• logo linkedin
  • logo email
Les diasporas africaines représentent un atout unique qu’il convient de valoriser. Outre les flux financiers vers leurs pays d’origine, elles contribuent, grâce aux expériences acquises à l’étranger et à leur maîtrise du contexte culturel local, à la croissance économique du continent en y créant des entreprises et en stimulant l’innovation. Médias, fintech, développement durable, services… : Ninon Duval, directrice de l’association Bond’innov, met en lumière des jeunes pousses qui renouvellent les dynamiques entrepreneuriales entre la France et l’Afrique.

Même si les diasporas africaines recouvrent des réalités plurielles, il existe un profil type de l’entrepreneur que nous accompagnons au sein de Bond’innov, à l’instar de la plupart des incubateurs : celui d’un homme d’une trentaine d’années, diplômé et disposant d’une première expérience professionnelle de haut niveau. Grâce à une certaine assise financière et à son réseau d’affaires, il est en mesure de prendre des risques calculés dans son domaine d’innovation. Ces entrepreneurs high-tech issus des diasporas jouent un rôle essentiel pour insuffler une nouvelle dynamique et modifier le regard porté sur nos quartiers (effet d’entraînement et d’exemplarité dans des villes cosmopolites comme Bondy, où nous sommes implantés) et sur l’Afrique. Ainsi, les diasporas innovantes, qu’elles soient en France, en Afrique ou entre les deux continents, sont l’objet de toutes les attentions du Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA), créé en août 2017. Dans son discours de Ouagadougou prononcé quelques mois plus tard, le président Emmanuel Macron affirmait son intention de s’appuyer sur les entrepreneurs de la diaspora pour « réinventer les relations de la France avec les pays africains ».

 

LES DIASPORAS AFRICAINES INVESTISSENT LE SECTEUR DE LA FINTECH

Six millions de personnes issues des diasporas africaines vivent dans l’Hexagone. Et un tel marché offre de multiples opportunités d’affaires dans de nombreux secteurs. Ainsi, les médias en ligne, qui proposent des contenus, films et séries à destination d’un public originaire d’Afrique, font partie des nouveaux territoires investis par les entrepreneurs issus des diasporas. Upendo, média et agence créative basée en France et disposant d’un vaste réseau de producteurs dans les pays francophones d’Afrique, diffuse des contenus à destination des milléniaux des diasporas. Moins d’un an après son lancement, la plateforme réunit une communauté de plus de 10 000 abonnés et comptabilise 700 000 vues. De son côté, Marodi.TV, société de production de films née dans les quartiers de Seine-Saint-Denis, s’est installée au Sénégal en 2016 et y produit des séries populaires comme « Maîtresse d’un homme marié », véritable succès dans les pays du Sahel et au sein des diasporas africaines.

La fintech est également un secteur en plein essor. Des jeunes entreprises proposent de nombreux services innovants à forte valeur ajoutée à destination des diasporas. Parmi elles, Izikare permet à ses membres installés partout dans le monde de souscrire à une assurance santé en faveur de leurs proches vivant en Afrique. Pour sa part, Wizodia accompagne les diasporas dans leurs investissements immobiliers sur le continent. Depuis son installation en 2017 à La Courneuve (Seine-Saint-Denis) au sein de la pépinière d’entreprises La Miel, la start-up a piloté une centaine de projets, la plupart en Côte d’Ivoire. En 2020, elle a réalisé un chiffre d’affaires de 500 000 euros, en croissance de plus de 100 % malgré le contexte de crise sanitaire grâce notamment à un prêt d’amorçage accordé par Bond’innov.

Avec des transferts d’argent à hauteur de près de 90 milliards de dollars par an, les diasporas africaines sont les premiers contributeurs au développement du continent. Des fintechs basées en France, comme la plateforme de crowdfunding Afrikwity, s’appuient sur les nouvelles technologies pour canaliser ces investissements vers les projets productifs et innovants du continent. Avec une communauté de plus de 5 000 membres issus des diasporas, la start-up a, depuis sa création en 2017, accompagné plus de 30 entreprises dans leurs stratégies de développement et facilité leur financement à hauteur de 10 millions d’euros.

Alors que les frais liés aux taux de change et aux coûts de transfert à l’international pratiqués pas les grands réseaux comme Western Union ou Money Gram représentent entre 10 % et 15 % des sommes transférées entre l’Europe et l’Afrique, de nombreuses start-up tentent d’apporter des solutions alternatives. C’est le cas de la néobanque d’origine ougandaise Eversend, venue s’établir en France en 2017 et qui revendique une solution « sept fois moins chère et 1000 fois plus rapide » que les circuits traditionnels. Quant à l’application de transfert d’argent Taptap Send, désormais disponible dans sept pays européens et onze pays africains, elle a déjà séduit 100000 clients depuis son lancement en 2018.

La fintech Particeep, fondée en 2013 par le Franco-Camerounais Steve Fogue, entend également profiter des opportunités liées aux transformations digitales du secteur bancaire. Cette plateforme technique fournit aux banques, aux assureurs, aux sociétés de gestion et à leurs réseaux de distribution des solutions clés en main et en marque blanche pour commercialiser en ligne leurs produits et services financiers.


 

RÉPONDRE AUX ENJEUX DE DÉVELOPPEMENT DURABLE PAR L’INNOVATION

La francophonie, qui réunit 300 millions de personnes sur l’ensemble du continent, constitue une autre opportunité pour les entrepreneurs des diasporas du Maghreb et de l’Ouest africain. S’associant à la plateforme française de services juridiques LegalStart, l’Ivoirien Youssouf Ballo a fondé Legafrik en 2018 pour proposer en ligne des solutions d’assistance juridique et de formalités juridiques à bas prix. Le marché de la création d’entreprise étant particulièrement dynamique dans certains pays de cette zone francophone du continent, avec un taux de croissance annuel supérieur à 30 %, Legafrik cible les 17 pays membres de l'Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (Ohada).

L’entrepreneur camerounais Duplex Éric Kamgang a choisi, lui, de se positionner sur le marché de la garantie bancaire à destination des étudiants francophones qui souhaitent obtenir un visa pour poursuivre leurs études dans l’Hexagone. Lancée en 2016 à Puteaux (Hauts-de-Seine), sa start-up Studely s’est rapidement muée en une jeune pousse d’une centaine de salariés (dont 80 en Afrique), couvrant quinze pays du continent et générant un chiffre d’affaires annuel de 1,3 million d’euros, avec 50 millions d’euros sous gestion. En trois ans, Studely a permis de faciliter la venue en France de quelque 7000 étudiants africains. Elle répond ainsi à l’une des priorités des autorités françaises, surtout depuis que le pays a reculé de la troisième à la quatrième place en 2015 dans le palmarès des pays les plus attractifs auprès des étudiants étrangers.

De nombreux entrepreneurs des diasporas africaines privilégient également des projets à fort impact. Ils souhaitent proposer des solutions nouvelles aux enjeux de développement durable, que ce soit dans les domaines de la santé, de la création d’emploi, de l’agriculture ou encore de l’éducation. Parmi les plus belles réussites, citons le label Maison Château Rouge, créé en 2015 dans le « village africain » de Paris. Son fondateur, Youssouf Fofana, avait à l’origine pour ambition de fournir du travail à ses proches. Mais surfant sur l’engouement des Européens pour les tissus et motifs africains, il s’est reconverti avec succès dans le stylisme, produisant des articles et accessoires de mode fabriqués dans sa région natale du Sénégal et vendus en ligne ainsi que dans de prestigieuses boutiques en Europe.

Lancée par Geogina Dansou, la société franco-burkinabè Tôtô Riibo, lauréate en 2020 du Prix Orange de l’entrepreneur social en Afrique et au Moyen-Orient (POESAM), propose pour sa part un service de commande en ligne et de livraison de repas préparés par des restauratrices du secteur informel à destination des entreprises implantées à Ouagadougou, ce qui participe à l’émancipation économique des « mama ». En moins d’un an, la start-up a réuni plusieurs restauratrices partenaires, livré un peu plus de 3 000 repas auprès de quatre entreprises de la capitale burkinabè et créé une dizaine d’emplois locaux.

Dans le domaine agricole, le programme collaboratif Reverdir le monde, créé à l’initiative de la société française Biomanity de Saiffallah Ben-Youness, propose des hydro-rétenteurs qui aident le sol à retenir l’eau dans les plantations agricoles. Ce projet répond aux enjeux de développement durable liés à l’accès aux ressources et à l’amélioration des revenus des agriculteurs en Afrique. Reverdir tente de fédérer les organisations paysannes en vue d’équiper 100 millions d'agriculteurs africains d’ici à 2030. Autre exemple tiré du secteur agricole, celui de Claude Arsène Savadogo. Cet ancien étudiant-chercheur en agronomie à Montpellier a fondé, avec un associé français, Bioprotect au Burkina Faso pour produire et commercialiser des biofertilisants destinés aux agriculteurs du Sahel. L’entreprise propose en outre un volet éducatif aux usages de la chimie verte à destination de ces derniers.

Ces exemples de start-up, qui illustrent chacune une des nombreuses facettes de la dynamique des diasporas africaines dans le domaine du développement via l’innovation, restent néanmoins des initiatives fragiles, dépendantes à la fois des environnements français et africain. Les programmes de soutien à ces entrepreneurs, tels que les initiatives publiques Meet Africa et Pass Africa, restent donc incontournables, ainsi que les outils de renforcement de capacité et de financement car ces start-up cumulent les risques, à la fois en termes de création, d’innovation et d’internationalisation. Parmi les pistes de soutien complémentaires figure le renforcement de la participation des diasporas dans les gouvernances des décideurs et bailleurs publics pour l’entrepreneuriat. Des engagements sur le modèle de la loi américaine Small Business Act, mais cette fois réservés aux entreprises issues des diasporas pour favoriser les commandes publiques de solutions innovantes parmi les activités franco-africaines, seraient également une façon efficace de renforcer ces petites entreprises. Enfin, le développement des programmes de mobilité et de partenariats des écosystèmes de soutien à l’innovation entre l’Afrique et le Vieux-Continent permettrait d’apporter de la fluidité et de la continuité à cet entrepreneuriat international.

Ninon Duval

Directrice
Bond’innov

Parcours

Ninon Duval est depuis 2011 directrice de Bond’innov. Hébergée par le centre IRD Île-de-France, cette structure associative encourage tout particulièrement les projets d’innovation en France et en Europe. Ninon Duval était auparavant consultante indépendante dans le management de l’innovation (2004-2011). Elle a en particulier lancé et animé le programme Paris Mentor jusqu’à fin 2011. Elle a par ailleurs participé à la création et au développement de plusieurs start-up, dont Vegetal Fabric, nominée au Grand Prix de l’innovation de Paris en 2011.

Bond’innov

Depuis dix ans, Bond’innov accompagne les entrepreneurs dans le cadre de programmes d’accélération. L’association a également développé des outils d’amorçage de start-up prometteuses en France et en Afrique via des dispositifs financiers gratuits et inclusifs. Elle travaille en étroite relation avec des incubateurs et les écosystèmes de l’innovation africains, plaçant les diasporas africaines innovantes au cœur de ses projets.