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Face à l’accélération de la crise mondiale du climat et de la biodiversité, et au vu de la disparition des puits de carbone et de certains écosystèmes essentiels à la survie de l’humanité, il est plus que jamais urgent de restaurer et de protéger les milieux naturels. La reconstruction des milieux dégradés est indispensable pour parvenir à la résilience économique et climatique, et pour protéger les sols, les bassins hydrographiques et les espèces sauvages. La collaboration des entreprises avec d’autres partenaires est, elle aussi, une nécessité si l’on veut placer ces efforts de restauration au niveau de l’enjeu environnemental planétaire.

La décennie qui s’ouvre a été déclarée par l’ONU « Décennie pour la restauration des écosystèmes ». L’ambition affichée est de mettre fin à la dégradation des écosystèmes et de les restaurer, afin d’atteindre les objectifs mondiaux – et intrinsèquement liés – fixés pour le climat, la nature (y compris en termes de biodiversité) et le bien-être de l’humanité (sécurité alimentaire et réduction de la pauvreté, notamment).

La restauration des écosystèmes concerne entre autres les mangroves, les herbiers marins et les forêts. Elle peut passer par la régénération naturelle ou assistée, l’agroforesterie, l’amélioration des sols ou une gestion mieux adaptée et plus durable des milieux naturels, qu’ils soient terrestres, aquatiques ou marins. Tout écosystème dégradé (mines, exploitations agricoles, forêts, zones de pêche) présente un potentiel de restauration. Le rétablissement de l’intégrité écologique peut aussi se faire à grande échelle, par exemple pour tout un plateau géologique ou une chaîne montagneuse.

Les ressources naturelles telles que les minerais, l’eau ou les terres fertiles sont distribuées de façon inégale sur la planète, et tendent à être plutôt regroupées. Bien souvent, les zones où elles se concentrent recoupent en partie ou jouxtent des zones présentant un degré élevé de biodiversité (par exemple la bauxite, le titane et le nickel se trouvent principalement dans des endroits couverts de forêts). Cette situation conduit au regroupement des activités opérationnelles des entreprises, notamment minières, qui dépendent de l’accès à ces ressources.

Si les activités de beaucoup de ces entreprises bénéficient localement aux communautés humaines (opportunités économiques, sécurité, amélioration des soins de santé et de l’accès à l’eau potable), elles ont aussi des impacts négatifs : dégradation des forêts, épuisement des ressources, pollution des cours d’eau et de la nature environnante. Sur certains territoires, des opérations en cours participent à la dégradation de l’environnement :

  • activités du secteur privé sur l’île de Bornéo (huile de palme) et dans la province de Sumatra du Sud (mines de charbon) ;
  • exploitation minière à grande échelle en Guinée (bauxite et minerai de fer), et dans le centre méridional du Brésil ou au Liberia (minerai de fer) ;
  • petites exploitations minières artisanales dans le bassin amazonien (province de Zamora-Chinchipe, en Équateur) ou dans le bassin du fleuve Congo (Guinée équatoriale, Gabon, Congo-Brazzaville, RDC, République centrafricaine, Cameroun).

DE LA DÉGRADATION À LA RESTAURATION

Dans d’autres territoires, la dégradation a déjà eu lieu, sans qu’il en soit réellement pris acte, et sans restauration. C’est le cas de certains sites miniers, comme le bassin de la rivière Falémé, en Afrique occidentale, où la dégradation s’aggrave (envasement des cours d’eau et lixiviation de métaux toxiques).

Le secteur privé dans son ensemble est assez faiblement engagé dans les programmes de restauration à grande échelle des milieux naturels. Les raisons sont multiples, et principalement liées à des biais perceptifs – opportunités limitées, risques associés, exposition à des passifs, défaut de mandats – mais aussi aux lois antitrust (qui entravent les coopérations intersectorielles).

De ce fait, peu d’entreprises intègrent la dimension du « paysage » dans leurs politiques sociales et environnementales, et les influences extérieures des institutions publiques ou des organismes de crédit (comme la Banque mondiale) l’exigent rarement. Les « zones d’influence » – celles où sont ressentis les impacts de l’entreprise – sont en général définies au cas par cas. En outre, les méthodes de suivi et d’évaluation (en particulier dans le secteur minier) vont rarement au-delà des activités opérationnelles directes de l’entreprise, et la communication de ses performances comporte rarement un volet sur ces critères.

Du point de vue de Fauna & Flora International (FFI), les entreprises pourraient s’impliquer beaucoup plus activement dans la restauration. Elles y gagneraient, elles aussi, à condition de le faire sur l’ensemble des milieux naturels concernés, de façon stratégique et intégrée, et dans le cadre de partenariats clairement définis (entre le secteur privé, les ONG et les États).

Les opportunités sont nombreuses. De vastes étendues de terres dégradées ou de cours d’eau nécessitent une restauration, qui permettrait de sauvegarder les espèces, d’assurer la subsistance humaine et l’accès aux services écosystémiques, et de rétablir les réseaux écologiques naturels. La coopération des entreprises entre elles peut conférer à ces initiatives la légitimité et la stabilité nécessaires, leur apporter des ressources (financières et techniques) et la maîtrise foncière de la restauration. Les avantages pour les entreprises sont considérables : confiance accrue des consommateurs, atteinte ou dépassement des objectifs réglementaires, réduction des risques liés à l’eau, ou encore bénéfices financiers de la séquestration du carbone – pour n’en citer que quelques-uns.

PROGRESSER, PAS À PAS

Les étapes d’exploration et de mise en œuvre de ces pistes, essentielles pour la restauration du milieu naturel, peuvent comporter :

  1. Le développement d’une cartographie des opportunités existantes ; l’essentiel des données nécessaires existe déjà.
  2. La sélection des actions les plus pertinentes, sur la base de critères liés aux coûts environnementaux et de restauration, en retenant les options présentant le meilleur rapport coûts-bénéfice. Cette sélection peut aussi être affinée, en discutant avec les entreprises présentes localement.
  3. L’établissement d’une feuille de route pour les milieux naturels sélectionnés, en s’appuyant sur les exigences des autorités réglementaires nationales en matière de restauration, et en les dépassant pour produire des revenus liés à la séquestration du carbone résultant des actions de restauration des écosystèmes.
  4. La création de partenariats avec des agences gouvernementales et des « influenceurs » tels que les banques de développement et autres bailleurs de fonds multilatéraux, afin de doter ces projets en capital.
  5. La mise en place d’un outil d’organisation des actions collaboratives, qui pourrait aussi proposer un accompagnement méthodologique et des études de cas spécifiques au secteur.

Un certain nombre d’initiatives et de modèles de restauration ont rencontré le succès, parmi lesquels la méthodologie de « réhabilitation frugale » utilisée dans l’extraction minière artisanale en Mongolie1, ou le travail de FFI dans la restauration et la préservation de terres pastorales à usage mixte au Kenya et dans les forêts d’araucaria du Brésil, ou encore la réhabilitation par les cimentiers européens de carrières de calcaire et d’agrégats pour le rétablissement d’habitats naturels prioritaires. Le besoin le plus urgent, qui est aussi source d’opportunité, consiste à déployer ces approches à l’échelle d’ensembles naturels de grande ampleur – en attirant davantage de partenaires et en imaginant des stratégies conjointes de restauration, pour conjuguer et accroître les ressources, afin de restaurer des milieux naturels beaucoup plus vastes et des écologies en réseaux.