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La lutte contre le dérèglement climatique concerne les femmes au premier plan. Qu’elles soient en charge de la production et de la gestion des ressources, ou qu’elles soient impliquées dans les processus de négociation sur le climat, les femmes sont actrices à part entière des solutions climatiques. Pourtant, elles sont sujettes à des vulnérabilités spécifiques qui amplifient l’impact du dérèglement climatique sur elles-mêmes et sur leur communauté.

Face à l’urgence climatique, de nombreuses organisations se sont alignées sur l’Accord de Paris sur le Climat. C’est le cas du groupe AFD qui, dans son Plan d’orientation stratégique (POS IV, 20182022), adopte une politique « 100 % climat ». L’objectif est de promouvoir des pratiques « bas carbone » permettant de faire face aux effets du dérèglement climatique et de favoriser les normes respectueuses de l’environnement et de la biodiversité. Parallèlement, l’AFD a fait du « lien social » un pilier important de sa politique, avec pour élément pivot l’égalité entre les femmes et les hommes. Genre et climat se trouvent ainsi au cœur de l’action d’une grande institution d’aide au développement. Ces deux  thèmes ont d’ailleurs été largement abordés lors de la COP25, à laquelle l’AFD a participé. En dépit de la faible avancée des engagements pris par les États parties, la COP251 a au moins permis l’adoption à l’unanimité du 2e Plan d’action genre (GAP2)2 pour les cinq prochaines années. Ce GAP2 a fait un large écho aux préoccupations de la société civile, concernant notamment la justice climatique et la prise en compte des droits humains dans tous les processus de la CCNUCC3. Il accorde une place importante au leadership des femmes et à leur accès aux financements verts. Cependant, le GAP2 formule des recommandations sans pour autant avoir un caractère juridiquement contraignant – ce qui laisse aux États toute latitude dans sa mise en œuvre.

 

GENRE ET CLIMAT, DE MULTIPLES INTERSECTIONNALITÉS

Comprendre les liens entre genre et climat, c’est saisir la réalité de ces intersectionnalités, sans lesquelles il serait difficile d’évaluer l’impact différencié du dérèglement climatique. Il est donc nécessaire de disposer de données sexospécifiques qui permettent d’évaluer cet impact. Or, peu de données existent, aujourd’hui, à même de rendre visibles ces multiples intersectionnalités. À l’instar d’autres processus internationaux, les femmes sont encore ignorées dans l’élaboration des politiques publiques environnementales et climatiques, notamment en Afrique. Dans la plupart des pays, elles ont été historiquement cantonnées à produire les denrées alimentaires les moins rémunératrices – les produits à forte valeur ajoutée étant généralement l’apanage des hommes. Il en est de même pour l’accès à la terre (et pas seulement pour la production agricole, voir encadré), qui demeure un élément central de l’autonomisation des femmes dans les pays en développement. Pour les femmes autochtones amérindiennes qui ont fait entendre leur voix lors de la COP25, les peuples amérindiens font face à plusieurs défis : la raréfaction des semences qu’il faut acheter à prix d’or, le chômage et la migration, l’urbanisation qui grignote peu à peu la forêt sous l’impact de l’agro-industrie et transforme le mode de vie des autochtones. Des centaines de milliers d’hectares de forêt amazonienne – notamment au Brésil – disparaissent et, avec elle, les plantes médicinales que les femmes ont coutume d’utiliser. La gestion de l’eau confiée au secteur privé est un sujet brûlant pour les femmes, notamment au Chili – les femmes ayant souvent, dans les pays en développement, la responsabilité de l’approvisionnement en eau et son usage au  quotidien. Les compagnies d’eau assèchent les rivières et les lacs, alors que cette ressource est un bien commun qui doit relever d’une politique publique. Le manque d’eau engendre de nombreuses conséquences sur les équilibres socioéconomiques et environnementaux qui peuvent aboutir à un exode massif des populations. Du fait des rôles qu’elles assument au sein de la société, les femmes sont bien plus affectées que les hommes par le changement climatique. Aux Philippines, la société civile œuvre pour que l’approche « ne pas nuire » qui se caractérise par sa « neutralité » dans les projets soit abandonnée au profit des « pertes et préjudices » (losses and damages). L’urgence climatique exige une démarche qui prendrait en compte la situation des femmes déjà impactées par les effets du dérèglement climatique et surtout y apporte des solutions. Bien entendu, les femmes ne sont pas que victimes et sont aussi actrices à part entière de la lutte contre le dérèglement climatique. De nombreux exemples illustrent leur rôle dans la résilience des systèmes socio-écologiques, que ce soit dans la contribution à la sécurité alimentaire, à la chaîne de valeur des économies ou en matière de solutions pour le climat.

 

GENRE ET CLIMAT DANS LES OPÉRATIONS DE L’AFD

Il est donc important de reconnaître le rôle majeur des femmes dans la lutte contre le dérèglement climatique. Les projets soutenus par le Groupe AFD, par exemple, sont évalués à l’aulne du « marqueur genre » de l’OCDE. Même si l’AFD est bien plus positionnée sur des projets concernant les infrastructures, les énergies renouvelables ou la biodiversité, il n’en demeure pas moins que la prise en compte du genre et de la variable climat dans des projets d’adaptation, d’atténuation ou de résilience s’impose – comme le montrent les exemples ci-dessous.

 

DES OUTILS DE FINANCEMENT SPÉCIFIQUES

La Facilité Adapt’Action est un fonds d’études et de renforcement des capacités, conçu pour soutenir la mise en œuvre des contributions déterminées au niveau national de 15 pays et organisations régionales (Afrique, pays les moins avancés, petits États insulaires en développement). Instrument privilégié pour poursuivre l’intégration croisée des thématiques genre et climat, cette facilité est dotée de 30 millions d’euros sur une durée de quatre ans (2017-2021) et traduit les engagements pris à l’occasion du premier Plan d’action genre, adopté lors de la COP23. Parmi les outils mis en place pour la prise en compte du genre, une facilité d’amorçage, de préparation et de suivi de projets (FAPS) dédiée à la thématique du genre a été lancée en 2019 pour un montant de 5 millions d’euros. Elle comporte des diagnostics de terrain et un volet d’assistance technique pour accompagner les projets. L’objectif recherché est de parvenir à identifier les besoins pratiques et stratégiques des femmes en s’appuyant sur des analyses fines des réalités socio-économiques, démographiques et écologiques de terrain. Sunref III, à Maurice, doté de 75 millions d’euros de prêt et de 7 millions d’euros de subvention, permet aux banques locales mauriciennes de financer des projets de lutte contre le changement climatique et intègre la dimension de l’égalité professionnelle. Il propose des avantages financiers pour les entreprises qui s’engagent sur des investissements climat et/ou genre en offrant une prime à l’investissement complémentaire à hauteur de 1 % du montant du prêt.

 

DES PROJETS PORTÉS  PAR LA SOCIÉTÉ CIVILE

Avec la remise du Prix des Solutions appuyé par l’AFD, l’ONG Women Engaged for a Common Future (WECF), promeut des solutions locales qui plaident pour une cause globale. Ce prix récompense des initiatives menées par et/ou pour des femmes en vue de réduire les inégalités existantes face au changement climatique. En 2019, trois projets ont été primés, dont le projet Deduram d’Univers-Sel : il vise l’amélioration des conditions de vie des populations des zones de mangrove en Guinée-Bissau, par l’échange de savoir-faire avec des paludiers de Guérande en France. Mené par Agrisud, un projet concernant des communautés khmus, situées dans la zone montagneuse au Nord du Laos, a pour objectif la construction et la réhabilitation d’équipements d’adduction d’eau. Dans ces communautés, la collecte d’eau est une tâche exclusivement féminine.  Le projet réduit donc directement la pénibilité du travail des femmes et leur permet d’avoir le temps d’assister à des formations techniques sur l’agroécologie.

Mis en place par Oxfam, un projet d’agriculture résiliente consiste à renforcer les capacités des communautés et organisations locales affectées par l’ouragan Irma qui a fortement endommagé les moyens de subsistance, les services de base et les infrastructures du centre du pays. Le projet vise à une plus grande prise de conscience du rôle des femmes dans ces processus de reconstruction et de résilience et à renforcer leur leadership.

 

CONCLUSION

Ces quelques exemples illustrent l’approche et les outils mis en place par l’AFD afin de faire émerger des projets labellisés « genre et climat ». L’intégration du genre dans les actions portées par le secteur privé reste un garant de leur efficacité et de leur durabilité. Il reste du chemin à parcourir, mais le Groupe AFD a réalisé des avancées significatives en matière d’intégration du genre dans les projets. Ainsi, près de 4 milliards d’euros en volume de projets intègrent-ils le marqueur genre CAD 1 ou 24. Les projets en prêts et en dons dédiés à l’égalité femmes-hommes (CAD 2) atteignent à eux seuls un montant de 500 millions d’euros dont 250 millions d’euros en subvention. Au-delà du constat que les liens entre genre et climat sont fondamentaux pour bâtir la justice climatique, la reconnaissance des femmes comme actrices à part entière du changement est indispensable à tout projet de développement durable.  

 

1 Elle s’est tenue à Madrid, du 2 au 13 décembre 2019.
2 Le premier Plan d’action genre a été adopté lors de la COP23.
3 Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques.
4  Marqueur genre du Comité d’Aide au Développement (CAD) de l’OCDE

Ouafae Sananès

Experte genre
Agence française de développement (AFD)

Parcours

Ouafae Sananès est experte sur la question du genre et chargée des relations institutionnelles et stratégiques à l’Agence Française de Développement (AFD). Elle est titulaire d’un Doctorat d’anthropologie sociale et d’ethnologie de l’Ecole des hautes études en sciences sociales.

Agence française de développement (AFD)

L’Agence française de développement (AFD) contribue à mettre en œuvre la politique de la France en matière de développement et de solidarité internationale. À travers ses activités de financement du secteur public et des ONG, ses travaux et publications de recherche (Éditions AFD), de formation sur le développement durable (Campus AFD) et de sensibilisation en France, elle finance, accompagne et accélère les transitions vers un monde plus juste et résilient. Ses équipes sont engagées dans plus de 3 250 projets sur le terrain, dans les Outre-mer, dans 115 pays et dans les territoires en crise, pour les biens communs – le climat, la biodiversité, la paix, l’égalité femmes-hommes, l’éducation ou encore la santé.

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