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L’initiative public-privé pour l’eau du Forum économique mondial en Afrique du Sud et en Inde a montré que la mise en place de “réseaux d’intermédiation”, impliquant les parties prenantes de tous les secteurs, peut s’avérer utile pour concevoir et mettre en œuvre des projets qui visent tout à la fois à favoriser la croissance économique et à satisfaire les besoins humains en eau. L’initiative indienne s’est concentrée sur de nombreux projets de petite taille soutenus par le gouvernement et a apporté des résultats satisfaisants. Des projets impliquant plusieurs municipalités ont été planifiés mais n’ont pas eu le même succès en Afrique du Sud. De nombreuses leçons peuvent être tirées de ces expériences pilotes.

Le Forum économique mondial travaille depuis 2005, en collaboration avec la Direction suisse du développement et de la coopération (DDC) et la société Alcan1, sur une initiative pilote concernant l’eau dans les pays en développement (l’Initiative sur l’eau), associant secteur public et secteur privé. D’importantes consultations préalables impliquant les parties prenantes ont été conduites, pour déterminer où les efforts devaient se porter en priorité. Il est apparu que les projets de partenariats conçus à la fois pour favoriser la croissance économique (“de l’eau pour l’industrie”) et pour satisfaire les besoins humains (“de l’eau pour la santé”) sont relativement faciles à conceptualiser et peuvent être susceptibles de mobiliser des financements à la fois publics et privés. Cependant, au-delà de la conceptualisation, ces projets sont souvent difficiles à négocier, concevoir et mettre en œuvre. Autant les entités du secteur public que celles du secteur privé doivent faire face à des coûts de transaction élevés. Ce “goulet d’étranglement” lors de la planification du projet doit être surmonté afin d’accroître les volumes de financement disponibles pour le secteur de l’eau. L’Initiative sur l’eau vise à développer des “réseaux d’intermédiation” impliquant des acteurs de tous les secteurs – gouvernements, entreprises, société civile, agences de développement et organisations internationales – et à faciliter la collaboration entre ces parties pour développer et dynamiser une série de projets de partenariats gagnant-gagnant. Ces projets devraient à leur tour permettre d’améliorer l’accès à l’eau pour les habitants – en phase avec les Objectifs du Millénaire pour le développement des Nations Unies – tout en sécurisant des ressources en eau fiables pour l’industrie afin de favoriser la croissance économique. L’objectif fondamental de cette approche est donc de réunir, au sein de l’actionnariat, toutes les parties qui pourraient bénéficier du projet – et de coordonner leurs actions.

 

Résultats de l'Initiative sur l'eau

L’Initiative sur l’eau a permis de lancer deux réseaux d’intermédiation pilotes en Inde et en Afrique du Sud : le Forum économique mondial jouit d’une relation solide avec ces pays, qui tous deux connaissent une rapide croissance économique mais font face à des défis liés à la sécurisation de leur approvisionnement en eau. Toutes les parties impliquées dans le projet ont collaboré dans ces “réseaux d’intermédiation”, dont les objectifs étaient :

  • d'abaisser les coûts de transaction (particulièrement les coûts d’entrée) pour que toutes les parties prenantes puissent se lancer dans le projet ;
  • d'atteindre le consensus entre toutes les parties prenantes dès le début, réduisant ainsi le risque de futures perturbations ;
  • de fournir un espace neutre aux parties prenantes leur permettant de discuter et de résoudre de façon constructive les problèmes liés au projet ;
  • de faire en sorte que les projets soient "bancables" et en phase avec les stratégies de développement économique et social des pays concernés, permettant ainsi d’attirer des volumes de financements suffisants pour ces projets soutenus par les principaux acteurs du monde politique et du secteur privé.

L’Initiative sur l’eau a démontré qu’il est possible, pour chaque dollar investi dans le réseau d’intermédiation par une agence de développement, de lever 3 dollars auprès du secteur public et 6 dollars auprès du secteur privé pour financer des projets.

 

Les initiatives indienne et sud-africaine

The Indian Business Alliance on Water (IBAW)2, mise en place lors du Forum économique indien de 2005, est un partenariat public-privé au niveau national impliquant la Confédération des Industries indiennes (CII), l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), la DDC et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). L’IBAW a suscité 25 propositions de projets dans toute l’Inde, dont 14 au Rajasthan, dans le cadre d’un partenariat avec le gouvernement local. Ces projets concernent des usines de dessalement, des systèmes d’approvisionnement et d’assainissement pour les zones rurales, la récupération d’eau de pluie, des systèmes de réapprovisionnement de la nappe phréatique, le traitement des eaux usées et des stations d’épuration. L’IBAW a utilisé une subvention initiale de 200 000 dollars de l’USAID pour s’adjoindre un chargé de projet à plein temps et organiser des réunions de développement du projet. Cet appui initial a permis de générer pour ces projets un financement public et privé supplémentaire de 20 millions de dollars. L’IBAW a été approché par d’autres États indiens pour dupliquer ce partenariat et étudie actuellement la question avec les représentants officiels des gouvernements de ces États.

En Afrique du Sud, la Fondation pour la promotion des affaires (la NBF) du NEPAD 3, avec le soutien de l’Initiative sur l’eau du Forum économique mondial, a facilité la mise en place d’un réseau multi-acteurs impliqué dans la gestion de l’eau. Ce réseau réunit des entités gouvernementales (telles que le Ministère des Eaux et forêts, le département du Trésor en charge des PPP et l’Association des gouvernements locaux d’Afrique du Sud), des institutions de financement classiques ou de développement (telles que la Banque de développement de l’Afrique australe et la Standard Bank), des groupes de la société civile, des entreprises nationales et internationales – issues particulièrement du secteur minier – et des institutions internationales (telles que la Banque européenne d’investissement, la Société financière internationale et la Banque africaine de développement). Ce réseau a pour objectif de développer deux projets “gagnant-gagnant” sur l’eau en Afrique du Sud – projets complexes, de grande taille, impliquant la collaboration de nombreuses municipalités et agences ainsi que différentes industries. Ensemble, ces deux projets visent à fournir de l’eau propre à 750 000 personnes dans quelques unes des zones les plus pauvres du nord de l’Afrique du Sud ; il s’agit aussi de sécuriser un approvisionnement en eau pour l’industrie afin de stimuler la croissance économique.

Du fait des contraintes internes à la NBF à cette époque, les projets, après qu’un accord de principe eut été trouvé, ont été confiés à des responsables de projet pour leur mise en œuvre. Malheureusement, cela n’a pas fonctionné en raison de l’absence d’un “coordinateur externe”. Les projets sud-africains semblent moins réussis que ceux menés en Inde. Les initiatives doivent néanmoins être étendues aux autres pays de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) en tirant toutes les leçons nécessaires de l’expérience pilote. En prévision de la phase 2, la NBF a créé un Bureau de gestion de projet spécifique qui doit être un centre de coopération pour le développement du projet. De nouvelles entreprises rejoindront le processus pour s’impliquer dans des projets précis en phase avec les “Development Corridors” prioritaires de la SADC. Lors du Forum économique mondial 2009 sur l’Afrique, plus de 60 participants issus du secteur public ou privé, de la société civile et des ONG en ont approuvé l’idée ; ils se réuniront de nouveau à l’automne 2009 pour développer le plan de mise en œuvre.

 

Projet de recyclage de l'eau au Rajasthan

Shree Cement exploite actuellement une cimenterie à Beawar, dans le district de Ajmer, au Rajasthan. Ce district manque d’installations permettant le traitement des eaux usées et des déchets, ce qui entraîne des problèmes sanitaires et la pollution de la nappe phréatique. Shree Cement construira et exploitera une station d’épuration qui traitera et réutilisera les eaux usées dans sa cimenterie. Ce projet devrait permettre de libérer 1 000 m³ d’eau par jour. Le projet sera conduit en partenariat avec le gouvernement du Rajasthan, qui fournira le terrain pour l’usine de traitement, mais aussi avec les autorités locales qui fourniront l’infrastructure d’acheminement des eaux usées.

 

Le projet du barrage de Hartbeespoort en Afrique

Ce projet vise au traitement et au transport de l’eau de qualité médiocre, non potable, depuis le barrage de Hartbeespoort situé dans la province du Gauteng jusqu’au nord du pays et potentiellement jusqu’au Botswana. Elle pourra être utilisée alors comme eau de qualité industrielle par de nombreux industries lourdes, qui en ont besoin pour maintenir et accroître leurs activités dans les provinces du Nord-Ouest et du Limpopo, créant de ce fait des emplois et soutenant plus généralement la croissance économique locale. Le volume d’eau potable actuellement utilisé par ces industries sera réduit jusqu’à 50 %. Cette eau propre sera alors distribuée à environ 595 000 personnes dans deux municipalités du district.

 

Les enseignements

Les parties prenantes impliquées dans le processus régional de longue date souhaitent donner de l’ampleur à ces activités – par exemple en étendant les projets à d’autres États d’Afrique australe et en Inde. Les participants arrivés récemment, eux, ont signalé leur intérêt à dupliquer le modèle dans d’autres régions du monde – par exemple au Moyen-Orient, suggérant la Jordanie comme point de départ potentiel. Avant d’aller plus loin, il est important de tirer les leçons des expériences pilotes.

  • Nécessité de disposer d’un coordinateur de projet : il est décisif d’avoir une personne à plein temps pour se consacrer à la coordination du réseau et aux activités de supervision – depuis la conception du processus jusqu’à la phase de mise en œuvre. Le réseau pilote indien a utilisé une partie de la subvention de USAID pour rémunérer un chargé de projet dédié qui a travaillé avec les parties prenantes du réseau pour faire avancer les négociations sur les propositions. Le réseau pilote sud-africain n’a pas eu le financement suffisant pour avoir un coordinateur à plein temps. Après la phase de conception, la suite du développement des projets a été entièrement laissée aux participants, ce qui a ralenti leur mise en œuvre. Cependant, dans la phase 2 du réseau sud-africain, un bureau de gestion de projet et un coordinateur dédiés, financés par la DDC, ont été mis en place.
  • Soutien du gouvernement : le soutien officiel du gouvernement au plus haut niveau est une des clés du succès (à condition qu’il s’agisse d’un gouvernement stable, avec des politiques d’eau crédibles). Ce type de soutien fournit la crédibilité dont un réseau a besoin pour intéresser les parties prenantes. En Inde, le premier ministre du Rajasthan a lancé le partenariat au niveau de son État, ce qui a très certainement convaincu les compagnies du secteur privé et la société civile de la légitimité de l’IBAW en tant que partenaire. Cependant, en Afrique du Sud, l’implication des parties prenantes a été difficile à obtenir car le réseau n’a pas bénéficié du soutien officiel du gouvernement.
  • Réseau multi-acteurs et engagement : l’animation d’un réseau peut permettre une collaboration plus efficace entre de multiples acteurs. Malgré la nature politique des problèmes liés au secteur de l’eau, il est parfois irréaliste de se reposer sur les seules initiatives du gouvernement ou des donateurs pour promouvoir les innovations ou les réformes qui concernent le secteur privé. Une sélection équilibrée de “partenaires de réseau” et de représentant nommés qui participent également à l’élaboration du projet est nécessaire.
  • Rôles et responsabilités bien définis : le réseau pilote indien a choisi une approche formalisée avec l’IBAW ; l’ensemble des partenaires ont signé un “Memorandum of Understanding”. Les acteurs du réseau sud-africain ont choisi, eux, une approche plus informelle. Même s’il est difficile de dire si une approche est sans conteste meilleure que l’autre, il apparaît – à la lumière de l’expérience pilote – qu’une structuration et un accord de principe sur les rôles et les responsabilités des acteurs impliqués sont bénéfiques pour la conception du projet.
  • Types de projets : le réseau indien s’est dispersé sur un grand nombre de petits projets, à comparer avec l’approche sud-africaine concentrée sur deux grands projets impliquant plusieurs municipalités. Cette expérience montre qu’il est plus facile (et moins politisé) de développer de petits projets. De plus, les projets qui se concentrent sur la demande et sur l’utilisation efficace des ressources en eau semblent moins problématiques que les projets centrés sur l’offre (augmentant la capacité d’approvisionnement).
  • Gérer les délais : un délai d’environ un an est nécessaire pour la préparation de nouveaux réseaux et pour lancer les processus qui donneront naissance aux projets. Une fois que le réseau et le processus sont mis en place et fonctionnent, le temps nécessaire pour mettre en œuvre de nouveaux projets diminue. Globalement, pour qu’un nouveau réseau fonctionne durablement par lui-même, il faut compter deux à trois années. La gestion des besoins en eau est un problème urgent, tangible et qui peut être complètement résolu. L’expérience de l’Initiative sur l’eau en Inde et en Afrique du Sud montre que ce problème peut être efficacement appréhendé grâce à une approche multi-acteurs soutenue par le gouvernement. Notes de bas de page : 1 Alcan est une entreprise d’aluminium. Elle a été rachetée en 2007 par Rio Tinto, et ses actifs ont pour l’essentiel été transférés dans une nouvelle entité, Rio Tinto Alcan, qui est un fournisseur mondial de bauxite, d’alumine et d’aluminium. 2 Voir le site Internet www.ibaw-india.com 3 Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique

Christoph Jakob

Équipe des initiatives environnementales
Forum économique mondial

Parcours

Christoph Jakob, après avoir suivi une formation de politologue et de juriste, a travaillé pour différentes organisations tant locales qu'internationales, notamment en Amérique du Sud et en Asie du Sud-Est. Il a ensuite occupé, entre 2002 et 2006, le poste de responsable de qualité de la branche humanitaire de la DDC (Coopération suisse). Détaché par la DDC depuis 2006, il travaille au sein de l'équipe des initiatives environnementales du Forum économique mondial où il est chargé de mettre en place des plateformes pour l'eau dans le cadre de partenariats public-privé.

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