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 L’égalité de genre est une dimension cruciale dans l’optique de l’atteinte des Objectifs de Développement Durable (ODD). De plus en plus de fonds d’investissements et d’acteurs de la finance commencent ainsi à intégrer cette problématique dans leurs opérations. Si des efforts et des progrès ont pu voir le jour en la matière, il convient pourtant d’être plus proactif sur le sujet.

L’agenda du développement durable ne pourra être atteint que si les inégalités de genre sont drastiquement réduites. Ces inégalités sont directement mentionnées dans de nombreuses cibles liées aux Objectifs de Développement Durable (ODD). C’est le cas des cibles liées à l’ODD 5 sur l’égalité des genres mais aussi de certaines cibles concernant l’éducation par exemple (ODD 4.5). Mais elles sont aussi indirectement concernées par la plupart des autres cibles, même si le genre n’est pas explicitement mentionné. La gestion de l’hygiène menstruelle est difficile en l’absence d’eau, de savon et d’installations sanitaires adaptées et soulève les défis de l’accès à l’eau et à l’assainissement (ODD 6).

Le changement climatique (ODD 13) va aussi frapper plus fortement les femmes et la question de l’adaptation et de la résilience les concerne au premier plan. La raréfaction des ressources naturelles impacte particulièrement les femmes qui assurent les corvées d’eau et de bois et qui doivent aller toujours plus loin pour la collecte. Les femmes disposent alors de moins de temps pour exercer des activités rémunérées et les jeunes filles sont parfois mises à contribution au détriment de leur scolarisation. Au Sénégal, par exemple, les femmes passent en moyenne plus de 17 heures par semaine à collecter l’eau. En résumé, aucune des dimensions du développement ne pourra être atteinte si on ne parvient pas à s’attaquer aux inégalités de genre et aux vulnérabilités qui touchent spécifiquement les femmes.

La raréfaction des ressources naturelles impacte particulièrement les femmes qui assurent les corvées d’eau et de bois et qui doivent aller toujours plus loin pour la collecte. Les femmes disposent alors de moins de temps pour exercer des activités rémunérées

PRISE EN COMPTE DU GENRE DANS LES OPÉRATIONS

De plus en plus de fonds thématiques se focalisent sur ces inégalités de genre. Ces initiatives sont évidemment à saluer et à encourager. Mais les besoins sont tellement immenses que la question du genre nécessite une mobilisation générale. Investisseurs & Partenaires a élaboré une stratégie genre afin de formaliser ses actions sur ces enjeux et suivre sa progression chaque année. Cette stratégie est mise en œuvre en interne au travers des recrutements et de la promotion de la mixité au sein des organes de gouvernance, de la direction et des équipes d’investissement, mais aussi par des sessions de sensibilisation des équipes à ces enjeux. Elle est également appliquée au niveau du portefeuille où une perspective genre a été intégrée dans les principaux piliers d’impact des entreprises partenaires d’I&P, aussi bien au niveau des dirigeant·e·s de PME, des employé·e·s, des client·e·s ou encore des sous-traitant·e·s. Les entrepreneur·e·s s’engagent eux aussi dans cette démarche de progrès et sont parfois moteur sur ces enjeux. C’est par exemple le cas d’une entreprise au Ghana qui a mis en place une crèche dans l’entreprise pour faciliter l’emploi des femmes.

Il est parfois difficile de comprendre comment un acteur généraliste peut s’engager sur ces sujets, alors même que nous n’avons jamais eu l’impression de pratiquer une quelconque discrimination. Un projet n’a jamais été refusé parce qu’il était dirigé par une femme entrepreneure. Une candidate n’a jamais été écartée d’un emploi parce qu’elle était une femme. Comment, alors, progresser et aller plus loin sur ces enjeux ?

La sous-représentation des femmes parmi les entreprises financées par I&P a des origines bien plus profondes. Une moindre représentation des femmes dans les filières scientifiques et financières les conduit souvent à présenter des projets moins aboutis sur les aspects financiers. Faut-il pour autant s’arrêter à un business plan moins bien présenté ou à une moindre maîtrise des termes techniques et financiers ? Les investisseurs qui n’ont pas encore une politique genre spécifique répondront peut-être que oui et n’ont probablement pas encore pris conscience d’un tel biais. Suite à une démarche volontariste, les équipes d’investissement d’I&P consacrent davantage de temps aux projets portés par des femmes lorsque cela est nécessaire, afin de leur permettre de structurer leurs projets. Il est important d’avoir une démarche proactive lorsque l’on souhaite financer davantage de projets portés par des femmes.

De plus en plus de fonds thématiques se focalisent sur ces inégalités de genre. Ces initiatives sont évidemment à saluer et à encourager. Mais les besoins sont tellement immenses que la question du genre nécessite une mobilisation générale.

Ces stratégies sont aussi adaptées en fonction des véhicules d’investissement. La proportion de projets portés par des femmes est d’autant plus grande que les entreprises sont petites. Par exemple, sur l’un des fonds d’amorçage d’I&P où le ticket moyen d’investissement n’est que de quelques milliers d’euros, 60 % des entrepreneurs soutenus sont des femmes. Ces microentreprises portées par des femmes font face à des barrières encore plus grandes pour entrer dans le secteur formel ou encore accéder à la propriété des terres. Il est essentiel d’agir à cette échelle si l’on souhaite que les grandes entreprises de demain soient dirigées par des femmes.

Ces évolutions ont aussi conduit à revoir les indicateurs suivis par I&P en les décomposant par genre pour connaître la proportion d’entrepreneures, de cadres dirigeantes, d’employées ou encore de clientes. Nous suivons aussi les critères du 2X Challenge, initiative des banques de développement pour définir ce qui serait considéré comme un investissement favorable aux femmes. Avec près de 70 % de son portefeuille répondant à ces critères, I&P montre clairement sa volonté à contribuer à l’égalité des genres.

Nous suivons aussi les critères du 2X Challenge, initiative des banques de développement pour définir ce qui serait considéré comme un investissement favorable aux femmes.

Initialement, le fait d’avoir une femme à la tête de l’entreprise apparaissait comme un « bonus » au sein des notations d’impact, qui consistent en une grille d’analyse des forces et faiblesses des projets et leur alignement à notre thèse d’impact. Notre volonté était de favoriser les projets portés par les femmes, sans pour autant pénaliser un projet porté par un homme. Pour aller plus loin, I&P a élargi sa vision du leadership en considérant non seulement le genre du ou de la dirigeant·e mais aussi des cadres dirigeant·e·s clés au sein de l’entreprise. Lorsque nous investissons et permettons le développement de ces PME africaines, les entreprises partenaires sont souvent amenées à structurer leur top management. Il s’agit là d’autant d’opportunités pour favoriser l’inclusion des femmes dans le leadership. Puisque cela concerne toutes nos entreprises, qu’elles soient ou non portées par des femmes, nous avons alors pu passer le bonus en indicateur à part entière. Auparavant, nos différents piliers comme l’entrepreneuriat ou encore les employés contenaient une question ou un bonus sur la proportion de femmes. Désormais, le « genre » constitue un pilier à part entière qui est analysé dans un projet. Le simple fait d’avoir une section spécifique renforce la sensibilité à ces problématiques, la vigilance sur la performance sociale de l’entreprise sur ces enjeux et permet d’intégrer plus facilement les opportunités d’amélioration et la réduction des inégalités de genre dans les plans d’actions avec les entreprises partenaires.

REPENSER LA PLACE DES FEMMES

Évidemment, s’attaquer à des défis aussi importants pose la question même de la place des femmes dans nos sociétés. On le sait, la langue française engendre de nombreux biais. Comment promouvoir le leadership des femmes lorsque l’on se pose la question de savoir comment féminiser le terme « entrepreneur » ? Parle-t-on d’« entrepreneure » ou d’ « entrepreneuse » ? L’écriture inclusive, comme nous avons essayé de le faire dans cet article, n’est pas toujours chose aisée. Les mots et les symboles ont pourtant toute leur importance pour permettre l’émancipation des femmes.

Pour un investisseur d’impact comme I&P, un des piliers de la stratégie genre a été de repenser la place des femmes dans les activités de plaidoyer et de communication. Dans les newsletters trimestrielles par exemple, trop peu de femmes étaient mises en avant lors des portraits d’entrepreneur·e·s. Il ne s’agissait évidemment pas d’un fait volontaire, probablement davantage le résultat d’une part plus faible de femmes parmi les entrepreneurs ou d’un biais inconscient. Mais une démarche plus proactive a conduit à mettre davantage en avant le parcours de femmes inspirantes qui pourront servir de modèles à des milliers de petites filles qui penseront alors que ces carrières s’ouvrent aussi à elles. Suivre statistiquement la proportion de femmes présentées dans les différents supports de communication ou lors des événements organisés est devenu un réflexe.

Nous contribuons certainement à perpétuer ces inégalités si nous ne décidons pas d’agir et d’être plus proactif sur ces sujets. Les inégalités de genre ne sont pas seulement l’apanage de fonds thématiques. Nous avons tous et toutes un rôle à jouer pour y mettre fin

Cette stratégie genre se reflète également au niveau d’I&P, cette dernière étant elle aussi une entreprise elle se doit de montrer l’exemple. Les actions pour favoriser l’inclusion des femmes ne manquent pas : suivre la proportion de femmes parmi les employés, notamment parmi la direction et au sein de l’équipe d’investissement ; tendre vers la parité dans nos différents comités ; faciliter un équilibre entre vie professionnelle et personnelle ; mais aussi former et sensibiliser les membres de l’équipe à ces enjeux. Par exemple, lors de recrutements, il est systématiquement demandé aux recruteurs de présenter des candidatures de femmes. Il est fort probable que sans cette requête claire et explicite, il y aurait peu ou pas de femmes parmi les profils proposés en raison des biais et des réseaux de ces consultants, souvent masculins.

CONCLUSION

De trop nombreux acteurs ont encore à tendance à considérer que ces enjeux ne les concernent pas. Certes, nous pouvons espérer que nombre d’entre eux ne pratiquent pas intentionnellement une discrimination envers les femmes et que les causes de ces inégalités sont souvent bien plus profondes que nos simples actions. Mais nous contribuons certainement à perpétuer ces inégalités si nous ne décidons pas d’agir et d’être plus proactif sur ces sujets. Les inégalités de genre ne sont pas seulement l’apanage de fonds thématiques. Nous avons tous et toutes un rôle à jouer pour y mettre fin.