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En examinant les progrès réalisés et les problèmes rencontrés au sein de 65 partenariats public-privé (PPP) mis en place sur divers continents, une étude récente de la Banque mondiale apporte des éléments objectifs issus de l’analyse de la pratique. Les résultats atteints par les PPP dans l’amélioration de l’accès à l’eau, de la qualité du service et de l’efficacité opérationnelle ont été plutôt satisfaisants, même si le niveau d’investissement s’est révélé plutôt décevant. Sans être une panacée, les PPP peuvent continuer à représenter – à côté d’autres types de projets – une option pour les décideurs.

Cet article est extrait du numéro 2 sur l’accès à l’eau potable

L’efficacité des partenariats public-privé pour les services urbains de l’eau dans les pays en développement est controversée. Les PPP ont été largement encouragés par les institutions financières internationales et les bailleurs de fonds dans les années 1990 pour redresser les services d’eau peu performants et améliorer l’accès à l’eau des populations. Cependant, les problèmes rencontrés par de nombreux grands projets de PPP durant leur mise en oeuvre, associés à une série d’annulations de contrat fortement médiatisées, ont jeté le doute sur la pertinence de cette approche pour les pays en développement.

Nécessité d’une analyse globale

Malheureusement, les débats autour des PPP ont souvent plus porté sur des questions idéologiques que sur des données objectives. Alors qu’une abondante bibliographie existe sur les PPP dans le secteur de l’eau, on constate un manque de données quantitatives et d’indicateurs permettant d’estimer leur performance réelle.

Après plus de quinze ans de pratique dans les pays en développement, le temps est venu de mener un examen général de l’efficacité globale des PPP de ce secteur. Entre 2005 et 2007, le département énergie, transport et eau de la Banque mondiale a mené une étude majeure – avec le soutien financier du Public-Private Infrastructure Advisory Facility (P.P.I.A.F.) – afin de collecter et d’analyser les données de performance de 65 PPP dans le secteur de l’eau concernant les services urbains de 30 pays en développement ou en transition. L’échantillon représentait près de 80 % de la population desservie par des opérateurs privés dans les pays en développement depuis 1990, dont les contrats avaient été signés avant 2003 et mis en place depuis au moins trois ans. L’analyse a porté sur les améliorations réalisées en matière d’accès, de qualité de service et d’efficacité opérationnelle.

Cette étude récente (Marin, 2009) apporte un point de vue nouveau sur la contribution des PPP du secteur de l’eau dans les pays en développement. Elle aboutit aussi à quelques conclusions qui seront sans doute utiles aux praticiens.

Contrairement à une croyance plutôt répandue, il n’y a pas de recul des PPP dans le secteur de l’eau pour les pays en développement. Sur environ 260 PPP attribués dans les pays en développement et en transition au cours des quinze dernières années dans le secteur de l’eau, au moins 84 % étaient encore actifs fin 2007, et le taux global de résiliation précoce de contrats s’élevait tout juste à 9 %.

Malgré plusieurs annulations de contrats importants (à Buenos Aires et à La Paz, par exemple), la population desservie en eau par des opérateurs privés a augmenté chaque année depuis 1990, passant d’environ 94 millions en 2000, à 160 millions à fin 2007. Ces dernières années, plusieurs pays importants, parmi lesquels la Chine, la Russie, la Malaisie, l’Algérie, le Ghana et le Cameroun, ont commencé à expérimenter les PPP dans le secteur de l’eau sur une grande échelle.

Ce que l’on observe depuis 2001 n’est pas tant une régression qu’une transformation du marché. Un certain nombre d’opérateurs internationaux se sont retirés, mais ils ont été progressivement remplacés par des investisseurs locaux privés ; ainsi, depuis 2001, les PPP que ces derniers gèrent directement représentent le plus gros de la croissance du marché. Ils constituent aussi aujourd’hui plus de 40 % du marché total et pas moins de 28 d’entre eux fournissent chacun au moins 400 000 personnes. Le marché des PPP a sans doute mûri ; les possibilités d’approvisionnement sont plus variées et les opérateurs privés ont en général “appris leur leçon” – ils sont bien plus conscients des risques inhérents aux PPP dans le secteur de l’eau quand ils se soumettent à des appels d’offres pour de nouveaux contrats.

Des résultats prometteurs

Dans l’ensemble, les performances des PPP sur l’eau ont été plutôt satisfaisantes – c’est ce que nous enseigne en tous les cas l’étude de la Banque mondiale. Même si les PPP se sont révélés être des montages complexes, souvent difficiles à mettre en oeuvre dans le contexte de pays en développement, de nombreux projets ont permis des progrès considérables en termes d’accès à l’eau, de qualité de service et/ou d’efficacité opérationnelle.  Bien que le montant total de l’investissement privé2 dans le secteur de l’eau ait été décevant, les projets de PPP ont permis l’accès à l’eau courante pour plus de 24 millions de personnes au cours des quinze dernières années. Cela n’est pas négligeable, si l’on considère que les opérateurs d’eau privés fournissaient seulement 7 % de la population urbaine en 2007 3.

Des expériences en Colombie et en Afrique de l’Ouest – ainsi que de nombreux contrats de gestion – montrent que les PPP peuvent aider à réduire le rationnement en eau et à améliorer la qualité du service aux populations. L’analyse de l’évolution des pertes d’eau (non-revenue water4),des créances à recouvrer et de la productivité du travail a montré que les projets de PPP peuvent contribuer à augmenter l’efficacité opérationnelle. Le faible enthousiasme actuel concernant les PPP dans le secteur de l’eau est probablement le résultat d’attentes initiales excessives concernant les capacités de réalisation des opérateurs privés – bien plus que le reflet de leur contribution réelle dans l’amélioration des services. Des projets de PPP réussis existent sur tous les continents, à l’instar de ceux des services nationaux en Côte d’Ivoire, au Sénégal et au Gabon, des concessions de Manille-Est (Philippines), de Macao (Chine) et de Guayaquil (Équateur). On pourrait aussi citer de nombreux PPP pour des services d’eau municipaux ou provinciaux qui fonctionnent correctement, comme au Maroc, en Arménie, en Colombie, au Brésil et en Argentine.

Lorsque l’on étudie les pratiques de ces quinze dernières années, un troisième enseignement important s’impose : le modèle de PPP le plus adapté aux pays en développement semble associer un financement public de l’investissement et une gestion privée – ce qui est, soit dit en passant, l’approche adoptée depuis plus d’un siècle par les municipalités en France et en Espagne.

Cela suggère un nouveau paradigme de PPP pour les services de l’eau : ils ne devraient pas avoir pour objet d’attirer les capitaux privés, mais plutôt d’utiliser les opérateurs privés pour améliorer les services et leur efficacité. Avec ce type de montage, les opérateurs privés apportent réellement une contribution financière positive, mais qui est en grande partie indirecte. L’amélioration de la qualité du service et de l’efficacité opérationnelle crée un “cercle vertueux” : la situation financière et le degré de solvabilité du service se renforcent progressivement, permettant alors un accès plus facile à des financements d’investissement d’expansion ou de modernisation.

Les PPP les plus réussis concernent essentiellement des contrats de long terme proposant des montages financiers hybrides et un dosage optimal entre gouvernement, bailleurs de fonds et financeurs privés, en fonction des cas. De tels schémas ont pris de nombreuses formes dans la pratique, à l’image des contrats d’affermage au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Niger et au Cameroun, des sociétés d’économie mixte de Carthagène (Colombie) et de La Havane (Cuba), ou des concessions utilisant des fonds publics en Colombie, à Cordoba (Argentine) et à Guayaquil (Équateur).

Le choix entre différentes options

Bien que cette nouvelle étude confirme que les PPP représentent une solide option pour réformer les services de l’eau en zone urbaine dans les pays en développement, il est évident qu’ils ne sont pas en soi “une formule magique” qui permettrait de résoudre tous les problèmes du secteur. Les PPP se sont révélés être des défis de taille ; ils ne doivent pas être l’unique option proposée aux gouvernements désireux de réformer le secteur de l’eau en zone urbaine. Une gestion publique pour réorganiser des services d’eau peu performants est également une option viable : il existe des services d’eau publics bien gérés dans les pays en développement, et de nombreux projets soutenus par des bailleurs de fonds reposant sur une gestion publique ont bien fonctionné – par exemple au Burkina Faso, en Ouganda et à Phnom Penh au Cambodge. Comme les PPP, ces projets peuvent être conçus pour réaliser et rapporter des bénéfices considérables, à condition d’avoir été convenablement élaborés et mis en oeuvre.

L’analyse de la pratique de ces quinze dernières années nous permet de distinguer ce qui fonctionne bien de ce qui pose problème au sein des PPP. D’autres approches permettant d’impliquer le secteur privé existent et reçoivent un accueil de plus en plus favorable dans de nombreux pays, comme les contrats de performance, la sous-traitance et les projets de construction-exploitation-transfert (CET) pour les services de traitement des eaux. Lorsqu’il s’agit d’améliorer les services d’eau et d’assainissement pour les populations, les responsables doivent avoir le choix entre plusieurs options ; le secteur privé a beaucoup à apporter dans ce contexte.

Notes de bas de page :

¹ Ce court article est une contribution personnelle de l’auteur qui vise à présenter brièvement, de façon forcément incomplète, les conclusions développées dans l’étude de référence qu’il a réalisée – en cours de publication à la Banque mondiale. Les positions exprimées ici ne reflètent pas nécessairement le point de vue du groupe de la Banque mondiale, de ses administrateurs et/ou des gouvernements qu’ils représentent, ni ceux du Public-Private Infrastructure Advisory Facility (P.P.I.A.F.).
² Il convient de garder à l’esprit, toutefois, que tous les PPP n’impliquent pas des investisseurs privés.
³ Moins de 1 % de la population urbaine en 1997 et 4 % en 2003.
4 L’eau qui a été produite et qui est “perdue” avant qu’elle atteigne le consommateur est appelée “non-revenue water (NRW)”. Ces pertes sont dites réelles (fuites sur le réseau) ou apparentes (vol, imprécision des compteurs).

Références / Marin, P., 2009. Public-Private Partnerships for Urban Water Utilities – A Review of Experiences in Developing Countries, World Bank Publications, Washington, à venir.