Le retard de développement des systèmes financiers d'ASS par rapport à ceux de la plupart des pays émergents est un phénomène sur lequel la littérature économique s'accorde largement. Seuls quelques rares pays, comme l'Afrique du Sud et l'île Maurice, font figure d'exception. Des progrès importants ont pourtant été accomplis au cours des dix dernières années et ceci a contribué à stimuler la croissance dans les pays d'ASS. Depuis 2000, la majorité de ces pays a vu les crédits accordés au secteur privé croître plus rapidement que le PIB. Cette tendance encourageante est soutenue par une inflation en baisse dans la plupart des pays africains, ainsi que par une dynamique de libéralisation des taux d'intérêt et des marchés de devises qui a donné aux banques plus de flexibilité pour mobiliser et allouer des financements aux emprunteurs solvables.
Le retard de l'Afrique
Malgré ces résultats pourtant encourageants, le ratio crédit au secteur privé sur PIB demeure relativement bas en ASS. Dans la majorité des pays, y compris ceux ayant connu une forte croissance sur la dernière décennie (Bénin, Burkina Faso, Ethiopie, Ghana, Mali, Mozambique, Niger, Ouganda, Rwanda, Tanzanie, Zambie…), la part des crédits octroyés par les banques au secteur privé n'a pas dépassé 20 % du PIB en 2007. En outre, la plupart des pays qui n'appartiennent pas à cette catégorie (Botswana, Kenya, Nigeria, Sénégal, Swaziland et Togo) restent en général proches de ce ratio puisque cette part y atteint au maximum 25 %. Seuls les Seychelles (35 %), le Cap Vert et la Namibie (environ 50 %), ainsi que l'île Maurice et l'Afrique du Sud (plus de 75 %) affichent des ratios comparables à ceux des autres pays en développement. Cette situation contraste avec ce qui a été observé ces dix dernières années dans le monde émergent où la plupart des pays qui souffraient d'une faible intermédiation financière ont connu un rattrapage très rapide. Dans les pays d'Amérique Latine et d'Asie, tels que le Brésil, le Costa Rica, la Colombie, le Mexique, l'Inde et le Sri Lanka, les ratios ont progressé très rapidement pour atteindre le seuil des 40 % (en 2007) dans la majorité des cas. Les pays d'Europe centrale et orientale, où ce ratio était également faible au début de la décennie, ont connu une explosion des crédits qui ont ainsi généralement dépassé les 40 % du PIB. Ainsi, même si l'on observe une amélioration de l'intermédiation financière en Afrique, force est de constater que les avancées dans ce domaine ont été beaucoup plus rapides dans le reste du monde. Ce constat est préoccupant. Les analyses sur les moyens de développer l'intermédiation financière en Afrique afin d'améliorer l'accès au crédit, notamment pour les PME, ne manquent pas. Plusieurs pistes peuvent être approfondies. Il peut par exemple être envisagé de mettre en place des systèmes plus fiables de titres fonciers et de garanties de crédit afin de mieux sécuriser les créanciers, d'améliorer la circulation de l'information en créant des centrales des risques suffisamment performantes ou de développer le crédit bail en supprimant d'une part les contraintes légales et judiciaires qui entravent la récupération des biens et d'autre part, la fiscalité empêchant les bailleurs de déduire l'amortissement du capital ainsi que les taxes appliquées au remboursement du principal par les locataires. De même, le développement de systèmes de cautionnement mutuel qui permettent aux PME de bénéficier du soutien de tiers et d'instruments susceptibles de stimuler l'épargne de long terme devrait également être encouragé. Enfin, il est également nécessaire d'accélérer les procédures judiciaires de recouvrement de crédit et de travailler sur les systèmes juridiques afin d'équilibrer les droits des créanciers et des débiteurs.
Des signes de progrès
Au cours des dix dernières années, les pays africains ont mis en oeuvre d'importantes réformes visant à améliorer l'environnement juridique, administratif et judiciaire dans ces domaines. Mais les progrès ont été inégaux. Des centrales des risques ont été mises en place au Kenya, en Ouganda, au Mozambique, en Tanzanie et en Zambie, même si leur fonctionnement, tout comme l'environnement juridique réglementant l'accès à ces informations aux institutions non bancaires, restent perfectibles. Les normes comptables se sont améliorées dans de nombreux pays, renforçant ainsi la transparence financière. L'exemple du système comptable uniformisé SYSCOA, introduit en 2001 dans les Etats membres de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), illustre bien les progrès qui ont pu être réalisés. La création d'un marché obligataire régional dans les pays de l'UEMOA et la naissance d'un marché similaire dans les pays de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC) ont également aidé à mobiliser des financements à long terme ; les marchés obligataires se sont développés au Ghana, au Kenya, en Ouganda, en Tanzanie et en Zambie, facilitant ainsi la levée de capitaux par les grandes entreprises et les institutions financières. Si les PME n'ont pas accès à ce type de marchés, elles peuvent néanmoins bénéficier de leur développement par le biais des institutions financières et des grandes entreprises qui peuvent elles-mêmes augmenter leurs capacités de refinancement. Enfin, les mécanismes de paiement se sont également améliorés à travers le continent, ce qui a simplifié le règlement des transactions financières entre les agents économiques. Bien que ces progrès soient encourageants, il reste encore un long chemin à parcourir avant de voir ces diverses adaptations institutionnelles se rapprocher des meilleures pratiques. Les centrales des risques doivent encore étendre leur couverture et devenir plus accessibles. Les normes en matière d'audit ont besoin d'être renforcées et la petite taille des marchés limite encore l'accès aux ressources à long terme. Seuls des efforts soutenus visant à établir des marchés régionaux, permettront d'approfondir les marchés de capitaux locaux. Dans la mesure où les marchés obligataires sont limités, les banques de développement régionales telles que la BOAD au sein de l'UEMOA, la BDEAC dans la région CEMAC, ainsi que certaines banques de développement publiques locales, jouent un rôle majeur dans l'octroi de financements à long terme. Néanmoins, certains facteurs non économiques peuvent malheureusement parfois influencer l'allocation de crédits par ces institutions, ce qui limite leur impact. En outre, ces grandes institutions ne sont pas dimensionnées pour intervenir sur les PME et ne peuvent, au mieux, avoir qu'un effet indirect sur leur financement par le biais des fonds alloués aux grandes entreprises.
La lenteur des réformes judiciaires
Il est sans doute juste de dire que ce sont les réformes des systèmes judiciaires, telles que les réformes des titres de propriété (et notamment des titres fonciers) ou les réformes visant à accélérer les procédures de recouvrement des dettes et à faire respecter les jugements prononcés, qui progressent le plus lentement. Recouvrer des créances ou réaliser des garanties reste aujourd'hui encore un processus long et ardu dans la plupart des pays, ce qui explique pourquoi les banques demeurent extrêmement sélectives dans le choix de leurs emprunteurs et exigeantes en termes de garanties. Ceci est encore plus vrai lorsque les clients sont des PME dans la mesure où il est sans doute plus difficile de réaliser des garanties avec ce type de contreparties qu'avec de grandes entreprises qui offrent a priori des sûretés de meilleure qualité. Dans beaucoup de pays, les emprunteurs en situation de défaut ont la possibilité d'adopter toutes sortes de tactiques pour entraver les procédures de recouvrement des arriérés de paiement. De même, les frais de recouvrement y sont souvent élevés et les comptables et autres avocats spécialistes des questions d'insolvabilité sont rares. Compte tenu du manque de confiance vis-à-vis des mécanismes de recouvrement des créances, il n'est pas surprenant que les banques restent très liquides et préfèrent investir dans les obligations d'Etat. L'accès du secteur privé aux crédits bancaires est, par conséquent, limité. Il n'existe aucune solution simple à ces difficultés, et les progrès resteront limités tant que l'amélioration des systèmes judiciaires et administratifs se heurtera aux intérêts particuliers de quelques uns. Le régime des titres de propriété s'avère fort complexe sur la majeure partie du continent, car le principe de propriété est souvent envisagé dans sa dimension communautaire et l'émission de titres fonciers individuels peut se heurter à d'anciennes traditions. En outre, un système judiciaire efficace requiert l'allocation de ressources supplémentaires importantes en matière de formation du personnel, d'équipement des tribunaux et de systèmes d'information. Les pays confrontés à certaines urgences sociales ou à des besoins pressants en infrastructures de base ont eu tendance à négliger cet aspect.
La réticence des entreprises à rechercher des crédits
Les données relatives à l'accès des PME au crédit sont difficilement disponibles. Une série de rapports d'évaluation du climat d'investissement (Investment Climate Assessment, ICA) produits par la Banque Mondiale a permis de collecter ce type d'informations par le biais d'enquêtes auprès d'un certain nombre d'entreprises. Ces enquêtes fournissent des données sur la proportion d'entreprises à avoir demandé un prêt, sur le pourcentage de ces demandes ayant été rejetées et le motif des rejets, sur les raisons poussant certaines à ne pas solliciter de crédits, etc. Cependant, ces enquêtes sont trop irrégulières pour pouvoir en tirer des tendances générales sur les caractéristiques du crédit en ASS. Les enquêtes ICA effectuées dans des pays comme le Cameroun, le Kenya, le Mali, l'Ouganda, le Rwanda, le Sénégal et la Tanzanie indiquent que les garanties sont majoritairement constituées de biens immobiliers et dans une moindre mesure, d'actifs personnels du propriétaire, de machines et équipements et d'effets de commerce. Dans le cas du Kenya (ICA, 2004), les PME semblent peu à même de fournir des garanties et se financent en conséquence plus difficilement que les grandes entreprises. Les PME y sont plus nombreuses à ne jamais avoir demandé de prêt. Il est également intéressant de noter que ces enquêtes montrent que la majorité des entreprises étudiées – notamment celles de petite taille – n'a jamais demandé de prêt, même si la proportion varie d'un pays à l'autre (elle est par exemple plus faible au Kenya qu'en Tanzanie ou en Ouganda). Le niveau des taux d'intérêt, l'importance des garanties exigées, la complexité des procédures ainsi que l'absence de besoin sont autant de raisons expliquant la réticence des entreprises à demander des prêts. A priori, le niveau de garanties exigé sera plus élevé dans les pays où le respect des contrats n'est pas assuré ; des progrès dans ce domaine contribueraient par conséquent à développer le crédit.
Perspectives d'évolution
Dans ce contexte, les principes de la microfinance, selon lesquels des groupes d'emprunteurs sont coresponsables du remboursement des prêts de chacun, peuvent favoriser l'accès au crédit au sein de systèmes où les contrats sont rarement respectés. Le faible montant des crédits constitue la principale limite de la microfinance. Pourtant, dans un certain nombre de pays comme le Sénégal et le Bénin, les principaux réseaux de microfinance sont parvenus à se refinancer auprès des banques et ont ainsi pu augmenter le montant de leurs prêts. Ces exemples suggèrent que le développement de mécanismes de cautionnement mutuel entre entreprises constitue une alternative prometteuse pour développer le crédit aux PME. En conclusion, l'amélioration de l'accès au crédit en ASS demeure un processus long et difficile, mais les expériences traversées par d'autres régions du monde montrent que les obstacles peuvent être surmontés, à condition de mettre en oeuvre les réformes indispensables pour faire évoluer l'environnement de crédit. Il s'agit notamment d'améliorer la circulation de l'information, de mettre en place des normes comptables appropriées, de diversifier les produits de crédits, de perfectionner les mécanismes de recouvrement de créances et d'exercice des sûretés et de renforcer les incitations au respect des contrats.
1 Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et ne sont en aucun cas imputables au FMI, à son conseil d'administration ou à ses dirigeants.
RÉFÉRENCES :
Banque Mondiale, 2004. Enhancing the Competitiveness of Kenya's Manufacturing Sector: The Role of the Investment Climate, Evaluation du Climat de l'Investissement, Banque Mondiale. /
Banque Mondiale, 2006. Cameroon, An Assessment of the Investment Climate, Banque Mondiale. /
Guide, A.M., Pattilloc C., Christensen, J., 2006. Sub-Saharan Africa, Financial Sector Challenges, Fonds Monétaire International. /
Sacerdoti, E., 2005, Access to Bank Credit in Sub-Saharan Africa. Issues and Reform Challenges, Fonds Monétaire International, Document de travail WP/05/166.