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Dans de nombreux pays en développement, le secteur privé fournit une part importante des services de santé. L'amélioration générale des services de santé passe par la mise en œuvre de politiques publiques intégrant le secteur privé de la santé, favorisant le dialogue, l'échange d'informations et la collaboration entre acteurs. Les pouvoirs publics doivent encourager à la fois une saine concurrence et l'établissement de partenariats. Les patients qui ont besoin de soins ne portent aucun intérêt aux montages institutionnels ou au statut des prestataires qui les soignent.

Leur préoccupation est d'avoir accès en temps utile à des soins de qualité, à un coût abordable - peu leur importe qu'ils soient prodigués par des prestataires publics ou privés1. Cette approche, centrée sur la vision et le besoin des patients, devrait guider le développement des politiques de santé. Les États ont besoin d'une politique de santé qui couvre l'ensemble des acteurs majeurs du secteur - indépendamment de leur statut ou du type de médecine pratiquée. Les politiques relatives au secteur privé de la santé concernent deux ensembles de mesures : la réglementation du secteur privé d'une part et la réglementation du domaine de la santé d'autre part. La première impose aux sociétés de respecter certaines règles, notamment en matière de déclaration d'activités et de fiscalité. La réglementation du secteur de la santé, elle, oblige tous les prestataires - publics ou privés - à se conformer par exemple à des normes de qualité minimales et à ne pas dépasser un plafond d'honoraires. Les critères d'efficacité de l'action publique ne sont pas les mêmes dans les deux cas. Mesurer l'action du secteur privé nécessite de mettre en place des règles simples et transparentes qui instaurent un cadre de travail favorable. S'agissant des politiques de santé, la mesure est plus compliquée. Les pouvoirs publics ont des responsabilités à l'égard des citoyens : ils sont tenus d'exercer une surveillance et de veiller à ce que les services de santé soient de bonne qualité, accessibles géographiquement, et abordables financièrement.

 

Une coordination renforcée entre privé et public

Dans la majorité des pays en développement, le secteur privé fournit une part importante des services de santé, quels que soient les groupes de population. Même l'absence de politiques et de pratiques efficaces, qui caractérise de nombreux pays en développement, n'a pas gêné la progression du secteur privé. Faire l'impasse sur son importance et son rôle dans les pays en développement n'est donc pas concevable. Croire que le secteur public de la santé pourra remplacer la totalité des acteurs privés et fournir des prestations de qualité gratuitement à tous relève de l'utopie et ne saurait orienter utilement les politiques publiques.

Les études concernant les soins materno-infantiles montrent qu'une coordination renforcée entre les secteurs public et privé améliore l'accès aux services de planning familial et accroît la proportion de naissances assistées par des accoucheuses qualifiées – deux améliorations qui sauvent des vies (Banque mondiale-SFI, 2011). Sous-traiter des services au secteur privé ou lui acheter des fournitures ou des équipements peut également s'avérer efficace. Là aussi, les programmes de soins maternels et néonatals ont donné des résultats impressionnants. Mais au-delà d'une collaboration ponctuelle entre secteur public et secteur privé, une collaboration plus large et plus systématique est nécessaire pour atteindre les objectifs prioritaires de santé fixés par les États.

 

Importance du dialogue et de l'échange d'informations

Le récent rapport de la Banque mondiale et de la Société financière internationale (SFI), Partenariats pour la santé - Comment l'État collabore avec le secteur privé pour améliorer la santé en Afrique, propose pour la première fois une grille d'analyse de ce qui constitue une bonne collaboration entre les autorités publiques et le secteur privé de la santé. Cinq domaines clés y sont identifiés : politiques publiques et dialogue, échange d'informations, règlementation, financement, et prestation de services par l'État. En s'aidant de cette grille, une équipe de chercheurs a mesuré le degré de collaboration public-privé dans 45 pays d'Afrique subsaharienne. En Afrique subsaharienne, moins de la moitié des dépenses de santé sont des dépenses publiques - et la moitié au moins des services de santé sont assurés par des prestataires privés (Figure 1).

Plus de 85 % des pays d'Afrique subsaharienne prévoient officiellement une collaboration avec le secteur privé2. Mais la majorité d'entre eux ne l'appliquent pas3, souvent parce que les ministères de la Santé pensent avant tout devoir superviser les prestataires publics et non pas un système de santé mixte. Pourtant, les États sont de plus en plus nombreux à instaurer ou réinstaurer un dialogue avec les acteurs privés du secteur. Au Ghana, par exemple, la collaboration entre les pouvoirs publics et le secteur privé de la santé s'est considérablement renforcée grâce à une nouvelle plate-forme de concertation. Le secteur privé a réagi pour sa part en créant une organisation coiffant tous les prestataires privés, une étape cruciale pour engager le dialogue – mais qui fait pourtant défaut dans la plupart des pays en développement. L'échange d'informations entre secteur public et secteur privé est aussi une condition essentielle d'une collaboration réussie. Le secteur privé doit être intégré aux systèmes nationaux d'information qui concernent la gestion et la surveillance sanitaires.

 

Règlementation, financement, et prestation de services par l'État

Les pouvoirs publics ont la capacité de créer et de mettre en œuvre un cadre réglementaire régissant le secteur privé de la santé. Ce cadre réglementaire doit permettre aux autorités de savoir qui fait quoi - et où. Il doit aussi définir les règles régissant l'ouverture et l'exploitation d'établissements de santé privés, proposer un processus transparent de contrôle de la qualité ou d'inspection. Il doit aussi garantir l'application effective de ces règles et prendre en compte l'ensemble des principaux prestataires de services de santé. Dans de nombreux pays en développement, les prestataires privés ne déclarent pas systématiquement leur activité – seuls 13 % des 45 pays étudiés ont un registre complet des établissements de santé privés. Les règlementations sont inadaptées ou obsolètes, et le contrôle de leur application est pour ainsi dire inexistant. De manière générale, les prestataires privés n'apprécient pas l'absence ou le manque de cohérence des contrôles, qui permet aux plus médiocres de continuer à pratiquer. Certes, les mécanismes d'inspection existent sur le papier dans chacun des 45 pays, mais ils sont opérationnels uniquement dans cinq pays.

Le financement des systèmes de santé est un domaine crucial. Les fonds potentiellement ou effectivement disponibles doivent être régis par un mécanisme spécifique, qui permette aux pauvres d'avoir accès aux services tout en assurant que les deniers publics soient utilisés au mieux – par exemple pour l'achat de services publics ou privés, avec des acteurs soumis aux mêmes règles. Ce principe d'achats stratégiques, qui consiste à faire appel aux meilleurs prestataires indépendamment de leur statut, est particulièrement important dans les pays où le secteur privé est bien développé. L'existence d'incitations financières offertes aux établissements de santé privés (exonérations fiscales, octroi de terres en zones rurales, exonération de droits de douane, etc.) permet en outre d'apprécier la volonté des autorités d'améliorer le climat d'investissement dans le secteur. Le niveau de prise en charge des prestataires privés par l'assurance maladie sert, quant à lui, à déterminer quelle part de la population peut accéder aux services du secteur privé sans devoir payer de sa poche. Dans la plupart des pays d'Afrique subsaharienne, moins de 15 % de la population y a accès. Mais le niveau de couverture progresse. Plusieurs pays, tels que le Kenya, le Nigeria et l'Ouganda, se sont engagés dans un système public élargi d'assurance maladie. La perspective d'inclure les prestataires privés dans des régimes nationaux d'assurance maladie donne bon espoir de voir le secteur dans son ensemble connaître des améliorations – en plus de fournir un mécanisme pour protéger les plus pauvres et canaliser vers eux les aides aux services de santé. Cela pourrait avoir aussi pour effet d'encourager les établissements publics à s'aligner sur les pratiques des prestataires privés tout en contraignant ces derniers à respecter des normes de certification pour pouvoir prétendre aux remboursements.

Le domaine des prestations de services publics concerne la manière dont les autorités s'appuient sur le secteur public pour compléter, favoriser ou au contraire réduire les services de santé privés. Dans la plupart des pays, il existe une bonne collaboration entre les pouvoirs publics et le secteur privé en matière de vaccination et de lutte contre les maladies – programmes de vaccination ou traitement du VIH/SIDA, par exemple. De même, les patients sont bel et bien réorientés, sous une forme ou une autre, entre les secteurs public et privé. Ces exemples de collaboration dans des domaines restreints, qui résultent parfois de conditions imposées par les bailleurs de fonds, permettent d'espérer que la collaboration s'étende à l'ensemble des systèmes de santé.

L'identification des éléments essentiels conditionnant une collaboration efficace entre les pouvoirs publics et le secteur privé de la santé est une étape-clé vers des réformes constructives. Mais pour aller au-delà de partenariats individuels ou d'initiatives ponctuelles, il faut définir des politiques publiques plus globales.  Le remboursement des prestataires privés en contrepartie des services fournis, dans le cadre d'un programme national d'assurance maladie, serait une avancée significative. Dans un environnement où les ressources publiques sont rares, les pouvoirs publics doivent se concentrer sur leur rôle de réglementation et de contrôle  (voir encadré) - superviser l'ensemble des prestataires afin d'assurer un niveau minimum de qualité, par exemple - sans chercher à faire ce qui peut être fait par d'autres - fournir des prestations par exemple.

 

Optimiser la collaboration public/privé dans un contexte de faibles ressources publiques

Les résultats obtenus dans chacun des cinq domaines étudiés ne sont généralement pas corrélés aux revenus. Il ne s'agit donc pas d'une question de ressources. Lorsque les fonds publics sont très limités, ce qui est le cas dans de nombreux pays en développement, il est crucial qu'ils se fixent des priorités et qu'ils délèguent des activités - en particulier en direction du secteur privé. Au Libéria, par exemple, les pouvoirs publics laissent les associations et les organisations superviser une partie des activités sanitaires. La Commission médicale du Libéria, à court de ressources, a en effet confié à l'Association des dispensaires privés du Libéria (créée par des médecins assistants, des sages-femmes et des infirmiers diplômés) l'enregistrement de tous les établissements privés et leur inspection initiale. C'est donc cette association qui s'assure que les professionnels sont dûment autorisés à exercer et que les établissements satisfont aux conditions de certification.

 

1 Le terme « privé » s'entend ici comme le contraire de « public » et recouvre à la fois les organismes à but lucratif et les organismes à but non lucratif – comme, par exemple, les structures confessionnelles (hôpitaux missionnaires, etc.) – particulièrement actifs dans les pays en développement.
2 Dans tous les pays et dans tous les domaines, la collaboration est plus importante avec les prestataires privés à but non lucratif (principalement des organisations confessionnelles, pour ce qui est de l'Afrique). C'est donc le secteur à but lucratif, pourtant plus important, qui reste exclu.
3 Trente-neuf des quarante-cinq pays de l'Afrique subsaharienne couverts par l'étude ont une politique qui traite du secteur privé de la santé ; mais ils ne sont que douze à la mettre en œuvre.

 

Références

Banque mondiale-SFI, 2011. Partenariats pour la santé – Comment l'État collabore avec le secteur privé pour améliorer la santé en Afrique. Accessible à l'adresse : https://www.wbginvestmentclimate.org/advisory-services/health/upload/Healthy-Partnerships-Full-Rpt_French.pdf / Montagu D. Anglemyer A., Tiwari M. et alii, 2010. A comparison of health outcomes in public versus private settings in low- and middle-income countries. Global Health Sciences, University of California San Francisco.

Connor Spreng

Economiste
Banque mondiale

Parcours

Actuellement en poste à Jakarta (Indonésie), Connor Spreng est économiste à la Banque mondiale. Il est le principal auteur du rapport Partenariats pour la santé, publié récemment par la Banque mondiale et la Société financière internationale (SFI). Il a par ailleurs participé aux efforts de réforme de l'interface public-privé et en a étudié les effets – dans des secteurs aussi variés que la santé, l'éducation, la finance, l'eau et l'assainissement.

Banque mondiale

Le groupe de la Banque mondiale est une des plus grandes sources de financement et d'expertise  pour les pays en voie de développement. Le groupe comprend 5 institutions étroitement associées : la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développent (BIRD) et de l'Association Internationale pour le Développement (AID), la Société Financière Internationale (SFI), l'Agence Multilatérale de Garantie des Investissements (AMGI), et le Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements (CIRDI). Chaque institution joue un rôle important dans la lutte contre la pauvreté et l'amélioration des conditions de vie des populations vivant dans les pays en voie de développement. Pour de plus amples informations vous pouvez visiter nos sites www.worldbank.org, www.miga.org, et  www.ifc.org.