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Importante dans le développement d'un pays, la production cimentière est aussi énergivore et polluante. La BEI a mis en place des critères de sélection qui favorisent la responsabilité environnementale et sociale des projets. Situées en Europe ou ailleurs dans le monde, les opérations soutenues répondent aux mêmes exigences. Il s'agit en particulier d'encourager les meilleures techniques disponibles, l'efficacité énergétique et la réduction des émissions de dioxyde de carbone.

L'Europe n'est la seule zone où la Banque européenne d'investissement (BEI) intervient. Dans le cadre des politiques européennes de développement et de coopération, elle est présente en Amérique latine et en Asie (mandat ALA), dans les pays de l'Est (politique de voisinage) ainsi que dans certains pays du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord (au titre du Partenariat euro-méditerranéen). Conformément à l'accord de Cotonou, sa mission s'étend aussi aux pays d'Afrique subsaharienne, des Caraïbes et du Pacifique (accords ACP-CE). Le soutien au développement économique durable étant l'objectif premier de la BEI, les projets cimentiers européens auxquels elle apporte son concours doivent atteindre des objectifs de respect de l'environnement et d'efficacité énergétique. Le financement des investissements directs étrangers (IDE) tient une place prépondérante dans les interventions de la Banque ; en effet, les transferts de capitaux et de savoir-faire jouent un rôle moteur dans la modernisation de l'économie, les exportations et les gains de productivité. La BEI finance aussi des projets publics, en général d'infrastructure, indispensables pour le développement du secteur privé et l'instauration d'un environnement économique compétitif.

Pourquoi soutenir des projets cimentiers ?

Avec le développement économique d'un pays, les activités productives manuelles sont progressivement remplacées par des activités industrielles de base répondant aux besoins de l'infrastructure en expansion. La production cimentière locale joue donc un rôle important dans le développement de l'infrastructure régionale, elle-même indispensable pour réduire la pauvreté, promouvoir l'équité sociale et accroître la compétitivité industrielle d'une nation ou d'une région. Comme le montre la Figure 1, la demande est en forte augmentation dans les pays en développement tandis qu'elle se stabilise dans les économies développées. En effet, lorsque les pays atteignent un niveau élevé de développement, la production (et donc les dépenses d'équipement) se tourne vers des produits à plus forte valeur ajoutée (machines-outils, matériel de transport) et l'économie s'oriente davantage vers les services. Entre 2000 et 2010, la BEI a soutenu 14 projets du secteur cimentier en consentant  770 millions d'euros de prêts (Tableau 1). Environ 27 % (210 millions d'euros) ont été alloués à trois projets situés dans l'Union européenne ; les 73 % restant (560 millions d'euros) ont appuyé 11 projets dans le cadre de l'accord de Cotonou. Les concours apportés sur le territoire européen sont généralement orientés vers l'efficacité énergétique et la protection de l'environnement, tandis que les prêts consentis en vertu des mandats extérieurs sont destinés à financer des opérations de construction. Il s'agit de faciliter les IDE et de soutenir le remplacement des importations par des productions locales. Les projets industriels européens peuvent prétendre à un financement de la BEI s'ils réduisent la consommation d'énergie d'au moins 20 % ou s'ils diminuent sensiblement la pollution industrielle (air, bruit, eau et substances chimiques dangereuses). Les investissements en recherche et développement ainsi que les unités de production pilotes peuvent eux aussi obtenir un financement s'ils impliquent de nouveaux matériaux, de très nettes réductions de la pollution environnementale ou une baisse de la consommation d'énergie. Une fois les critères généraux de financement satisfaits, la BEI vérifie les fondements techniques et économiques du projet, ainsi que les caractéristiques du contexte et du secteur. Hors de l'Union européenne, l'analyse détermine le plus précisément possible les incidences du projet sur l'environnement et sur le développement économique et social.

Les critères environnementaux

Selon une étude de l'Agence internationale de l'énergie (AIE, 2007), les cimentiers pourraient réduire leur consommation d'énergie primaire de 18 à 25 % (environ 750 millions de tonnes équivalent pétrole (Mtep) par an) et leurs émissions de dioxyde de carbone de 19 à 32 % (2 650 Mt de CO2/an en moyenne) s'ils adoptaient les meilleures technologies disponibles. La BEI accorde une attention particulière aux meilleures techniques disponibles2 dans le choix des procédés et des équipements. Elle encourage aussi l'utilisation de combustibles de substitution (comme les déchets : huiles usées, pneumatiques, farines animales, coke de pétrole, biomasse, paille de riz, etc.), tout en cherchant à favoriser la réduction du dioxyde de carbone émit et de l'électricité consommée par la cimenterie. L'emploi de matériaux cimentaires de substitution au clinker fait l'objet d'une attention particulière. Ainsi, la BEI a financé des projets utilisant des scories d'aciérie (jusqu'à 50 % dans la cimenterie Cementir à Tarante en Italie) et de la pouzzolane3, comme en Syrie. Pour mesurer l'empreinte carbone des projets financés, la BEI a élaboré une méthodologie basée sur les normes internationales de comptabilisation des gaz à effet de serre, qui calcule les émissions de référence et les émissions du projet en valeur absolue.

Critères économiques et sociaux

Dans le cadre de ses mandats extérieurs, la BEI encourage les projets de développement portés par  le secteur privé qui sont favorables à la croissance et qui ont un impact économique et social positif sur la population et le territoire concernés. La BEI examine donc de près les performances économiques réelles des investissements. De prime abord, il peut sembler par exemple plus économique d'investir dans la réduction des émissions des centrales électriques ; mais en réalité, miser sur des bâtiments économes en énergie est plus intéressant, si l'on considère leur durée de vie. En soutenant ces investissements plus coûteux, les institutions financières multilatérales, telles la BEI, peuvent jouer un rôle de catalyseur. Pour la construction et l'équipement d'une cimenterie, la BEI a établi des critères de coût d'investissement, de délais de mise en œuvre et de fiabilité de fonctionnement qui garantissent l'efficacité de la conception, des approvisionnements et de la gestion du projet. Ces critères ont pu l'amener à financer des projets faisant appel à une technologie chinoise. Ce choix peut paraître contestable à double titre : d'une part, il ne promeut pas la technologie européenne et, d'autre part, certains matériels chinois intègrent des technologies occidentales copiées. Cependant, ces choix ont été, dans certains cas, favorables aux projets. Sans nuire à la qualité, la livraison d'équipements peu coûteux a permis par exemple d'améliorer la rentabilité d'un projet difficile en Éthiopie. La demande de ciment, principal matériau de construction, est étroitement liée au développement économique et social des pays. Les investissements dans la production cimentière locale stimulent la concurrence et sont souvent à l'origine de surplus, ce qui fait baisser les prix locaux et améliore la qualité des produits. Dans les pays en développement, où les capacités locales sont insuffisantes, de tels investissements peuvent conduire à libérer la demande, jusqu'alors “refoulée”. Par exemple, des projets financés au Bangladesh, au Nigeria et en Éthiopie ont entraîné une forte baisse des prix du ciment (jusqu'à 30 %) et l'augmentation immédiate de la demande (jusqu'à 10 %). C'est pourquoi, outre les fondements financiers, ces externalités directes sont intégrées dans la rentabilité économique des projets. Parallèlement, l'impact environnemental des projets est pris en compte dans leur évaluation économique, le taux de rentabilité étant calculé à partir d'un prix théorique des émissions de gaz à effet de serre. Les prix théoriques du carbone actuellement appliqués par la BEI reposent sur un prix économique proposé en 2006 par le Stockholm Environment Institute  à la BEI. Les valeurs recommandées partent de 25 euros/tCO2 en 2010 et augmentent de 1 euros chaque année pour atteindre 45 euros/tCO2 en 2030. Les prix théoriques des autres gaz à effet de serre sont basés sur leur facteur potentiel de réchauffement climatique (où CO2 = 1), proposé par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat. Les impacts sociaux d'un projet sont en outre systématiquement pris en compte : la réinstallation et l'indemnisation des précédents occupants du site, l'hygiène et la sécurité au travail et les échanges avec les populations locales font l'objet d'un suivi attentif. Les projets de cimenteries en site vierge sur le territoire européen imposent une étude d'impact social et environnemental. La BEI applique ce niveau d'exigence à toutes ses opérations dans le monde et sur tous les aspects de l'unité de production. Cette exigence vise à sélectionner les meilleures techniques dans la conception des projets. La BEI continue de soutenir l'industrie du ciment, même s'il s'agit d'un secteur énergivore qui produit beaucoup de dioxyde de carbone. Elle estime en effet que le rôle de ce secteur industriel est essentiel dans le développement économique d'un pays. Cependant, ses engagements financiers sont de plus en plus conditionnés - et même parfois remis en cause - par l'obligation de calculer l'empreinte environnementale, économique et sociale des projets.

 

1 Les opinions exprimées dans cet article sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de la BEI.
2 La meilleure technique disponible (MTD) est la méthode de pointe utilisée en production industrielle qui limite les émissions de polluants.
3 La pouzzolane est une roche siliceuse d'origine volcanique, formée de scories restées à l'état meuble et qui, mélangée à la chaux, entre dans la composition de certains ciments.

 

RÉFÉRENCES :
AIE, 2007. Tracking Industrial Energy Efficiency and CO2 Emissions, rapport.

Philippe Guinet

conseiller technique
Banque européenne d’investissement

Parcours

Philippe Guinet a rejoint la Banque européenne d'investissement en 1993, où il est actuellement conseiller technique pour les industries lourdes au sein de la Direction des projets. De 1974 à 1993, il a exercé diverses fonctions opérationnelles et managériales dans le secteur privé, en Europe et ailleurs. Il est titulaire d'un diplôme d'ingénieur de l'École nationale supérieure des télécommunications et d'un diplôme de management du MIT (États-Unis).

Jacques van der Meer

Conseiller économique
Banque européenne d’investissement

Parcours

Jacques van der Meer est conseiller économique adjoint à la Direction des projets de la Banque européenne d'investissement. Il est chargé de l'évaluation des projets de recherche et développement. Avant de rejoindre, en 1991, la BEI, il a enseigné le management stratégique à la Rotterdam School of Management de l'université Erasmus et à l'École supérieure de commerce de Lyon. Il est titulaire d'un doctorat de l'université de technologie de Twente (Pays-Bas).

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