
Les micro-, petites et moyennes entreprises (MPME) du continent africain ont été les plus durement touchées par la pandémie, qui a entraîné l’une des plus fortes contractions économiques de ces vingt-cinq dernières années. Si les grandes entreprises se sont appuyées sur la technologie pour atténuer les conséquences de la crise sanitaire, celles de plus petite taille ont été pénalisées par le manque de culture numérique de leurs dirigeants. Afin de développer les MPME, les gouvernements africains doivent soutenir en priorité l’innovation, principal moteur d’une stratégie de croissance inclusive.
En 2020, l’épidémie de Covid-19 a fait basculer de nombreux pays en développement dans le marasme économique, en particulier en Afrique. La crise s’est amplifiée par l’effet domino des mesures de confinement mises en place pour contenir la propagation du virus, par la baisse des cours des matières premières et par le ralentissement économique des principaux partenaires commerciaux de ces pays. Selon le PNUD (voir infographie ci-contre), 26 pays africains ont décrété l’état d’urgence et 45 ont mis en place une forme ou une autre d’interdiction de voyager, tandis que 46 pays ont fermé leurs frontières. Ces mesures ont eu un fort impact sur l’activité économique du continent, où la croissance s’est contractée d’environ 1,5 %, soit la plus forte baisse depuis plus de vingt-cinq ans1.
Les bouleversements économiques et sociaux entraînés par la Covid-19 sont sans précédent. La crise a gelé la production, considérablement freiné la consommation, exacerbé les incertitudes de marché, entamé la confiance des entreprises et s’est propagée aux chaînes mondiales d’approvisionnement. Les effets de la pandémie ont touché le secteur privé partout dans le monde, mais c’est l’Afrique qui a le plus souffert. Et si les entreprises multinationales ont toutes ressenti ces effets, les plus affectées ont été les micro-, petites et moyennes entreprises (MPME) du secteur informel.
Les PME africaines jouent un rôle essentiel dans les économies de leurs pays, et l’on estime qu’elles emploient 80 % de la main-d’œuvre du continent, dans les secteurs formel et informel. En 2020, au plus fort de la pandémie, l’Organisation internationale du travail (OIT) a interrogé environ un millier d’entreprises, allant de la micro-entreprise à la PME, dans huit pays et sur quatre continents. Résultat : 70 % d’entre elles avaient dû cesser leurs activités. L’OIT a également constaté que 75 % de ces entreprises avaient enregistré une baisse de leurs revenus en raison de l’effondrement de la demande provoqué par la Covid-19.
L’impact de la pandémie sur les MPME a en outre été plus que proportionnel, les entrepreneurs vulnérables et marginalisés ayant été les plus durement touchés, en particulier les femmes entrepreneures qui représentent de 30 à 37 % des MPME dans les pays émergents, soit 8 à 10 millions d’entreprises dans cette catégorie.
LE POIDS DU SECTEUR INFORMEL FREINE LA REPRISE DES PME AFRICAINES
Le secteur privé a bien entendu réagi aux conséquences de la pandémie, mais ce sont surtout les mesures adoptées par les gouvernements qui se sont avérées les plus efficaces. Ce constat vaut aussi bien pour les pays développés que pour ceux en développement, qui ont tous proposé des stratégies pour accélérer le rétablissement de l’activité, mais aussi renforcer leurs systèmes de santé et leur résilience économique face aux futures pandémies. Dans le secteur privé, les grandes entreprises se sont appuyées sur la technologie, notamment le télétravail, pour faire face aux risques que faisait peser le virus. Les MPME africaines se sont efforcées d’en faire autant mais, sur ce continent, la dimension informelle et la faible culture numérique des entrepreneurs les rendaient moins susceptibles d’y parvenir que leurs homologues de plus grande taille. Dans les pays africains, les gouvernements ont mis en place des dispositifs de soutien économique destinés à amortir les effets de la pandémie pour cette catégorie d’entreprises. Parmi les principales réponses macroéconomiques (voir l’infographie ci-contre), figurent le versement de sommes d’argent à des salariés en chômage temporaire, des moratoires sur le service de la dette, la gratuité ou le subventionnement des services publics, des allégements fiscaux et le report de certains paiements statutaires, ainsi que des garanties visant à inciter les institutions financières à prêter aux MPME. Les banques centrales ont également réagi en assouplissant leurs politiques macro prudentielles afin de limiter les problèmes de liquidités de ces entreprises. Certains pays leur ont en outre consenti des prêts directs, au travers de programmes existants ou nouvellement créés de soutien à l’activité.
Si l’on peut se féliciter de ces initiatives, elles ne comportaient cependant pas de dispositions claires sur l’utilisation des fonds ou le décaissement des prêts. De ce fait, les fonds apportés n’ont pas contribué à stimuler l’innovation, ni à encourager l’inclusivité. Les dispositifs de soutien se sont principalement concentrés sur le versement de sommes d’argent à des propriétaires de MPME, lesquels n’ont pas nécessairement appliqué ces fonds au développement d’activités innovantes. Le soutien apporté aux plus petites entreprises touchées par la crise n’a pu être pérenne, les fonds accordés par les gouvernements ayant de ce fait perdu l’essence même de ce qui faisait leur raison d’être.
LES LEÇONS APPRISES DE LA CRISE
La relance budgétaire a en outre été terriblement insuffisante. Pour compenser les effets de la pandémie, les pays développés ont engagé entre deux et trois fois le montant de leurs dépenses habituelles, tandis que le soutien budgétaire en Afrique n’a constitué qu’un maigre 2,5 % du PIB du continent. De plus, en raison de la faiblesse des mécanismes de transmission sur le continent, le soutien des banques centrales n’est pas parvenu à atteindre les objectifs qu’elles s’étaient fixés.
Les entreprises de dimension plus modeste sont souvent des structures apprenantes, qui internalisent de façon créative la technologie et les opportunités de marché pour repousser les limites de leur production. L’infographie ci-dessous représente le nombre de pays africains ayant opté pour un soutien socio-économique, selon les types de réponses mises en œuvre par ces gouvernements. Il est intéressant de noter que des dispositifs de soutien aux MPME ont été décidés dans 31 pays. Ces plans de soutien n’ont cependant pas suffisamment pris appui sur l’innovation pour permettre aux MPME d’aborder les mutations de leurs environnements. Une récente étude d’ACET sur les priorités gouvernementales post-Covid s’alarmait de la déconnexion entre les politiques menées en faveur du secteur privé et les besoins des pôles de technologie et d’innovation, qui peuvent stimuler l’esprit d’entreprise mais ont besoin pour cela de soutien et d’investissements. Les grandes entreprises qui ont su répondre aux défis de la Covid-19 ont eu recours à des technologies innovantes, ainsi qu’à des produits et à des plateformes numériques pour accélérer la démarche d’innovation.
Afin de développer les MPME, les gouvernements africains doivent donc soutenir l’innovation, parce que celle-ci est un élément essentiel des stratégies de croissance inclusive, à plus forte raison en ces temps de pandémie. Les entreprises de cette catégorie qui parviennent à innover sont susceptibles d’employer davantage de salariés, de verser des rémunérations plus élevées et de se montrer plus productives que leurs homologues qui n’innovent pas. Sur ce segment, l’innovation de tous les acteurs peut permettre de relever efficacement les défis sociétaux, de stimuler la productivité et d’améliorer les perspectives de croissance à long terme. Les MPME innovantes développent une plus forte résilience et peuvent accéder à la croissance quels que soient les écosystèmes dans lesquels elles évoluent.
S’il est vrai que les pouvoirs publics du monde entier ont mis en place de nombreux programmes de soutien aux MPME, les décideurs politiques peuvent encore faire davantage pour l’inclusion sociale et l’innovation, afin d’assurer la poursuite de l’activité économique. Cependant, face aux défis que rencontrent ces entreprises, le succès ne pourra être pleinement au rendez-vous si les réponses politiques ne donnent pas la priorité à l’inclusion. La feuille de route de toutes les réponses à la pandémie de Covid-19 se doit donc d’être avant tout inclusive. Elle doit notamment apprécier dans toutes leurs nuances les différents besoins des groupes vulnérables, afin d’assurer que personne n’est laissé-pour-compte dans le processus de reprise.
LES DÉFIS À RELEVER POUR UNE CROISSANCE INCLUSIVE ET DURABLE
Les défis à relever sur le long terme sont nombreux– en lien avec le manque d’infrastructures technologiques, de culture digitale ou de compétences numériques – mais, à court terme, les interventions des gouvernements relatives à l’épidémie de Covid- 19 doivent comporter, de la micro-entreprise à celle de taille moyenne, des stratégies de promotion de l’innovation. De telles interventions permettront de lever certains des freins immédiats et d’installer une culture de l’innovation qui survivra à la pandémie. À titre d’exemples, citons la réduction des coûts de données et de télécommunications, la disponibilité des technologies d’accès à l’Internet mobile ou encore les formations adaptées aux stratégies de marketing digital.
Des financements à coût faible ou modéré sont certes accessibles, mais de façon limitée, ce qui entrave la croissance des entreprises. Même lorsque de tels financements sont disponibles, la trop faible conscience des opportunités et le manque de connaissances financières restent des obstacles majeurs, empêchant les MPME africaines d’accéder au soutien dont elles ont besoin. Le fléchissement de la demande sur ce segment les a conduites à limiter leurs plans de développement et à identifier des canaux alternatifs pour écouler leurs produits.
Le secteur privé est absolument vital pour assurer une croissance économique transformatrice, inclusive et durable en Afrique. Pour bâtir des économies plus résilientes et réduire la pression exercée par des crises comme celle de la Covid-19, les pays africains devront donc concevoir et mettre en œuvre des stratégies axées sur le développement de l’entrepreneuriat. La création d’écosystèmes permettant aux MPME et aux entreprises du secteur informel de prospérer doit être une priorité. La multiplication massive des plans de relance destinés à améliorer la diffusion de la technologie et de l’innovation sur le segment des MPME est en outre fortement recommandée.
Pour que les plans de rétablissement financier favorisent l’innovation des entreprises de cette taille, les institutions de financement du développement (IFD) doivent travailler main dans la main avec les gouvernements, afin d’assurer une allocation plus efficace des financements à des activités spécifiquement innovantes. Il est également crucial pour les IFD et les pouvoirs publics de mettre en œuvre des plans de reprise économique post-Covid plus inclusifs et mieux ciblés sur les femmes et les entrepreneurs de MPME les plus marginalisés. Les MPME elles-mêmes doivent impérativement commencer à généraliser et formaliser des structures d’accueil de l’innovation, pour se préparer à accueillir plus aisément les initiatives de soutien émanant de l’État comme de la communauté du développement. En la matière, la responsabilité doit être partagée.
1 The African private sector in the Covid-19 crisis: impacts, responses and perspectives – AFD, DEG et KfW Group – Juillet 2021 – https://cutt.ly/8SQAyU2