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Les énergies renouvelables sont essentielles au développement durable, et l’éolien peut fournir de l’électricité à des prix compétitifs, tout en contribuant à limiter les effets du changement climatique. Pour autant, ses conséquences sur la biodiversité, en particulier dans les pays émergents, sont souvent mal comprises. Cette méconnaissance concerne en particulier les risques et effets liés aux collisions, contre les turbines éoliennes, de certaines populations d’oiseaux et de chauves-souris, ainsi que les effets de ces installations sur les habitats naturels et les écosystèmes. Pour répondre à ces préoccupations, les auteurs proposent un ensemble de recommandations susceptibles de protéger ces populations à risque dans les pays émergents, en particulier ceux où la réglementation est insuffisante.

L’accès à une énergie fiable, pérenne et abordable est une condition préalable à la réduction de la pauvreté, à la généralisation d’une prospérité partagée et à la sauvegarde de l’environnement – le développement des énergies renouvelables est par conséquent essentiel à la réalisation de cet objectif (Banque mondiale, 20171). On estime à 840 millions le nombre de personnes, principalement concentrées dans les pays du Sud, qui n’ont pas accès à l’électricité2. Or l’éolien peut fournir de l’électricité à des prix compétitifs, tout en permettant d’atténuer les effets du changement climatique. Le développement de l’énergie éolienne a cependant des conséquences souvent mal comprises sur la biodiversité, en particulier dans les pays émergents. Cette méconnaissance concerne en premier lieu les risques et effets des collisions, contre les turbines ou les lignes électriques, des populations d’oiseaux et de chauves-souris, mais aussi les conséquences du développement de l’éolien sur les habitats naturels et les écosystèmes.

Dans la mesure où l’on prévoit une progression de l’énergie éolienne dans les pays émergents3, il est indispensable d’identifier la sensibilité des espèces à ces risques, et les mesures à mettre en place pour en limiter les effets sur les sites et le paysage. Cette nécessité est encore renforcée au vu de la quantité d’espèces menacées susceptibles, dans les pays émergents, d’être concernées par les risques liés aux projets éoliens. Pour prendre un exemple, sur 100 espèces d’oiseaux et de chauves-souris menacées et encourant un risque élevé de collision avec des éoliennes, respectivement 82 % et 88 % se trouvent dans les pays du Sud4. Si les modélisations théoriques sur lesquelles reposent ces études donnent des indications sur les espèces potentiellement en danger, les données de terrain restent insuffisantes pour corroborer ces résultats.

À cela s’ajoute le fait que l’énergie éolienne est souvent perçue comme une énergie « verte » et que, dans certains pays émergents, la réglementation n’exige pas d’études préalables rigoureuses sur la biodiversité. Même lorsque des données fondamentales sont disponibles, les politiques énergétiques sont souvent planifiées sans en tenir compte5. En outre, à mesure que le secteur se développe, les effets sur les espèces sensibles peuvent se cumuler. Ce risque est particulièrement élevé le long des principaux couloirs migratoires, et dans les pays où plusieurs projets éoliens sont regroupés à proximité de zones abritant des populations de chauves-souris et d’oiseaux (migrateurs ou sédentaires) dont les espèces sont menacées.

Dans la mesure où l’on prévoit une progression de l’énergie éolienne dans les pays émergents, il est indispensable d’identifier la sensibilité des espèces à ces risques, et les mesures à mettre en place pour en limiter les effets sur les sites et le paysage.

La sauvegarde de la biodiversité et l’optimisation de la production d’électricité éolienne devraient être considérées sous l’angle de leurs bénéfices réciproques, mais cela n’est possible que si la planification des projets éoliens est coordonnée de façon à placer la biodiversité au même rang que les autres enjeux. C’est dans ce contexte que nous proposons cinq recommandations qui pourraient permettre de sauvegarder les populations d’oiseaux et de chauves-souris les plus exposées, en particulier dans certains pays émergents où les réglementations font défaut.

RECOMMANDATIONS

  1. Planification stratégique du paysage : la planification sectorielle de l’éolien est souvent centrée sur les ressources potentielles et autres facteurs t À l’IFC, nous pilotons cette démarche de façon à y intégrer les aspects environnementaux et sociétaux (E&S) en même temps que les considérations techniques. Cette approche vise à identifier les projets éoliens les moins risqués et dotés du plus fort potentiel, avant même de débuter le processus d’adjudication concurrentielle aux producteurs d’électricité indépendants (IPP). Sur le plan de la biodiversité, cela implique la prise en compte de la présence d’espèces menacées, en plus des autres facteurs. Une approche intégrée de l’aménagement du paysage, du point de vue technique, environnemental et sociétal, permettra aux pouvoirs publics de concentrer le développement des projets éoliens sur des zones éloignées des sites à « risque E&S élevé », de façon à mettre sur le marché des projets plus rentables, sous réserve des évaluations sociales et environnementales de terrain. Cette approche facilite la communication et la compréhension mutuelle entre les différents intervenants des domaines techniques et environnementaux, que ce soit au niveau des pouvoirs publics, du secteur privé, des bailleurs de fonds ou des consultants.
  2. Inclusion de la biodiversité dans les offres de mise en concurrence et les contrats d’achat d’électricité : le contrat d’achat d’électricité (PPA) négocié entre le producteur d’électricité éolienne et le gouvernement (ou tout autre acheteur) stipule notamment la quantité d’électricité qui sera produite et son coût, ou tarif. Parce que les promoteurs assurent bien souvent leur financement après la signature du PPA, les politiques E&S des bailleurs privés ne sont généralement pas prises en compte dans ce PPA. Si l’on fait figurer les exigences E&S – y compris en matière de biodiversité – dans le PPA lui-même et dans les appels d’offres gouvernementaux, alors les offres, pour être compétitives, devront démontrer qu’elles adhèrent aux bonnes pratiques de gestion de la biodiversité. Cela signifie aussi que les producteurs fixeront leur tarif en incluant le facteur E&S (et la biodiversité), plutôt que de voir cet aspect ajouté à la demande des bailleurs une fois le tarif fixé. L’inclusion de critères de biodiversité sélectifs dans les PPA est sans doute le moyen le plus efficace de transformer ce marché, sauf à en modifier le cadre réglementaire.
  3. Prise en compte de la biodiversité dans la détermination du rendement énergétique : en déterminant le rendement énergétique (EYA), on connaît la production d’énergie attendue pour un projet éolien donné. Ce paramètre de modélisation financière est utilisé par les développeurs et les bailleurs dans la structuration des projets et le calcul de leur retour sur investissement (ROI). Dans des pays émergents, où les données sont souvent insuffisantes, les effets sur les oiseaux et chauves-souris peuvent être difficiles à prévoir, et il est parfois nécessaire de brider les turbines pour réduire le nombre des collisions mortelles. Souvent, le niveau de restriction nécessaire n’est pas connu avant la phase opérationnelle. S’il faut brider une éolienne et que la perte énergétique résultante n’a pas été prise en compte dans le calcul du rendement, la puissance attendue ne sera peut-être pas atteinte, ce qui affectera la capacité du propriétaire à honorer les échéances de sa dette et obtenir son ROI. Dans le pire des cas, une production trop faible pourra menacer l’existence même du PPA. Dans les pays faiblement pourvus en données, il est donc prudent de prévoir un déficit énergétique lié aux conséquences des collisions (facteur de« perte relative aux contraintes environnementales ») et de l’intégrer dans le calcul d’EYA, indépendamment des prévisions contenues dans le dossier ESIA (« évaluation d’impact social et environnemental »). Ainsi, avec une modélisation plus prudente, les paramètres financiers du projet seront moins susceptibles d’être négativement affectés par une diminution imprévue des quantités d’énergie produites. Cette mesure simple peut faire une réelle différence dans la capacité des développeurs à s’adapter (de façon plus souple), avec l’option de brider l’installation si nécessaire.
  4. Obligation de suivi des collisions mortelles post construction : certains pays émergents demandent parfois une étude de référence dans le cadre de l’ESIA, mais rarement un état de la mortalité des oiseaux et chauves-souris après la mise en Sans un recueil systématique de ces données, les conséquences réelles sur les populations concernées resteront inconnues, se limitant à une extrapolation des études réalisées dans des pays développés, où les espèces et les sites ne sont qu’en partie comparables. Associés aux bonnes pratiques internationales du secteur, ces programmes de suivi statistique sont considérés par les spécialistes des interactions entre énergie éolienne et vie sauvage comme le meilleur moyen d’évaluer scientifiquement les impacts réels d’un projet éolien, pour mettre en place une gestion adaptée et des mesures opérationnelles visant à limiter ces effets. Il est donc recommandé aux bailleurs privés d’exiger, pour chaque projet, un suivi ex post des collisions mortelles, indépendamment du niveau de risque. Pour obtenir une estimation statistique objective et argumentée de la mortalité des oiseaux et chauves-souris, ce suivi doit être conçu à partir des recommandations scientifiques de chercheurs rompus aux situations de terrain. Ce domaine scientifique a considérablement progressé dans les pays où le secteur de l’énergie éolienne est bien développé mais, de façon générale, les méthodes les plus récentes n’ont pas encore été adoptées par les éthologistes dans les pays émergents. Il faut donc établir une coopération internationale entre des écobiologistes spécialistes de l’éolien et les ornithologues locaux, afin de développer les compétences et de faire émerger, dans toutes les régions du monde, des chercheurs susceptibles de travailler sur ces sujets pour les projets éoliens de leur pays.
  5. Des approches coordonnées de gestion de la biodiversité : pour lutter efficacement contre les effets cumulatifs des projets éoliens sur la biodiversité, une autre bonne pratique consiste à coordonner la démarche au niveau Cette organisation peut prendre la forme d’une entité qui centralise les conseils de planification et de gestion des aspects relatifs à la biodiversité dans les projets éoliens, les aspects liés au paysage, ou encore la collecte et l’analyse des données de mortalité ex post. Certains pays émergents ont obtenu des résultats probants. En Égypte, dans le golfe de Suez, c’est le cas de l’ATMP (Active Turbine Management Program), initiative phare au niveau mondial. Elle découle d’un protocole conjoint entre l’Agence égyptienne de l’environnement (EEAA), l’Autorité des énergies nouvelles et renouvelables (NREA), la Compagnie égyptienne de transmission électrique (EETC) et le Centre régional pour l’énergie renouvelable et l’efficacité énergétique (RCREEE6). La Jordanie a elle aussi réalisé de belles avancées dans ce domaine. Après l’impulsion apportée par l’IFC en 2017, les parties prenantes jordaniennes se sont en effet emparées du sujet, développant des approches spécifiques pour mettre en œuvre des critères unifiés et compiler les données de suivi de mortalité dans le pays.

Pour intégrer la biodiversité dans le secteur des énergies éoliennes, nous proposons les cinq mesures qui précèdent : dans les pays émergents, elles sont souvent négligées par les experts en conservation ou les agences gouvernementales.

Afin de garantir que l’expansion de l’éolien ne viendra pas hypothéquer les enjeux prioritaires de biodiversité, les praticiens du secteur, autorités de tutelle et prêteurs doivent renforcer la gestion de ces enjeux au niveau des sites, au-delà du dossier de candidature ESIA. Il faut déployer des stratégies permettant de contrebalancer efficacement les risques d’effets cumulatifs, au niveau national et international, mais aussi adapter la gestion de ces risques pendant toute la durée de vie du projet. Pour intégrer la biodiversité dans le secteur des énergies éoliennes, nous proposons les cinq mesures qui précèdent : dans les pays émergents, elles sont souvent négligées par les experts en conservation ou les agences gouvernementales, alors qu’elles pourraient au contraire transformer notre appréciation des risques, et renforcer considérablement la protection des espèces menacées.

 

  1. Gasparatos, , Doll, C.N.H., Esteban, M., Ahmed, A. & Olang, T.A. (2017) Renewable energy and biodiversity: Implications for transitioning to a Green Economy. Renewable and Sustainable Energy Reviews, 70, p. 161 à 184.
  2. IEA, IRENA, UNSD, WB & WHO (2019) Tracking The Energy Progress Report.
  3. GWEC (2020a) Africa Wind Energy Global Wind Energy Council. GWEC (2020b) Global Wind Report 2019. Global Wind Energy Council (Conseil mondial de l’énergie éolienne).
  4. Thaxter, B., Buchanan, G.M., Carr, J., Butchart, S.H.M., Newbold, T., Green, R.E., Tobias, J.A., Foden, W.B., O’Brien, S. & Pearce-Higgins, J.W. (2017) Bird and bat species’ global vulnerability to collision mortality at wind farms revealed through a trait-based assessment. Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences, p. 284.
  5. Banque mondiale (2017), Rapport et état des lieux sur l’accès à l’électricité.
  6. https://www.rcreee.org/content/rcreee-launches-first-strategic-and-operational-framework-protocol-evaluation-environmental