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Ces cinq dernières années, la crise climatique s’est manifestée avec une évidence croissante, et ses effets préoccupants sont, eux aussi, de plus en plus notables. Jusqu’ici, les actions d’adaptation au changement climatique ont été clairement insuffisantes. Parce que les populations se voient confrontées partout dans le monde au risque climatique, il faudra faire bien davantage face à ce problème. La mobilisation des acteurs et des financements ne se fera pas sans investissement.

Malgré les déclarations audacieuses des divers chefs d’État et de délégations au sommet de la COP26, à Glasgow, l’humanité a encore un long chemin à parcourir si elle veut maintenir le réchauffement de la planète en dessous de 1,5 degré Celsius. Une étude de McKinsey souligne à cet égard que si la température globale se réchauffe « seulement » de 1,5 degré d’ici 2030, près de la moitié de la population mondiale sera exposée à des risques climatiques tels que canicules, sécheresses et inondations. Si le constat est sans appel, les entreprises, avant d’investir dans l’adaptation au changement climatique, ont besoin de pouvoir s’appuyer sur de solides études de rentabilité, reposant sur l’analyse des risques, des coûts et des retours attendus sur investissement. Elles ont aussi besoin de pouvoir accéder à des outils et des financements spécifiques favorisant l’adaptation au changement climatique.  

 

Un immense besoin d'adaptation face aux limites de l'atténuation

Le Rapport sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière d’adaptation (Adaptation Gap Report), publié par le Programme des Nations unies pour l’environnement, estime que le coût de l’adaptation aux effets du changement climatique passera d’environ 170 milliards de dollars actuellement à 320 milliards d’ici 2030. En 2050, ce chiffre devrait atteindre 500 milliards de dollars. De son côté, l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOOA) évaluait le coût des catastrophes naturelles aux États-Unis à plus de 145 milliards de dollars en 2021, 50 % de plus que l’année précédente. Un rapport du Swiss Re Institute indique pour sa part que, d’ici à 2025, les catastrophes dues au climat pourraient coûter au pays environ 10 % de son produit intérieur brut. Selon le rapport État des lieux et tendances de l’adaptation en Afrique publié par le Global Center on Adaptation (GCA), entre 1991 et 2020, environ 50 catastrophes naturelles sont survenues chaque année en Afrique. Si les inondations causent les dommages financiers les plus importants, ce sont les sécheresses qui sont les plus fréquentes sur le continent, avec cinq fois plus de personnes touchées. Ce rapport montre aussi que le financement de l’adaptation au changement climatique diminue, alors même que les impacts augmentent. Pour réagir convenablement à l’augmentation des risques, il faudrait multiplier par cinq ou par dix le financement de l’adaptation à l’échelle mondiale, jusqu’à atteindre 300 milliards de dollars par an. Les besoins sont énormes, en particulier dans les pays en développement.  

 

Seulement 7 % du total des financements climatiques

Le financement de l’adaptation a gagné du terrain sur la période 2019-2020, avec une augmentation de 53 % lui permettant d’atteindre 46 milliards de dollars en moyenne annuelle, contre 30 milliards en 2017-2018. Toutefois, sur la base des données actuelles, l’adaptation ne représente encore que 7 % du total des financements climatiques.

Source : Global Landscape of Climate Finance 2021 – Climate Policy Initiative.

 

Difficulté à trouver sa place dans le financement climatique

L’adaptation est l’invité un peu « décalé » de tous les forums sur le financement climatique. Publié en 2021 par la Climate Policy Initiative, le dernier état des lieux en la matière indiquait que les flux mondiaux de financements climatiques – intégrant les flux publics et privés, qu’ils soient d’origine nationale ou internationale – ont atteint 632 milliards de dollars par an sur 2019-2020. La majorité de ces financements (571 milliards, soit 90 % du total) concernaient l’atténuation, tandis que 46 milliards étaient affectés à l’adaptation et 15 milliards à des thématiques hybrides combinant atténuation et adaptation. Entre 2017-2018 et 2019-2020, les investissements climatiques privés ont augmenté de 13 % pour atteindre 310 milliards de dollars – mais sur ce montant, un milliard seulement concernait l’adaptation. L’adaptation vise à permettre aux acteurs de faire face au nombre croissant de phénomènes climatiques et météorologiques induits par le changement climatique. Elle peut passer par le développement technologique, mais aussi par la mise en place d’un référentiel de gestion des risques plus complet et solide. Dans les pays développés, du fait de données climatiques fiables permettant de piloter les risques et d’avantages concurrentiels en matière de R&D, ce sont des innovations coûteuses, à forte intensité technologique, qui guident la démarche d’adaptation. Dans les pays en développement, c’est plutôt la survie au quotidien qui la détermine.  

 

Les motivations des acteurs en matière d'adaptation

Chaque jour, partout dans le monde, des entreprises investissent dans l’adaptation au changement climatique. Du petit agriculteur à la grande entreprise, tous contribuent de manière significative à la lutte contre ce changement. Et, même lorsqu’elles ne considèrent pas les évolutions climatiques comme une menace directe, beaucoup d’entreprises investissent dans la résilience de leurs activités. Elles s’adaptent de fait aux effets du changement climatique à travers leur façon d’aborder l’avenir, la gestion de leurs ressources et leur réponse aux sécheresses et inondations. L’accès à des financements spécifiques les aiderait néanmoins à mieux anticiper et à saisir des opportunités commerciales. Car les investissements d’adaptation sont susceptibles de produire un retour sur investissement pouvant aller de 2 à 10 pour 1. En Afrique, chaque dollar investi dans des infrastructures résilientes rapporte ainsi quatre dollars et, dans la plupart des pays africains, investir un dollar dans des cultures climatiquement adaptées peut rapporter 2 à 14 dollars de bénéfices. Si de nombreux facteurs peuvent affecter la rentabilité (coût de la conduite des affaires, disponibilité des données climatiques et des ressources, manque d’indicateurs clairs de succès…), combiner la science du climat aux techniques financières permettra bel et bien de transformer la vulnérabilité climatique en opportunité commerciale. Malgré tout, il n’est pas toujours facile de convaincre les investisseurs de miser sur l’adaptation. Pour cela, il faut informer sur la logique d’investissement et faciliter le déploiement de tout un éventail d’instruments et de mécanismes financiers – ce qui devrait permettre d’attirer des financements (plus ou moins) exposés au risque, mais aussi de lever du capital et de l’affecter avec souplesse. Le degré de « concessionnalité » nécessaire à certains instruments spécifiques va dépendre du marché ou des politiques en vigueur. 

 

Le rôle moteur du secteur privé

L’environnement qui prévaut dans un pays déterminera aussi la viabilité d’instruments financiers spécifiques. Parfois, le retard d’implication ou de développement du secteur financier dans un domaine donné (par exemple l’eau) peut rendre certains instruments financiers plus difficiles à mettre en œuvre. Dans ces cas-là, le capital concessionnel apporté par les institutions de financement du développement – subventions en amont des projets, tranches de dette first-loss (premières pertes) ou accompagnement prioritaire – devra jouer un rôle plus important. Par exemple, dans les économies développées, les marchés de capitaux intérieurs constituent une source importante de financement des infrastructures hydrauliques, souvent au travers de structures ad hoc destinées à mobiliser les financements en parallèle de prêts consentis par les banques commerciales. Dans les pays en développement, les infrastructures liées à l’eau sont en revanche financées par des fonds publics. La recherche des financements nécessaires à l’adaptation n’est pas une tâche facile, en particulier dans les pays en développement. En matière d’investissements liés au changement climatique, plusieurs facteurs peuvent empêcher les investisseurs de s’engager : manque de données à l’échelle locale, rareté des opérations finançables et coûts de transaction élevés, par exemple. Pourtant, à l’heure où les gouvernements commencent à formuler des Plans nationaux d’adaptation, le secteur privé peut et doit jouer un rôle moteur dans leur mise en œuvre. Cela sera possible si les gouvernements établissent clairement l’intérêt économique pour l’investisseur et assurent un environnement favorable à son investissement. Ces mesures devraient leur permettre d’obtenir le soutien du secteur privé, et l’encourager à investir davantage.  

 

 

« Adaptation » et « résilience », deux notions étroitement liées

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a défini précisément les notions d’adaptation et de résilience.

  • Adaptation : démarche d’ajustement au climat actuel ou attendu, et à ses conséquences. Pour les systèmes humains, l’adaptation vise à réduire ou éviter les effets préjudiciables et à exploiter les opportunités. Dans certains systèmes naturels, l’intervention humaine peut faciliter cet ajustement au climat de demain, ainsi qu’à ses conséquences.
  • Résilience : capacité de résistance d’un système sociétal, économique ou écologique face à un événement, une tendance ou une perturbation à caractère menaçant, permettant à ce système d’y répondre ou de se réorganiser de façon à conserver sa fonction essentielle, son identité et sa structure, tout en préservant ses facultés d’adaptation, d’apprentissage et de transformation.

L’adaptation est donc la démarche d’ajustement aux chocs climatiques actuels ou attendus ainsi qu’à leurs conséquences (risques, mais aussi opportunités), et la résilience est le résultat de cet ajustement, permettant à un système et à ses différentes composantes d’anticiper, d’absorber, de concilier ou de surmonter les conséquences d’un événement dangereux, de façon efficace et suffisamment rapide. En règle générale, les actions d’adaptation comportent deux volets, comme le rappelle également la taxonomie européenne du financement climatique. Un niveau micro, tout d’abord : l’adaptation de l’investissement, ou comment le projet va pouvoir générer des bénéfices eu égard aux conditions climatiques actuelles et à venir. C’est la partie que l’on qualifie souvent de climate proofing. Un niveau systémique : l’adaptation par le biais du projet, autrement dit comment le projet peut apporter de la résilience à l’environnement dans lequel il s’inscrit. Il est bien évident que cette contribution systémique doit d’abord être pensée à l’épreuve du climat (un réseau d’eau n’entraînera aucune adaptation systémique s’il n’y a pas assez d’eau dans les tuyaux).

 

Maria Tapia

Responsable mondiale du Programme pour le financement climatique
Global Center on Adaptation (GCA)

Parcours

Maria Tapia dirige le Programme pour le financement climatique au sein du Global Center on Adaptation, où elle est chargée de coordonner la mise en œuvre des actions et projets liés au financement climatique, dans le cadre du Programme d’accélération de l’adaptation en Afrique et du Programme pour l’Asie du Sud. Elle est titulaire d’un BA en Finance et d’un master en « Global Environmental Change ».

Global Center on Adaptation (GCA)

Le Global Center on Adaptation (GCA) est une organisation internationale qui travaille en partenariat avec les secteurs publics et privés pour encourager les initiatives et promouvoir des solutions d’adaptation au changement climatique, tant au niveau local qu’international. Son but est de stimuler la coopération et l’acquisition des connaissances pour renforcer notre résilience climatique. Parmi les solutions, il encourage notamment des investissements plus judicieux, le recours à des technologies nouvelles et une meilleure planification pour augmenter la résilience aux menaces climatiques. Le travail du GCA permet d’accroître la visibilité et le poids politique des sujets d’adaptation au changement climatique.

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