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La volatilité des prix agricoles fragilise la sécurité alimentaire des pays en développement. Une problématique bien connue, qui appelle des politiques agricoles répondant aux différents risques auxquels producteurs et consommateurs sont soumis : renforcement des filières, groupements de producteurs, constitution de stocks d'urgence, collecte et analyse des données, accès aux divers instruments d'assurance et de couverture de risques.

Les récentes hausses des prix alimentaires (2008 et 2010) ont eu des conséquences tragiques pour des millions de personnes. Dès lors, la sécurité alimentaire est devenue une préoccupation majeure et mobilisatrice, à défaut d'être nouvelle : depuis le milieu des années 1990, la proportion du nombre de personnes sous-alimentées dans les pays en développement a cessé de baisser. Environ un milliard de personnes souffre aujourd'hui de malnutrition (Vindel et Jacquet, 2011). La volatilité des prix n'est pas non plus une problématique nouvelle : depuis le début du XVIIIe siècle, les prix des matières premières ont été plus variables que ceux des produits manufacturés. Cette volatilité n'a pas clairement augmenté sur la période (Jacks, O'Rourke et Williamson, 2009). La volatilité des prix, caractéristique des marchés agricoles, fait peser un risque sur les producteurs – en les privant de la visibilité nécessaire pour accroître ou non la production – et les consommateurs. Ils fragilisent aussi les finances publiques des gouvernements. Dans les pays industrialisés, des politiques agricoles souvent volontaristes ont tenté d'apporter une réponse à l'instabilité des prix : les politiques publiques ont contribué à stabiliser les prix ou les revenus des agriculteurs, leur donnant la visibilité nécessaire. Et les marchés agricoles ont développé, depuis la deuxième moitié du XIXe siècle, des instruments financiers permettant de couvrir le risque-prix. À la suite des graves crises récentes, la Présidence française du G20 a retenu la volatilité des prix agricoles et la sécurité alimentaire comme l'une de ses priorités.

La volatilité des prix : que sait-on ?

La volatilité des prix agricoles est élevée. L'offre et la demande de produits agricoles sont à court terme très peu “élastiques” : elles se modifient peu lorsque le prix varie. Toute modification des quantités produites ou demandées entraînera donc une variation importante du prix : ainsi, seule une forte hausse des prix permettra par exemple d'ajuster la demande à une production plus faible. En outre, l'offre réagit avec un délai : lorsque les prix augmentent, les agriculteurs prévoient d'accroître la production, mais cette dernière sera mise sur le marché lors de la récolte suivante. Sur le dernier quart de siècle, les prix alimentaires mesurés en termes réels – en comparaison avec les prix des biens manufacturiers – ont connu une hausse sans précédent (Figure 1).

volatilite des prix

La volatilité des prix, au demeurant positivement corrélée à leur niveau (Sarris, 2009), a augmenté, notamment depuis 2006. En plus des causes fondamentales – croissance démographique et économique, évolution du régime alimentaire, aléas climatiques, renchérissement du prix de l'énergie, concurrence de la culture des biocarburants, très faible niveau des stocks alimentaires –, les comportements spéculatifs sur les marchés agricoles ont pu amplifier la volatilité par la diffusion d'un sentiment de panique. Cependant, tenir la spéculation pour seule responsable paraît peu convaincant : les deux séries de causes interagissent. La spéculation est un signal qui attire brutalement l'attention sur des fondamentaux trop longtemps oubliés. Pour autant, l'observation de long terme ne valide pas l'idée d'une tendance historique à la hausse de la volatilité. Lissée sur dix ans, elle semble même plutôt être sur une pente légèrement descendante, même si elle s'est très sensiblement accrue depuis 2006. De nombreux éléments laissent penser que cette phase haussière de la volatilité et du niveau des prix pourrait durer (voir les prévisions de la FAO), soutenue, du côté de la demande, par la pression démographique et la croissance économique dans les pays en développement, et du côté de l'offre par les pressions environnementales, le changement climatique et les coûts de l'énergie. La capacité de l'offre à satisfaire la demande à un moment et en un lieu donnés reste très incertaine, même si les études prospectives disponibles ne montrent pas, à un niveau agrégé, de problème à satisfaire les besoins alimentaires mondiaux.

Quelles réponses ?

La volatilité des prix agricoles n'est pas le seul problème. Il existe bien d'autres difficultés : insuffisance des infrastructures de transport, de communication, de stockage ; difficulté d'accès aux financements ; insuffisance de la formation ; vulnérabilité des cultures à diverses maladies ; problèmes d'accès à l'eau, etc. C'est donc une approche intégrée qui doit être développée, centrée autour du développement agricole et de la sécurité alimentaire. C'est pourquoi le G20 2011, sous présidence française, a insisté sur l'appui à apporter à l'élaboration de politiques agricoles cohérentes, poursuivant clairement l'objectif de sécurité alimentaire et sur la nécessité d'inclure dans ces politiques une composante d'analyse et de gestion de l'ensemble des risques1 Le NEPAD a validé cette approche, en demandant officiellement au G20 en septembre 2011 d'aider ses pays membres à compléter l'effort d'élaboration de politiques agricoles entrepris dans le cadre du Programme Détaillé de Développement de l'Agriculture Africaine (PDDAA) avec un volet d'analyse et de gestion des risques. Il est temps de réhabiliter l'idée de politiques agricoles actives, sans lesquelles le développement agricole ne se fera pas spontanément. L'exemple des pays industrialisés témoigne de l'importance de telles politiques, qui ont combiné divers mécanismes d'intervention sur les marchés : utilisation de stocks régulateurs ou de mesures fiscales et commerciales, mécanismes de transferts ou de compensation destinés à soulager les individus ou les pays en cas de crise. L'Union européenne a mis en place des instruments de régulation dans le cadre des accords de Lomé (le Stabex et le Sysmin2) et le FMI des facilités de financement d'urgence. Dans les pays en développement, ces politiques doivent à la fois contribuer à fournir au producteur la visibilité sur des revenus suffisamment incitatifs pour promouvoir la production, et comporter des filets de sécurité sociale pour protéger les consommateurs et fournir aux plus vulnérables les moyens de se nourrir. La constitution de stocks doit être encouragée tout le long de la chaîne de valeur, par le biais de commandes publiques, par exemple, tout en veillant à ce que l'utilisation des stocks ne perturbe pas les décisions privées par des signaux créant de l'incertitude. Mais il est important de ne pas répéter les erreurs des politiques agricoles des pays industrialisés et des mécanismes internationaux. Les processus de stabilisation ont souffert en effet de plusieurs lacunes : confusion entre la réduction de la variabilité et la fixation arbitraire des prix, source de distorsions de production et de consommation intenables à terme ; ignorance des tendances du marché, à des coûts devenant prohibitifs, alors que les chocs de prix sont persistants, parfois sur plusieurs années (Cashin et McDermott, 2001)3, ce qui rend vite tout mécanisme de fixation des prix très coûteux. Par ailleurs, la conditionnalité souvent impliquée dans les mécanismes de compensation, par exemple dans le cas du STABEX (Collier et alii, 1998), allonge sensiblement la durée de mise en œuvre. Dès lors, au lieu d'agir de façon contracyclique, le mécanisme est devenu procyclique. La constitution et la gestion de stocks régulateurs sont également particulièrement coûteuses, tant en ce qui concerne l'infrastructure de stockage que le maintien de la qualité des produits stockés. Enfin, une gouvernance défectueuse a conduit les États bénéficiaires à capturer les fonds, tant en ce qui concerne le transfert aux agriculteurs que la reconstitution du mécanisme. Les politiques agricoles peuvent aussi faire appel aux mécanismes de marché. L'assurance indicielle, en particulier, permet d'adopter une approche forfaitaire non fondée sur une estimation précise et contestable des dommages. Mais la culture assurantielle est insuffisamment développée. Par ailleurs, les primes d'assurance sont souvent trop élevées pour les agriculteurs et doivent être subventionnées. Les marchés de matières premières proposent également plusieurs instruments pour couvrir les risques tant du point de vue du consommateur (protection contre les prix élevés) que du point de vue des producteurs (protection contre les prix bas). Mais ces instruments ne répondent que partiellement aux problématiques des pays en développement. Une différence sensible peut en effet apparaître entre prix internationaux et prix intérieurs4, du fait de restrictions au commerce, de taxes subventions ou contrôles des prix, d'une absence d'infrastructures, de coûts de transations internes élevés ou des mouvements du taux de change. La volatilité des prix internationaux n'est pas la seule source de chocs pour les pays en développement. Le rapport préliminaire des institutions multilatérales réalisé pour le G20 (FAO et alii, 2011) suggère que la recherche d'une meilleure sécurité alimentaire doit s'appuyer sur une collecte suffisamment étendue de données sur les situations des différents pays. Au final, les instruments de gestion de risque doivent être construits pratiquement sur mesure. Ces instruments coûteux requièrent formation et savoir-faire et leurs bénéfices ne sont perceptibles que lorsque les filières agricoles sont suffisamment organisées. Dans certains cas, jusqu'à 50 % de la production peut être perdue du fait des inefficacités qui se produisent tout au long de la chaîne. La gestion des risques doit être intégrée à une approche visant au développement des filières agricoles, depuis le champ jusqu'à l'utilisation des matières premières. Il faut aussi apprendre aux acteurs à respecter les engagements : il est en général difficile d'obtenir l'adhésion des producteurs à un prix plafond interne lorsque les prix internationaux dépassent ce dernier, ou l'adhésion des consommateurs à un prix plancher dans le cas contraire. C'est l'un des obstacles au développement de l'agriculture contractuelle, susceptible de donner aux producteurs – ou aux consommateurs – la visibilité nécessaire sur les prix, sur une ou plusieurs campagnes de production. Le G20, pour la première fois en 2011, a retenu la sécurité alimentaire comme l'une priorités de l'action internationale et a lancé plusieurs pistes d'actions allant de stocks de sécurité jusqu'à la mise en place d'un forum coordonné de réaction rapide en cas de crise, et en passant par la promotion de l'investissement et de la productivité agricoles. En matière de gestion de la volatilité des prix, il a invité les bailleurs de fonds à mettre en place un mécanisme conjoint d'échange d'informations, d'analyse et de gestion des risques, dont l'AFD a pris l'initiative, afin de répondre à la demande d'appui de la part des pays en développement, et, le cas échéant, de lancer de nouvelles réflexions sur des problématiques ciblées. Le G20 a également appuyé la mise en place d'une plateforme public-privé pour la sécurité alimentaire. Le secteur agricole représente en effet le secteur privé le plus important dans les pays en développement. L'un des rôles des politiques agricoles est ainsi de catalyser l'engagement des acteurs privés derrière l'objectif de sécurité alimentaire et de réinventer un partenariat public-privé efficace et équitable. Le G20 appelle aussi les bailleurs de fonds à prendre davantage la mesure de leurs responsabilités en la matière en développant les instruments de financement flexibles, prenant en compte davantage les risques – à l'instar du prêt très contracyclique5 mis en place par l'AFD. Il a donc engagé la communauté internationale dans une dynamique prometteuse que les G20 ultérieurs devront confirmer.

 

1 Plusieurs exemples montrent la pertinence d'une approche fondée sur les risques. Citons par exemple le fonds de lissage des prix du coton mis en place au Burkina avec le concours de l'AFD.
2 Le Fonds de stabilisation des recettes d'exportation sur les produits agricoles (STABEX) a financé les pertes touchant un large nombre de produits agricoles suite notamment aux fluctuations des prix sur les marchés mondiaux. Les prêts du Fonds SYSMIN ont été conçus pour amoindrir la dépendance d'un pays à l'exploitation de ses ressources minières.
3 Les prix sont en effet corrélés entre eux d'une année sur l'autre, en particulier du fait de la dynamique de stockage. La constitution de stocks soutient le prix courant et lisse les chocs de prix sur plusieurs années.
4 On parle de “risque de base” pour signifier cette différence entre risques locaux et internationaux. Plus il est élevé, moins les instruments internationaux de couverture de risque seront efficaces.
5 Le prêt très concessionnel contracyclique (PTCC) vise à permettre aux pays bénéficiaires un aménagement du service de leur dette en cas de chocs exogènes sur leur économie se caractérisant par une baisse significative de leurs recettes d'exportations.  

 

RÉFÉRENCES :
Cashin, P. et McDermott, C.J. (2002). The long-run behaviour of commodity prices: small trends and big variability. IMF Staff Papers, 49(2), 175-99 
Collier, P., Guillaumont, P., Guillaumont-Jeanneney, S. et Gunning, J. (1998). “Rénover le Stabex”, Politique Etrangère, 1/1998, 155-70 
FAO – Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture (2010). La volatilité des prix sur les marchés agricoles. Perspectives Economiques et Sociales, Synthèses 12. Décembre. 
FAO, IFAD, OECD, UNCTAD, WFP, the World Bank, the WTO, IFPRI and the UN HLTF. (2011). Price Volatility in Food and Agricultural Markets: Policy Responses. Report of the international organizations to the G20. 
Jacks, D.S., O'Rourke, K.H. et Williamson, J.G. (2009). Commodity Price Volatility and World Market integration Since 1700. NBER Working Paper w14748, Cambridge: National Bureau of Economic Research. 
Roache, S.K. (2010). What Explains the Rise in Food Price Volatility. IMF Working Paper WP/10/129 
Sarris A. (2009). “The erratic evolution of agricultural markets and approaches to dealing with market volatility”, présentation à la conférence FARM sur les prix et les risques de marchés, Paris, Novembre. 
Vindel, B. et Jacquet, P. (2011). «Agriculture, Développement et Sécurité alimentaire”, dans Jacquet, P. et Lorenzi, J.H., Les nouveaux équilibres alimentaires mondiaux, Paris : PUF et Descartes&Cie.

Pierre Jacquet

chef économiste
Agence française de développement (AFD)

Parcours

Pierre Jacquet est chef économiste de l'Agence française de développement (AFD) et membre du Cercle des économistes. Il est professeur et président du département d'économie et finance à l'École des Ponts ParisTech. Auparavant directeur adjoint de l'Institut français des relations internationales, il a été membre entre 1997 et 2006 du Conseil d'analyse économique auprès du premier ministre. Ses travaux portent principalement sur l'économie internationale, la politique économique, le développement et la gouvernance de la mondialisation.

1 article sur le blog ID4D Réinventer le rôle de l’APD

Agence française de développement (AFD)

L’Agence française de développement (AFD) contribue à mettre en œuvre la politique de la France en matière de développement et de solidarité internationale. À travers ses activités de financement du secteur public et des ONG, ses travaux et publications de recherche (Éditions AFD), de formation sur le développement durable (Campus AFD) et de sensibilisation en France, elle finance, accompagne et accélère les transitions vers un monde plus juste et résilient. Ses équipes sont engagées dans plus de 3 250 projets sur le terrain, dans les Outre-mer, dans 115 pays et dans les territoires en crise, pour les biens communs – le climat, la biodiversité, la paix, l’égalité femmes-hommes, l’éducation ou encore la santé.

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