
Dans de nombreuses villes des pays en développement, le système informel joue un rôle important dans la gestion des déchets municipaux. La récupération informelle de matériaux recyclables réduit les coûts de gestion des déchets pour les municipalités. Des millions d’euros sont économisés chaque année. Les activités du secteur informel aident aussi les municipalités à améliorer leurs taux de recyclage et à réduire les volumes des déchets mis en décharge.
Dans de nombreuses villes des pays en développement, la gestion des déchets ne pourrait être assurée sans les multiples récupérateurs, revendeurs et recycleurs de déchets du secteur informel. Selon l’Organisation Internationale du Travail (OIT), les travailleurs informels de ce secteur sont des personnes physiques ou de petites et très petites entreprises qui interviennent dans la gestion des déchets sans être déclarées ni formellement chargées des services de gestion des déchets. Le secteur informel bénéficie rarement d’une reconnaissance officielle alors que ses activités de collecte, de tri, de transformation, de stockage et de négoce des déchets en font un acteur important de la filière. Le tonnage de matériaux qu’il récupère dans les villes est très supérieur à celui du secteur formel (Tableau 1). Dans la plupart des pays en développement, il gère 15-20 % des déchets et génère ainsi d’importants bénéfices financiers et environnementaux pour les municipalités.
Dans la plupart des pays en développement, le secteur informel du recyclage se structure de façon pyramidale. La base est formée de récupérateurs qui collectent gratuitement les déchets dans les poubelles, les rues et les décharges.
A l’échelon supérieur se trouvent les repreneurs itinérants, qui achètent de petites quantités de déchets (plastique, papier, verre, métal, etc.) aux ménages. Dans plusieurs pays, ces derniers vendent également leurs déchets recyclables aux commerçants itinérants des échoppes de rue. Entre les récupérateurs et les retraiteurs, il existe différents niveaux d’intermédiaires (commerçants de détail, gestionnaires de stock et grossistes) dont la plupart n’ont pas déclaré leur activité. Plus on monte dans la pyramide, plus le tri des déchets s’affine, plus l’activité de commerce se spécialise et plus la valeur ajoutée des déchets est grande. Pour les villes disposant de systèmes de collecte des déchets municipaux efficaces, certains échelons peuvent être manquants ou combinés. Les matériaux récupérés par le secteur informel sont vendus aux industries et réintègrent in fine les filières formelles. Dans de nombreux pays, les travailleurs du secteur informel tendent depuis peu à se regrouper en coopératives avec l’aide d’ONG et de bailleurs de fonds. Ceux-ci peuvent alors passer des contrats avec les municipalités tout en gardant une activité informelle.
Des impacts économiques et environnementaux bénéfiques
De nombreuses études montrent que, dans les pays à revenu faible et intermédiaire, le secteur informel est plus actif et plus efficace que le secteur formel pour recycler et valoriser les déchets. En effet, le secteur informel a développé une large expérience dans la récupération et le recyclage de matériaux valorisables alors que le secteur formel se concentre sur la collecte et le traitement. Par ailleurs, le secteur informel est capable d’obtenir des taux de recyclage plus élevés. Bien que ses coûts d’exploitation soient souvent plus importants que dans le secteur formel, les prix élevés des matériaux recyclés permettent d’obtenir un coût par tonne beaucoup plus faible, et dans la plupart des cas, un profit. Les entreprises informelles de valorisation des déchets n’extraient, ne traitent et ne vendent que les matériaux à forte valeur ajoutée, dont elles peuvent tirer un gain. Toutes les activités de valorisation informelle qui émergent dans une filière de déchets sont rentables. Les secteurs informels de Cluj (Roumanie), Lima (Pérou), Lusaka (Zambie), Pune (Inde), Quezon (Philippines) et du Caire (Égypte) réalisent un résultat net d’environ 130 millions d’euros (CWG-GIZ, 2011). Ce résultat permet de générer des revenus pour les 73 000 travailleurs du secteur informel sans aucune aide de l’État ou des collectivités.
La récupération informelle des matériaux recyclables réduit le coût de gestion des déchets solides pour les municipalités (Figure). En effet, si les matériaux sont récupérés informellement en porte-à-porte, ils n’ont plus à être collectés ; tous les frais de collecte, de transport et d’élimination sont ainsi réduits proportionnellement à la quantité récupérée. S’agissant du transport, les économies réalisées dépendent du point à partir duquel les matériaux sont collectés. S’ils sont récupérés directement sur site, les coûts de transport restent identiques mais les coûts de traitement sont réduits. Ce sont ainsi des millions d’euros qui sont économisés chaque année – près de 15-20 % du budget annuel des déchets solides municipaux. À Delhi, en Inde, l’économie annuelle est de 6,7 à 7,5 millions d’euros. Selon une étude réalisée par GIZ et CWG dans six villes de pays en développement et émergents, les coûts évités sont principalement des coûts de collecte. Chaque travailleur permet d’éviter un coût moyen de 571 euros, ce qui, dans de nombreuses villes, est supérieur à son salaire annuel (CWG-GIZ, 2010).
Les activités informelles de recyclage génèrent aussi des bénéfices environnementaux importants pour les municipalités, en les aidant à améliorer leurs taux de recyclage et réduire leurs espaces de décharge. Ces activités de recyclage contribuent aussi à réduire l’extraction de matières premières primaires en réinjectant des matières premières secondaires dans le cycle de production. Elles permettent également de diminuer la consommation d’énergie, les cycles de production basés sur le recyclage étant moins énergivores. Par ailleurs, en faisant appel à la traction animale ou humaine plutôt qu’au transport motorisé, les activités de récupération informelles consomment beaucoup moins d’énergie fossile.
Une source de revenus pour des millions de personnes
On estime que le secteur informel du recyclage fait vivre près de 15 millions de travailleurs informels dans les pays en développement, et dans de nombreuses villes, il occupe plus de personnes que le secteur formel (Tableau 2). Les revenus des collecteurs de déchets sont très variables selon la région, le type d’activité et le sexe. Bien que la récupération soit souvent l’activité la moins rémunérée de la chaîne du recyclage, ces travailleurs peuvent gagner plus que le salaire minimum. Au Brésil, les données montrent que 34 % des récupérateurs gagnent 1 à 1,5 fois le salaire minimum et 54 % entre 1,5 et 4 fois le salaire minimum.
Cependant, le travail du secteur informel demeure généralement précaire et exécuté dans des conditions sanitaires et de sécurité très mauvaises, parfois inhumaines. Les récupérateurs courent de graves risques de se blesser, surtout dans les décharges à ciel ouvert où ils peuvent être écrasés par des camions ou victimes de glissements et d’éboulements de terrain et d’incendies. Ils sont aussi exposés à de grandes quantités de gaz toxiques sur les décharges. Il est généralement admis que la morbidité des récupérateurs est plus élevée que dans le secteur formel.
Mobiliser et formaliser le secteur informel
L’attitude des municipalités à l’égard du secteur informel est très variable : certaines y sont hostiles, d’autres indifférentes, et d’autres encore considèrent que c’est un maillon utile de la filière des déchets qui permet aux récupérateurs d’améliorer leur niveau de vie. Leur rôle est pourtant essentiel afin de mobiliser et d’organiser le secteur informel du recyclage.
Pour valoriser l’activité de recyclage informelle, une première étape peut consister à intégrer les récupérateurs dans le système de collecte des déchets directement à la source en leur garantissant un droit sur les matériaux recyclables et un accès régulier aux déchets. En 2006, la municipalité de Pune (Encadré 1) a accordé aux récupérateurs le droit de ramasser les déchets et de collecter une redevance auprès des ménages. À Bogota, la Cour d’appel a annulé l’exclusivité accordée à un entrepreneur privé sur les déchets municipaux et a rétabli les droits d’accès aux déchets aux récupérateurs de rue.
‘SWACH’ – Une coopérative de récupérateurs de déchets à Pune, Inde
Solid Waste Collection and Handling, de son nom officiel la SWaCH Cooperative, est la première coopérative indépendante de chiffonniers et récupérateurs de déchets. Agréée par la municipalité de Pune, elle assure la collecte des déchets en porte à porte, la récupération des ressources, le commerce et le traitement des déchets. Aujourd’hui, ses 1 867 membres desservent plus de 1,5 million d’habitants à Pune et font le lien entre les ménages et les points de collecte municipaux. SWaCH propose aussi des solutions intégrées et complètes pour les déchets humides et secs tout en permettant aux collecteurs de conserver leur moyen de subsistance et de se former pour travailler de façon professionnelle et dans de meilleures conditions de sécurité. L’intégration par SWaCH des récupérateurs a permis de réduire de 20 % les volumes de déchets mis en décharges. Pour la municipalité de Pune, travailler avec le secteur informel est beaucoup moins coûteux que la contractualisation avec le secteur privé.
Mobiliser le secteur informel suppose que les municipalités établissent des relations contractuelles ou directes avec lui. Et pour se positionner en prestataire de services à part entière, celui-ci doit former des structures semi-légales ou légales, comme des coopératives. Pour assurer une bonne gestion des déchets, il est souvent plus efficace et rentable d’utiliser les structures informelles existantes ou de les moderniser que de les démanteler et en créer de nouvelles. Au Brésil, les coopératives de récupérateurs sont autorisées à utiliser les matériaux recyclables collectés par les municipalités et à louer des entrepôts de recyclage. Au Bangladesh, Waste Concern et quelques autres ONG forment les collecteurs au recyclage des déchets organiques pour vendre le compost à un grand fabricant d’engrais.
Les travailleurs du secteur informel sont peu familiers du monde des affaires et souvent socialement défavorisés. C’est pourquoi les municipalités doivent tenir compte de leur situation dans la définition des politiques publiques. Cela peut être en délivrant des cartes d’identité aux récupérateurs de déchets ou en instaurant pour eux des régimes d’assurance maladie. Elles peuvent aussi les aider à constituer des coopératives ou des petites et moyennes entreprises, et leur assurer des programmes de formation d’entrepreneuriat et de gestion.
Collaborer avec le secteur privé
La privatisation des services de collecte des déchets n’est pas un obstacle à la collaboration entre le secteur informel et le secteur formel. Pour les entreprises qui n’ont pas d’activité de recyclage, la collaboration avec les récupérateurs informels permet de réduire le volume des déchets collectés et, par là-même, leurs frais de transport. Dans certains cas comme au Brésil, le secteur privé peut aussi livrer des matériaux recyclables aux recycleurs informels, qui eux-mêmes collaborent avec des entreprises formelles de recyclage, de transformation et autres acheteurs – industries utilisant des matériaux recyclables dans leur production ou exportant des matériaux recyclables (Scheinberg et al, 2010).
Cependant, dans d’autres cas, des conflits peuvent survenir avec le secteur privé. Pour les entreprises de collecte rémunérées à la tonne mise en décharge, les récupérateurs du secteur informel représentent un concurrent qui empiète sur leur chiffre d’affaires, ces entreprises ayant intérêt à maximiser les volumes collectés et traités. Cela peut aussi être le cas des entreprises engagées dans des activités de recyclage. Dans ce contexte, elles peuvent être tentées de développer des stratégies pour accéder au plus tôt aux déchets ou empêcher le secteur informel de collecter les déchets (Encadré 2). C’est alors au secteur public de faciliter l’intégration du secteur informel et de conclure avec le secteur privé des contrats reconnaissant l’accès et le droit du secteur informel aux déchets.
La gestion des déchets à Coimbatore, Inde
A Coimbatore, la collecte des déchets est assurée tous les jours, en porte à porte, par le service municipal. Le transfert, le transport, le compostage, le traitement et l’enfouissement ont été confiés, pour 25 ans, à l’entreprise privée Gujarati UPIL. Ses revenus sont assurés par la redevance perçue par tonne de déchet traitée ainsi que par la vente du compost produit et des produits recyclables reçus. Depuis lors, l’accès aux décharges a été fermé aux chiffonniers et son système de collecte en porte-à-porte conduit à court-circuiter le schéma de récupération informelle.
La particularité de Coimbatore réside dans la coexistence d’un troisième système, porté par un acteur industriel de poids l’Indian Tobacco Company. Cette multinationale indienne exploite trois usines de fabrication de papier dans le pays. Pour soutenir son activité de papier recyclé, elle a établi en 2010 un nouveau modèle d’approvisionnement de papiers usagers directement auprès de 20 000 foyers. En se positionnant très en amont du processus, ce système court-circuite également la source d’approvisionnement des récupérateurs et revendeurs informels.
Cet exemple montre que les déchets sont autant perçus comme détritus que comme une ressource à valoriser. Les rivalités entre ces systèmes sont plus qu’une simple concurrence économique. Elles posent la question de la répartition des ressources et de la définition des droits de propriété de ces matériaux, pour éviter qu’ils soient accaparés par un seul acteur. (AFD, 2010)
Régulariser la récupération informelle et l’intégrer à la filière des déchets solides peut accroître les taux de récupération des matériaux recyclables et réduire le coût global de gestion de la filière. De manière générale, les politiques facilitant l’intégration du secteur informel permettent d’augmenter les taux de recyclage et de réduire les taux d’enlèvement, ce qui permet de réduire les coûts de transport et de traitement en décharges. La valorisation des déchets revêt de multiples formes, combinables : réutilisation personnelle ou commerciale, réutilisation avec remise à niveau, recyclage et compostage, etc. Mais, dans tous ces scénarios, la municipalité reste gagnante avec des taux de recyclage accrus et une réduction des tonnes de déchets mis en décharge, dont la mise en œuvre est beaucoup plus rapide qu’avec le système formel.
Note de bas de page :
¹ David Wilson, consultant dans le secteur des déchets et professeur associé de l’Imperial College London a fourni de précieux commentaires sur cet article aux différents stades de son élaboration.
Références / Cavé, J., 2010. La gestion des déchets à Coimbatore (Inde) : frictions entre politique publique et initiatives privées, AFD – Working Paper n°104, Laboratoires Techniques, Territoires et Sociétés (LATTS), CNRS. December / CWG-GIZ, 2010. The Economics of the Informal Sector in Solid Waste Management. CWG Publication Series No 5. Accessible à l’adresse : http ://www.cwgnet.net/prarticle.2010-11-04.5920431459/prarticle.2011-03-30.0366272418 / Gerold, A. 2009. Integrating the Informal Sector in Solid Waste Management Systems. Basic Aspects and Experiences. GIZ / Scheinberg, A., Wilson, D.C., Rodic, L. 2010. Solid Waste Management in the World’s Cities. Publié pour ONU-Habitat par Earthscan, Londres