Depuis quelques décennies, nous constatons une recrudescence d’épidémies liées à des maladies zoonotiques – dues à des infestations parasitaires dont les agents se transmettent naturellement des animaux aux humains. Les crises sanitaires succèdent les unes aux autres et comme dans le cas de la Covid-19, elles peuvent s’accompagner de crises sociales et économiques. La grande accélération des épidémies n’est pas sans lien avec le développement spectaculaire des échanges internationaux. Pourtant, une pandémie majeure était prévisible – et prévue. L’Organisation mondiale de la Santé l’a d’ailleurs dénommée la « maladie X » et a listé les agents infectieux potentiels qui pouvaient en être à l’origine, mais sans trop explorer les conditions socio-écologiques de leur potentiel d’émergence. Se préparer en prenant des mesures de biosurveillance ou en cataloguant tous les virus des animaux sauvages, c’est important, mais ce n’est pas suffisant pour éviter l’émergence des zoonoses ni pour réduire les conditions favorables aux pandémies.
CRISE DE LA BIODIVERSITÉ ET ÉPIDÉMIES DE ZOONOSES
Le nombre important d’épidémies de zoonoses est globalement corrélé à la crise de la biodiversité. Cela s’explique par le développement de l’élevage, par la déforestation, et par la perte d’habitats gérés traditionnellement. Le développement de l’élevage est une cause majeure de baisse de biodiversité et d’augmentation des zoonoses. Entre 1960 et 2016, le cheptel mondial de cochons est passé de 500 millions à 1,5 milliard et celui des poulets de 5 à 22 milliards. En réduisant les habitats naturels convertis pour l’alimentation des animaux de rente, la croissance ininterrompue de l’élevage favorise les passages des agents microbiens de la faune sauvage aux humains. La déforestation et les plantations industrielles sont également des facteurs associés aux émergences et aux épidémies de zoonoses. Les pays les plus affectés par l’augmentation des épidémies sont les pays présentant des accroissements importants des taux de déforestation ou du taux de conversion de terres en plantations commerciales. La crise de la biodiversité modifie les interactions essentielles au bon fonctionnement des écosystèmes et à la qualité des services écosystémiques. La disparition de leurs prédateurs et des leurs compétiteurs diminuent les régulations des animaux réservoirs, des microbes qu’ils hébergent et des vecteurs qui peuvent les transmettre. Le service écosystémique de régulation de la transmission des maladies est ainsi neutralisé. Les habitats à la diversité désormais appauvrie et simplifiée perdent leur résilience écologique comme leur résilience aux épidémies.
RENFORCER NOTRE COMPRÉHENSION DES ÉMERGENCES ET DES CRISES SANITAIRES
Constatons d’emblée qu’une crise affectant la santé humaine, même si elle est d’origine animale, même si elle est liée à la façon dont nous concevons nos relations à la nature, ne sera hélas jamais gérée seulement que par des experts du domaine biomédical. Là encore, l’expérience de la Covid-19 nous démontre que la gestion de l’urgence sanitaire est déconnectée de la bonne compréhension des processus qui ont conduit à l’émergence de la crise sanitaire globale. Il convient pourtant, pour être plus efficaces, de renforcer cette analyse – cela commence par distinguer trois niveaux d’implication : le biologique, l’épidémiologique et le politique. L’origine d’un agent infectieux relève du biologique. Dans le cas du SARS-CoV2, il s’agit d’un Beta-coronavirus ayant pour réservoir une espèce de chauves-souris insectivores, et potentiellement un hôte intermédiaire encore inconnu. Les recherches menées à ce niveau d’analyse vont de la virologie à l’immunologie en passant par l’infectiologie. Ces recherches permettent de compléter le catalogage des virus potentiellement émergents et de développer des nouveaux outils de diagnostic et de traitement. Le deuxième niveau, épidémiologique, s’intéresse au mode de transmission de l’agent infectieux entre animaux, entre animaux et humains, puis entre humains. Cette transmission s’inscrit dans un contexte écologique, social et économique : crise de la biodiversité, trafic d’animaux sauvages, déforestation, augmentation de l’élevage, urbanisation, mondialisation des échanges. Il s’agit de comprendre comment un virus qui circulait dans des populations de chauves-souris quelque part en Asie a pu se retrouver quelques mois plus tard dans l’ensemble des populations humaines de la planète. Le troisième niveau, politique, concerne la gestion de la crise sanitaire. Celle-ci révèle la perception de l’épidémie par le corps social, les acteurs de la santé et les décideurs politiques. Ayant acquis le statut de crise sanitaire, l’épidémie engendre une réponse (bio)politique avec la mise en place de mesures de quarantaine, de confinement, de développement de tests de dépistage et de traitements. Ces mesures ne sont pas sans conséquences sur les sorties de crise et les leçons à en tirer, comme sur la préparation à l’éventualité de nouvelles crises. Malheureusement, chaque crise sanitaire conduit à une accentuation des mesures de biosécurité au détriment du traitement des causes de l’émergence et de la propagation des épidémies.
SE PRÉPARER OU ÉVITER LA PROCHAINE ZOONOSE PANDÉMIQUE
Les épidémies et émergences de zoonoses sont les manifestations d’un dysfonctionnement de nos liens aux animaux, sauvages et domestiques. L’approche « One Health » est encore trop centrée sur la biosurveillance et la biosécurité, avec une faible prise en compte de la santé des écosystèmes (pourtant portée par le PNUE et l’Unesco). L’approche « Santé dans toutes les politiques » préconisée par l’OMS est encore peu mise en œuvre, ce qui explique le peu de dialogue et d’actions intersectoriels lors des crises sanitaires. La re-végétalisation de notre alimentation peut devenir un objectif de santé public primordial. Les diététiciens nous disent que la réduction de la part des protéines animales au profit de protéines végétales a des effets bénéfiques sur la réduction des maladies cardio-vasculaires et sur l’apparition des maladies auto-immunes. Une réduction de l’alimentation carnée aura des effets bénéfiques sur l’environnement, la déforestation et la baisse de biodiversité, tout en permettant de diminuer les risques sanitaires zoonotiques. La santé globale peut rejoindre la santé écologique et sanitaire des territoires.
IDENTIFIER ET DÉPASSER LES FRONTIÈRES DISCIPLINAIRES ET SECTORIELLES
Une nouvelle approche de la santé et de l’environnement nécessite que les frontières disciplinaires et sectorielles ainsi que les clés de leur décloisonnement soient identifiées. Ce qui doit se traduire par le développement de politiques de santé collaboratives et co-construites entre des communautés de citoyens, des scientifiques et des administrations, dans le cadre d’une nouvelle gouvernance « Santé-Environnement ».
La vision traditionnelle d’« éducation » des citoyens, communautés, praticiens, décideurs doit être dépassée pour aller vers une compréhension partagée des connaissances, des représentations et des valeurs portées par les différents acteurs. À l’expertise traditionnelle doit se substituer une expertise plurielle, intégrant des savoirs scientifiques et des formes de connaissances basées sur l’expérience et le vécu des populations, comme sur celles des administrations publiques. De cette nouvelle approche liant étroitement santé et environnement dépend notre capacité à éviter les futures crises sanitaires et sociales liées aux zoonoses