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En Afrique, les TPE-PME représentent un fort potentiel d’emploi pour les jeunes. Pourtant, d’importants freins existent à leur financement : problèmes d’accès, de risque, de réglementation ou encore d’expertise. Les différentes approches du risque, perçu comme élevé dans les prêts aux TPE-PME, sont au cœur de toutes les attentions. Deux solutions sont notamment possibles : le crédit adossé aux flux de trésorerie et les garanties de portefeuilles. Mais au-delà de ces outils, volonté et engagement sont indispensables pour offrir des opportunités aux millions de personnes enfermées dans la pauvreté – et, en particulier, développer leurs compétences.

Le soutien aux petites et moyennes entreprises (PME) revêt un enjeu stratégique pour toute la communauté internationale du développement. Et pour cause : les TPE-PME génèrent une grande partie du PIB de ces pays et présentent un fort potentiel d’emploi pour les jeunes. En Afrique, par exemple, elles représentent 90 % des entreprises, concentrent 60 % des emplois du secteur formel et contribuent à hauteur de 40 % du PIB. Pourtant, sur les marchés émergents, elles rencontrent des difficultés. Beaucoup de PME peinent à accéder aux financements indispensables à leur croissance – et ce malgré la prise de conscience de leur rôle économique clé par les gouvernements et les organisations internationales de  développement.  

 

LES BANQUES RECHIGNENT À ACCORDER DES FINANCEMENTS À LONG TERME

Dans la plupart des pays développés, l’accès au financement constitue une évidence. Il en va tout autrement en Afrique où, pour le plus grand nombre, celui-ci est très limité. Là où des solutions de prêts à long terme existent, elles sont souvent réservées aux principaux clients des banques, à des taux élevés et le plus souvent en devises fortes, évitant ainsi au prêteur le risque de change en monnaie locale. Pour financer leur immobilier ou leurs équipements, les PME ne trouvent donc que rarement un crédit dont la maturité corresponde à la vie économique de l’investissement. Elles doivent par conséquent recourir à des financements à court terme, dont les mensualités beaucoup plus élevées (souvent intenables) créent des problèmes de trésorerie. Les banques africaines limitent les financements à long terme parce qu’elles doivent se montrer prudentes dans la gestion structurelle des maturités actifs-passifs : faute de marché obligataire local dynamique et de prêts interbancaires à long terme, leur financement est d’abord assuré par les dépôts de leurs clients.

Pour pallier cette situation, les institutions financières de développement (IFD) prêtent massivement au secteur financier – à long terme et bien souvent en destinant explicitement les fonds au financement des PME. Mais, pour des raisons de risque, les IFD préfèrent encore prêter en devises fortes. Un autre obstacle au financement des PME concerne la perception du risque qu’elles représentent. Une banque guinéenne affiche par exemple une exigence de 80 % de garantie pour ses prêts aux TPE-PME. Cela limite évidemment le nombre d’entreprises susceptibles d’obtenir un financement. Cette perception d’un risque élevé se fait plus nette encore pour les jeunes entrepreneurs et les femmes. Pour y remédier, les institutions financières de développement déploient des services d’assistance technique afin d’aider les institutions financières à mieux évaluer les risques, et proposent des dispositifs de réduction de ces derniers pour inciter au financement des PME.  

 

RÉFORMER LA RÉGLEMENTATION DU SYSTÈME FINANCIER

La réglementation représente un autre facteur limitant du financement des PME. Pouvoirs publics, Banques centrales et autorités monétaires régionales sont chargés d’établir et de faire respecter les règles permettant d’assurer la bonne santé du système financier. Le principal enjeu est donc de trouver le juste équilibre dans l’offre de crédit. Certains pays africains appliquent des règles trop restrictives qui limitent la capacité des établissements bancaires à prêter aux PME. En Mauritanie, par exemple, une banque explique qu’un emprunteur doit normalement fournir une garantie immobilière de 120 % du montant du crédit sollicité. De telles restrictions sont contreproductives et, dans ces pays, une réforme est indispensable pour permettre la croissance des PME. Un autre problème qui se pose dans les pays en développement relève de la méconnaissance du monde de l’entreprise parmi les petits entre-preneurs et les salariés. Dans toute l’Afrique, on est trop souvent confronté à une maîtrise insuffisante des principes comptables élémentaires, ce qui entraîne des difficultés de gestion financière, notamment dans la présentation des états financiers ou des plans de développement à un prêteur potentiel. Les IFD et certaines ONG offrent un appui en la matière, mais la demande dépasse très nettement l’offre. Pour résorber ce déficit de compétences, il pourrait être utile de coordonner des politiques nationales d’éducation qui incluraient certains principes fondamentaux de gestion dans le cursus scolaire. Parmi les quatre défis du financement des petites et moyennes entreprises dans ces pays (accès, risque, réglementation et compétences), la gestion du risque est celui qui suscite le plus d’intérêt. Les prêts adossés aux flux de trésorerie et les garanties de portefeuilles sont deux des solutions  possibles.  

 

L’ENGAGEMENT DU PRÊTEUR PERMET DE LIMITER LES RISQUES

Dans l’approche classique du crédit, le prêt est adossé à un nantissement. En cas de défaut, le prêteur devient propriétaire de l’actif nanti. Problème : cette méthode ne favorise pas la croissance économique, car rares sont les futurs chefs d’entreprise qui disposent d’actifs suffisants pour constituer la garantie. Une autre solution consiste à adosser les prêts aux flux prévisionnels de trésorerie. Cela requiert, de la part des chargés d’affaires de la banque, une implication directe auprès du chef d’entreprise pour bien comprendre son activité et bâtir des prévisions financières permettant d’estimer les cash flows prévisionnels. Le prêteur acquiert de ce fait une meilleure vision de la capacité de remboursement de l’emprunteur, mais aussi de son réel besoin de financement. Il en résulte une relation plus étroite entre les deux parties. Le banquier va ainsi pouvoir détecter plus tôt les signes avant-coureurs d’un éventuel problème de remboursement, et proposer des solutions. Même si une part de garantie reste requise, une meilleure visibilité sur les risques permet à la banque d’accepter une couverture moins importante que sur un financement traditionnel. Et parce que la majorité des défauts de paiement résultent d’une incapacité (et non d’un refus) de rembourser, la limitation du nantissement ne favorise pas nécessairement un taux de défaut plus élevé. La relation privilégiée qui se crée augmente au contraire la propension des entrepreneurs à honorer leur dette.

En matière de risque, une autre solution est le recours à la garantie partielle des portefeuilles de crédits aux PME, généralement proposée par les IFD. Au titre de cette garantie, l’IFD accepte d’absorber une quote-part définie (habituellement de 50 %) des éventuelles pertes encourues par une institution financière sur ses prêts aux PME. L’institution prêteuse paie une commission de garantie (comparable à une prime d’assurance). Cette dernière est souvent en partie subventionnée pour encourager le recours à ces garanties et favoriser la réalisation de certains objectifs de développement. Ainsi, Proparco propose depuis mai 2019 la garantie ARIZ, tandis que la Commission européenne a lancé un vaste programme de garantie EFSD (European Fund for Sustainable Development), offrant des produits d’atténuation du risque au travers d’un certain nombre d’IFD, et notamment du programme de la BAD pour les PME africaines.  

 

UN PARTENARIAT MULTIPARTITE POUR LA CROISSANCE EN AFRIQUE

Les garanties de portefeuilles de prêts peuvent prendre la forme d’une couverture de première ou de deuxième perte. Dans le premier cas, l’IFD absorbe une partie des défauts de paiement sur les crédits aux PME dès qu’ils surviennent, en général à concurrence d’un plafond donné. Pour la garantie en seconde perte, la banque ayant consenti le prêt absorbe les défauts de paiement jusqu’à un certain seuil, au-delà duquel l’IFD rembourse les pertes additionnelles. Les deux mécanismes sont utiles mais ne poursuivent pas les mêmes objectifs.

Tout prêteur doit s’attendre à ne pas être remboursé en totalité des crédits qu’il a consentis. C’est ce que l’on appelle la « perte attendue ». Son montant peut varier selon les pays, l’environnement économique ou le type d’emprunteur. Beaucoup de banques sont réticentes à prêter aux PME, qu’elles considèrent comme plus risquées et donc susceptibles d’augmenter leur perte attendue. Lorsque ces pertes théoriques passent par exemple de 6 % à 8 % du montant prêté, en raison d’une augmentation du crédit aux PME ou à une catégorie d’emprunteurs plus risquée, une IFD peut proposer une garantie de première perte sur l’écart de 2 %, ramenant à 6 % la perte attendue pour la banque prêteuse. C’est un outil efficace pour inciter à offrir un surcroît de crédits aux PME qui, sans cela, n’auraient pas été accordés. La garantie de deuxième perte s’apparente davantage à une assurance contre le risque de catastrophe. Les frais de garantie sont généralement moins élevés, l’IFD ayant une probabilité plus faible d’être appelée en garantie. Si l’on reprend l’exemple précédent, on peut imaginer une garantie qui se déclencherait au-delà de 10 % de pertes (pertes « inattendues »). La banque prêteuse voit toujours ses pertes attendues passer à 8 %, mais elle est protégée d’une éventuelle erreur de calcul de son risque prévisionnel ou d’une catastrophe entraînant des défauts de paiement supérieurs à 10 %. Ce type de garantie peut s’avérer utile lorsqu’il existe un risque politique latent, une menace importante de catastrophe naturelle ou une surexposition de l’économie au cours d’une matière première donnée. Elle n’a en revanche pas de rôle incitatif sur le financement des PME par les organismes de crédit.  

 

FINANCEMENT ET COMPÉTENCES : LES CLÉS DE LA RÉUSSITE DES PME

Le financement des PME est essentiel au développement économique des pays pauvres et à la création d’emplois pour des populations jeunes, en forte croissance. Les défis sont cependant nombreux lorsqu’il s’agit d’assurer aux PME, de façon concrète et pérenne, les financements qui leur sont nécessaires. Plusieurs outils existent pour surmonter ces obstacles. Une approche bien pensée, combinant à la fois l’apport de liquidités, l’atténuation du risque, les nécessaires réformes réglementaires et l’appui au développement des compétences, sera à même de relever de tels défis, pour bâtir un secteur privé solide et offrir des opportunités aux millions de citoyens maintenus dans le cycle de la pauvreté.

Jonathan Lange

Consultant senior
Banque africaine de développement

Parcours

Jonathan Lange était, jusqu’en mai 2019, le coordinateur du programme de la BAD pour les PME en Afrique. Ce programme vise à faciliter l’accès au financement des micro-entreprises et PME, sur tout le continent africain. Avant de rejoindre la BAD, Jonathan Lange a passé plusieurs années en Tunisie, où il dirigeait une ONG américaine de développement et enseignait la finance et la comptabilité. Il est titulaire d’une licence et d’une maîtrise de l’université de Chicago, et d’un MBA de l’université d’Austin, au Texas. Il est aussi diplômé du CFA (Chartered Financial Analyst) et expert-comptable agréé.

Banque africaine de développement

La Banque africaine de développement (BAD) compte 80 États membres (54 pays africains et 26 non africains). Elle est la principale institution financière de développement en Afrique. Sa mission est de promouvoir l’investissement sur le continent, dans une perspective de développement économique durable et de progrès social. Elle propose à cet effet des services de conseil stratégique et d’assistance technique.