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En apportant des emplois, de l’assistance technique et des projets de développement aux communautés villageoises, les industriels renforcent leur bien-être économique et social – et peuvent compléter leur production par celles des petits planteurs. Cette complémentarité, propre au modèle ivoirien développé par SIFCA, devrait être soutenue par les bailleurs de fonds et les États, en particulier par des prêts et des dispositifs fiscaux.

Le modèle agricole adopté en Côte d’ivoire pour la culture d’hévéa, de palmier et aussi pour la canne à sucre, repose sur l’équilibre entre plantations industrielles et plantations dites « villageoises ». En créant une expertise locale, en assurant la formation et l’apport de compétences, les plantations industrielles lancent l’activité. Avec l’aide des centres de recherche, elles définissent le matériel végétal, les techniques de plantation et d’exploitation les plus adaptés au contexte.

 

Cependant, les industriels ont généralement besoin de la production des planteurs villageois pour atteindre la taille critique qui leur permet de justifier ou d’optimiser des usines de transformation. Ils soutiennent donc directement et activement les planteurs indépendants : ils les forment, leur fournissent du matériel végétal et leur apportent l’assistance technique nécessaire. Ils s’appuient parfois sur l’État pour faciliter la relation contractuelle qu’ils mettent en place avec les planteurs (au Ghana par exemple), ou pour formaliser l’assistance technique (comme c’est le cas avec le FIRCA en Côte d’ivoire). Plantations villageoises et industrielles sont donc complémentaires.

 

L’enjeu de l’accès au financement et des dispositifs réglementaires

Historiquement, les bailleurs de fonds ont eu un impact majeur sur la mise en place de certaines filières en soutenant, aux côtés de l’agro-industrie, les premiers projets de plantation. Par effet d’entrainement, les initiatives individuelles se sont multipliées ; c’est particulièrement le cas en Côte d’ivoire pour l’hévéa, où les projets initialement financés dans les années 1980 représentaient quelques milliers d’hectares, alors que ceux qui ont été pris en charge par la suite directement par les planteurs représentent plusieurs centaines de milliers d’hectares.

À défaut d’accès au financement, les très petits planteurs, eux, ne peuvent ni développer de nouvelles surfaces ni accroitre leurs rendements . Les agro-industries ne peuvent assurer seules ce financement, surtout dans un contexte de concurrence croissante et en l’absence de règles étatiques la régulant. L’industriel ne peut assumer des avances en nature (intrants, matériel végétal) avec remboursement à terme par prélèvement sur la production, si celle-ci risque d’être finalement livrée à un tiers. De leur côté, les bailleurs de fonds ne souhaitent pas assumer le risque de crédit. En outre, les titres fonciers faisant défaut en Afrique de l’Ouest, l’emprunteur ne peut fournir de garanties. Aujourd’hui, si l’agro-industrie a besoin de facilités de financement de la part des bailleurs de fonds, elle a aussi besoin d’un appui réglementaire et fiscal de la part des États. Sans un encouragement fiscal marqué en Côte d’Ivoire, par exemple, les structures industrielles de transformation du caoutchouc resteront insuffisantes et la matière première sera exportée vers l’Asie – privant le pays d’une valeur ajoutée très précieuse. Les réformes foncières, comme celle menée en Côte d’Ivoire, sont cruciales pour le développement des plantations villageoises : en régularisant des situations informelles, elles peuvent par exemple permettre au foncier de jouer un rôle de garantie en cas d’emprunt.

 

Créer des zones de prospérité durable

Les « zones de prospérités durables » que sont les plantations industrielles doivent permettre le développement économique et social des communautés environnantes. Disposer de surfaces de culture importantes impose, en contrepartie, d’aider les communautés à accéder, elles aussi, à une prospérité durable. Le groupe SIFCA traite de l’ensemble des sujets qui conditionnent un développement effectivement durable, respectueux des droits des communautés : conditions de travail en général, travail des enfants en particulier, gestion rationnelle des ressources et des intrants chimiques, respect des droits fonciers, engagement avec les parties prenantes, etc. La création d’emplois directs et indirects génère indiscutablement, pour les communautés, des bénéfices sociaux et économiques immédiats. Mais, dans un contexte rural africain, ces bénéfices ne suffisent pas. Ils doivent s’accompagner d’autres impacts positifs ; ainsi, les programmes de développement communautaire relevant de la politique de responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) sont essentiels. Ils contribuent significativement à l’amélioration de l’accès à l’éducation, à la santé, ou à la création d’infrastructures locales. Bien sûr, ces programmes ne peuvent garantir à eux seuls l’autonomie économique des communautés. L’agro-industrie doit donc contribuer au développement local durable en suscitant la production villageoise et en lui offrant des débouchés – en lui assurant l’accès, par exemple, aux usines de transformation.

Enfin, les agro-industriels sont souvent accusés, à tort, de ne produire que des cultures d’exportation. Si, dans le cas du groupe SIFCA, une de ses trois activités repose effectivement sur un produit destiné à l’exportation (le caoutchouc pour l’industrie), les deux autres (l’huile de palme et le sucre) sont exclusivement dédiées au marché alimentaire local. Les enjeux de développement sont énormes, car il s’agit de tendre vers une autonomie alimentaire dans un contexte de rapide croissance démographique.

 

Le respect des principes environnementaux

La déforestation est devenue un enjeu majeur pour les agro-industries et leurs interprofessions. SIFCA a pris publiquement un engagement de « Zéro Déforestation ». Cet engagement ne peut être limité aux concessions du groupe. Il est indispensable aussi de garantir que les planteurs ne défrichent pas la forêt. Ainsi, PALMCI et SAPH en Côte d’ivoire ou encore GREL au Ghana, mènent des actions de communication et de contrôle auprès des planteurs. Michelin, soucieux de l’origine de ses matières premières, a développé un baromètre (« Rubberway ») pour évaluer le respect des grands principes de RSE chez les planteurs. SAPH et GREL ont adopté ce système. Mais les surfaces à couvrir et le nombre de parties prenantes sont considérables. Si les outils technologiques qui se multiplient (géomatique , notamment) permettent de faire face plus efficacement à cet impératif, l’accompagnement et la supervision des planteurs dans ce domaine est un défi majeur pour l’agro-industrie. Quand il n’y a pas de déforestation, le bilan carbone des cultures villageoises pérennes (hévéas, palmiers, cacao) en zone tropicale humide devient favorable. Dans le cas de l’hévéa, il est admis qu’un hectare fixe en moyenne huit tonnes de CO2 par an. Si on considère par ailleurs que le caoutchouc naturel permet d’éviter le recours au caoutchouc synthétique, issu de l’énergie fossile, alors l’utilisation d’une tonne de caoutchouc naturel génère un gain global de 17 tonnes de CO2. Par conséquent, pour un hectare d’hévéa planté sur un terrain en jachère produisant 1,5 tonne par hectare et par an, un planteur évite l’émission d’environ 25 tonnes de CO2 par an. Des solutions sont en cours d’élaboration pour la valorisation de la biomasse générée en fin de cycle de plantation. Le groupe SIFCA possède une raffinerie pour l’huile de palme (SANIA en Côte d’ivoire) qui est autonome en énergie grâce aux copeaux de bois d’hévéas de SAPH. À plus grande échelle, le projet BIOKALA, développé par SIFCA et EDF, repose sur la construction d’une centrale thermique qui sera alimentée par des déchets de palmier (palmes et troncs en fin de vie). Enfin, dans le cas de l’hévéa, l’enjeu est d’exploiter le bois en fin de vie pour produire du bois d’œuvre, se substituant à la ressource forestière. Ces options de valorisation sont aussi des opportunités pour les planteurs (la biomasse ou le bois d’œuvre leur sont achetés) qui permettront par exemple de renouveler une vieille parcelle.

 

Exporter le modèle ivoirien

Le modèle fondé sur la complémentarité des plantations industrielles et villageoises, qui a fonctionné en Côte d’Ivoire, peut être exporté dans la sous-région. Le développement de l’hévéaculture au Ghana est le fruit de la coordination des trois acteurs clés : le gouvernement, l’agro-industriel (GREL), et le bailleur de fonds (AFD). Si la démarche a été un succès, c’est aussi dû à l’absence d’usiniers concurrents : la livraison de la production villageoise et le remboursement des prêts était assuré. Aujourd’hui, ce modèle est mis à mal par l’exportation de matières premières vers l’Asie, que le gouvernement n’a pas maîtrisée. L’agro-industrie acquiert d’autant plus de performance (et donc d’impact régional) que sa taille est importante. L’effet d’échelle est essentiel. Les usines de transformation doivent avoir une taille suffisante pour garantir un process industriel fiable et compétitif, compatible avec les exigences du marché. De plus, il existe une taille critique permettant de créer de nouvelles zones de production en utilisant les ressources et l’expertise existantes en interne. C’est le cas du groupe SIFCA, par exemple, qui utilise ses structures de Côte d’Ivoire pour se développer progressivement au Libéria, dans la plantation de palmiers à huile et d’hévéa. Mais au-delà du Libéria, de nombreux autres pays africains ont un potentiel de développement important. L’exportation du modèle ivoirien est donc possible dans de nombreux contextes. Les exemples ne manquent pas pour montrer clairement combien l’agro-industrie responsable apporte et induit un développement agricole villageois très important. A notre avis, il est donc souhaitable que toutes les personnes qui cherchent à améliorer le niveau de vie en zone subsaharienne tout en fixant les populations localement pour limiter l’exode rural et l’émigration, appuient son développement.

 

1 Les 150 000 hectares de plantations villageoises de palmier en Côte d’Ivoire, par exemple, pourraient sans doute doubler leur rendement si des prêts étaient disponibles pour les planteurs.
2 Qui concerne la collecte, le traitement et la diffusion des données géographiques.

Bertrand Vignes

Directeur du pôle caoutchouc
SIFCA

Parcours

Ingénieur agronome, Bertrand Vignes intègre le Groupe Michelin en 1981 et occupe différents postes techniques et opérationnels dans les plantations d’hévéas en Côte d’ivoire et au Nigeria. Il participe à la création d’un projet hévéicole dans le Mato Grosso (Brésil), puis assure la direction des plantations Michelin de Bahia, puis du Mato Grosso. De 1999 à 2009, il est responsable du département Caoutchouc naturel et plantations du Groupe Michelin. En 2009, il rejoint le Groupe SIFCA en Côte d’ivoire ; assure d’abord la direction de Palmci (palmier à huile) ; puis la direction de SIFCA jusqu’en 2016. Il est actuellement directeur général de SIPH, en charge du pôle caoutchouc du Groupe SIFCA.

SIFCA

Fondé en 1964, SIFCA est l’un des principaux groupes agro-industriels intégrés d’Afrique de l’Ouest. Basé en Côte d’Ivoire, il est engagé dans la production, la transformation et la distribution de sucre de canne, d’huile de palme et de caoutchouc naturel. SIFCA emploie plus de 33 000 personnes en Côte d’Ivoire, au Ghana, au Nigeria, au Libéria et au Sénégal. Il s’approvisionne en matière première auprès de plus de 110 000 petits exploitants.

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