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Malgré un taux parmi les plus élevés au monde de femmes entrepreneures, le potentiel économique des femmes sur le continent africain reste sous-évalué. En cause, notamment, des offres de financement qui ne répondent pas nécessairement aux besoins réels ou des structures qui restent inadaptées. En travaillant sur ces deux volets, il est pourtant possible d’œuvrer grandement en faveur de l’autonomisation des femmes et de la réduction des inégalités liées au genre. 

L’Afrique est le continent phare de l’entrepreneuriat au féminin, avec le taux de femmes entrepreneures le plus élevé au monde (24 %)1. Et pourtant, chaque année, les questions de disparités liées au genre coûtent près de 95 milliards de dollars à l’Afrique subsaharienne2. Au-delà de l’entrepreneuriat, il est avéré qu’une participation optimale des femmes dans l’économie africaine permet de générer davantage de valeur ajoutée, notamment dans le domaine de la gestion d’entreprise. Ainsi, les entreprises africaines du top quartile en matière de représentativité de femmes au sein de leurs comités exécutifs présentent de meilleures performances financières. Ces performances se matérialisent par un excédent brut d’exploitation (EBE) de 14 % supérieur à la moyenne3.

Il est aussi prouvé que le leadership des femmes dirigeantes est le mieux adapté aux prises de décisions équitables. Elles seraient plus à l’écoute, délègueraient davantage et gèreraient mieux les conflits. De plus, les femmes en entreprise sont plus susceptibles que les hommes de collaborer et coopérer pour arriver à un consensus4. Enfin, elles investissent plus au profit de la société que leurs homologues masculins : dans les pays en développement, les femmes consacrent ainsi 90 % de leurs revenus à l’éducation, la santé et l’alimentation du foyer, contre 30 à 40 % pour les hommes5.

DES OFFRES FINANCIÈRES EN INADÉQUATION AVEC LES BESOINS

Malgré tous ces constats, le potentiel économique des femmes reste largement inexploité. Au Sénégal par exemple, les entreprises dirigées par des femmes représentent à peine 32,8 % du tissu économique ; plus de 99 % d’entre elles évoluent au sein d’entreprises individuelles, de très petites entreprises ou de petites entreprises6. L’accès au financement durable et adapté est le frein principal au développement de fortes entreprises dirigées par des femmes.

Dans les pays en développement, il existe un déficit de crédit annuel de près de 320 milliards de dollars pour les PME dirigées par des femmes7. Le Sénégal n’est pas une exception : seules 3,5 % de femmes entrepreneures qui empruntent de l’argent le font auprès d’institutions financières8, car les offres existantes sont en inadéquation avec les besoins des entreprises dirigées par celles-ci. Les conditions de financement des banques commerciales sont peu diversifiées et se limitent essentiellement à des prêts à court et moyen terme ; de plus, les contraintes liées à la garantie limitent automatiquement les femmes, qui ne sont généralement pas propriétaires de  titres fonciers ou de richesses pouvant garantir leurs prêts. Les institutions de microfinance ou de mésofinance soutiennent largement les projets de femmes, mais les montants investis limitent les perspectives de croissance à terme. Enfin, il existe des fonds d’investissement en capital qui présentent plus de perspectives de croissance durable. Cependant, les tickets de ces fonds sont largement supérieurs aux besoins des entreprises qui évoluent à petite échelle, soit la quasi-totalité des entreprises de femmes. Tous ces facteurs expliquent que 43,9 % des entrepreneures sénégalaises qui empruntent de l’argent le font auprès de proches9, d’où le frein à la croissance d’entreprises dirigées par des femmes.

Le potentiel économique des femmes reste largement inexploité. Au Sénégal par exemple, les entreprises dirigées par des femmes représentent à peine 32,8 % du tissu économique

UN FONDS D’INVESTISSEMENT CONÇU PAR ET POUR LES FEMMES

C’est dans ce contexte sénégalais, et plus largement d’Afrique de l’Ouest, que le Women’s Investment Club (WIC) Sénégal a vu le jour, porté par quatre Sénégalaises. Celui-ci a pour objectif d’élargir l’offre de financements accessibles aux entreprises dirigées par des femmes pour un développement économique inclusif de l’Afrique de l’Ouest francophone. Lancé en 2016 après une réflexion d’un an sur les meilleurs produits d’accompagnement, il s’est initialement constitué en club d’investissement pour mobiliser et faire fructifier l’épargne de femmes d’horizons divers qui désirent investir dans l’entrepreneuriat féminin. La mission de ce véhicule d’investissement est de promouvoir le rôle des femmes dans l’économie nationale en leur donnant la possibilité d’investir. À ce jour, le club compte 83 femmes ayant mobilisé une épargne de plus d’un million de dollars, constituée de manière progressive depuis mars 2016 et investie à la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM).

La mise en place de ce type d’initiatives n’est pas un parcours sans obstacles, notamment en raison du vide réglementaire de la sous-région freinant les activités d’investissement. Au Sénégal, Teranga Capital a été le premier fonds basé dans la sous-région ; sa constitution a duré près de deux ans, après un plaidoyer fort auprès des autorités compétentes.

Le WIC s’inspire des tontines connues de tous les Sénégalais, quel que soit le niveau de revenu, d’éducation ou le secteur d’activité. L’épargne y est constituée en communauté, via un montant fixe mis de côté régulièrement chaque mois. Légèrement différent, le modèle intègre un objectif d’investissement, encadré par une ou plusieurs plateformes financières modernes. Par exemple, les fonds mobilisés sont gérés par un intermédiaire financier, CGF Bourse, et une démarche progressive est adoptée pour renforcer l’éducation financière des femmes membres. Ceci afin de les positionner comme actrices, et non spectatrices, du financement de l’économie nationale à tous les niveaux : placement en bourse, investissement providentiel, investissement en capital-risque, etc. L’objectif, à terme, étant la mise en place d’un fonds de capital investissement.

Le lancement de WIC Côte d’Ivoire en 2018 s’inscrit également dans une démarche sous régionale et va dans le sens d’un futur réseau, à l’échelle africaine, qui soutiendrait l’ambition des entreprises du continent à se développer et représenter une nouvelle génération d’entreprises championnes, dirigées par des femmes. D’autres pays africains œuvrent à mettre en place des associations qui rejoindraient le réseau. Ils bénéficient actuellement du partage d’expérience et de toute la documentation du WIC Sénégal, avec le souhait de mise en place d’une assistance technique plus soutenue pour ces pays.

Au Sénégal, l’épargne collectée à date a permis de lancer, en mars 2019, le premier fonds d’investissement conçu par des femmes pour répondre aux besoins réels des entrepreneures en Afrique de l’Ouest. WIC Capital a vocation à financer et accompagner des entreprises sénégalaises et ivoiriennes à fort potentiel, qui répondent à des critères « genre » bien définis : des entreprises fondées par des femmes, appartenant à des femmes à hauteur de 50 % minimum, ou qui possèdent une équipe managériale à majorité féminine. La structure investit des montants adaptés à la taille des entreprises, soit 25 à 125 millions de francs CFA (38 100 à 190 500 euros), avec pour but de faire émerger des « entreprises championnes ».

En plus du financement, il s’agit également d’accompagner les entreprises dirigées par des femmes à travers un programme d’accompagnement et d’assistance technique. La WIC Académie, en cours de structuration pour un lancement au premier trimestre 2020, compte capitaliser sur l’expertise des membres du WIC pour apporter un accompagnement personnalisé aux entreprises qui répondent à des critères genre bien définis.

ENCOURAGER LA CRÉATION DE STRUCTURES NOVATRICES

La mise en place de ce type d’initiatives n’est pas un parcours sans obstacles, notamment en raison du vide réglementaire de la sous-région freinant les activités d’investissement. Au Sénégal, Teranga Capital a été le premier fonds basé dans la sous-région ; sa constitution a duré près de deux ans, après un plaidoyer fort auprès des autorités compétentes. La mise en place de WIC Capital a dû suivre un processus non moins complexe et dans la durée. Aujourd’hui le fonds s’est constitué en société à actions simplifiées en attendant la création d’une structure juridique adaptée aux sociétés d’investissement dans la sous-région. Cette attente n’est en aucun cas passive, puisque la structure s’est lancée dans une activité de plaidoyer pour le développement d’un cadre réglementaire qui concerne toute la région de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest africaine), plus incitatif à l’entrepreneuriat et à l’investissement. Le but de ce plaidoyer est d’encourager la création de structures novatrices, adaptées aux réalités de nos économies et de nos sociétés, sans lesquelles le développement de la sous-région ne pourrait être durable.

CONCLUSION 

Il est important que tous les acteurs de la sous- région, aussi bien publics que privés, se joignent à cette réflexion. Le genre est la porte d’entrée du WIC mais une forte mobilisation de tous les acteurs, sans exception, pour une réflexion commune est centrale. Il s’agit de transformer le cadre de mise en place de mécanismes de financement s’inspirant de bonnes pratiques à l’échelle mondiale, mais aussi de laisser libre cours à de nouveaux modèles faits par et pour le contexte local, et bien encadrés.

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1 Roland Berger, Le continent africain fait de l’entrepreneuriat un facteur d’émancipation, 2018. Disponible sur : http://bit.ly/2QCQraO
2 PNUD, Les disparités entre les genres coûtent à l’Afrique subsaharienne 95 milliards de dollars par an, 2016. Disponible sur : http://bit.ly/356kTPK
3 McKinsey, Women Matter Africa, 2017.
4 Serge Simen, Ibrahima Dally Diouf, Entrepreneuriat féminin au Sénégal : vers un modèle entrepreneurial de « nécessité » dans les pays en développement, 2013.
5 Albright & Borges, Women Empowered: Inspiring change in the emerging world, 2007.
6 Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD), Synthèse des résultats du projet de rénovation des comptes nationaux (PRCN), Synthèse des résultats du recensement général des entreprises (RGE) mené en 2016 et publié en 2017 portant sur toutes les unités économiques des secteurs formel et informel disposant d’un local aménagé dénombrées à 407.882 sur l’ensemble du territoire national sénégalais.
7 Groupe Banque mondiale, Égalité des genres et développement, rapport sur le développement dans le monde, 2012.
8 Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD), Idem.
9 Idem