Kiribati, Îles Marshall, États fédérés de Micronésie, Birmanie, Nauru, Timor oriental et Tuvalu). La Papouasie-Nouvelle-Guinée et Vanuatu ne figurent pas sur cette liste, mais tout deux présentent plusieurs éléments de fragilité, dont il faut par conséquent tenir compte dans l’approche nécessaire pour tout projet dans ces pays. L’indice de fragilité proposé peut ainsi être utilisé pour guider les actions de développement dans les pays identifiés, afin d’accroître l’impact de ces dernières, en prenant systématiquement en compte la nature et le degré de fragilité révélés par l’indice. Ce mode de pilotage se fonde aussi sur ce que nous enseigne l’expérience quant aux différentes façons de mener à bien des missions de développement dans un contexte de fragilité et de conflits :

1.    Ne pas se tromper de décision.
L’établissement d’un diagnostic de fragilité est souvent perçu comme une contrainte supplémentaire dans la conception et la réalisation d’un projet mais, s’il est conduit comme il se doit, il peut contribuer à donner corps au projet et permettre de démultiplier son impact. Des évaluations de la fragilité ont ainsi été introduites dans la Stratégie de partenariat-pays 2016-2020 pour la Papouasie-Nouvelle-Guinée.

2.    Identifier la fragilité très en amont.
La détection à un stade précoce de la fragilité, mais aussi de ses déterminants et de ses causes, et l’adaptation du projet à ce contexte spécifique permettent de mieux allouer les ressources et d’éviter quantité de problèmes potentiels par la suite. En Afghanistan par exemple, nous avons pu nous rendre compte qu’en matière de projets routiers, il était particulièrement efficace d’associer étroitement les communautés et les habitants concernés à la préparation et à la mise en œuvre des programmes de réinstallation, dans un processus régulier engagé dès l’approbation du financement.

3.    Mettre en œuvre une approche qui tienne compte du contexte.
L’enjeu est de comprendre les dimensions de fragilité qui prédominent dans le contexte local, de les intégrer à la réflexion lorsque le projet est encore au stade conceptuel, avant même sa définition, et de garder ces éléments présents à l’esprit pendant toute la phase de mise en œuvre. Cela permet d’écarter les risques opérationnels qui pourraient se matérialiser si l’on choisit au contraire d’ignorer les dynamiques qui caractérisent localement la fragilité, et comment celles-ci interagissent avec la société et avec la culture, les structures et le système institutionnels. L’approche adoptée par l’ADB au Népal, qui prenait pleinement en compte la situation de conflit, a ainsi donné des résultats prometteurs.

Patrick Safran

Spécialiste de la coordination des opérations
Banque asiatique de développement

Parcours

Patrick Safran est coordinateur chargé des pays fragiles ou en proie aux conflits au sein de la Banque asiatique de développement (ADB). Il a participé à définir l’approche stratégique de l’ADB en matière de situations de fragilité : catastrophes et aide d’urgence, problématiques liées aux technologies de l’information et de la communication, gestion des ressources côtières et aquatiques. Auparavant, Patrick Safran était responsable régional pour l’Asie-Pacifique et l’Amérique latine du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD). Il est titulaire d’un doctorat en agriculture de l’université japonaise de Tohoku et d’un doctorat en sciences naturelles de l’université de Lille.

Banque asiatique de développement

La Banque asiatique de développement a été conçue au début des années soixante, dans le but de créer une institution financière qui serait par nature ancrée en Asie, et chargée de promouvoir le développement économique et la coopération internationale dans l’une des régions les plus pauvres du globe. L’ADB apporte son concours à ses pays membres et à leurs partenaires pas le biais de prêts, d’assistance technique, de subventions ou d’investissements en capital, avec pour objectif de favoriser le développement économique et le progrès social. L’organisation compte à ce jour 67 pays membres, dont 48 dans la région Asie-Pacifique.

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