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Les défaillances de son secteur électrique pénalisent l'Afrique subsaharienne. Si le secteur privé est le mieux positionné pour accroître les capacités de production, il reste confronté à de nombreux obstacles. Les États africains peuvent agir pour créer un climat plus favorable à ces investissements. L'une des principales mesures à prendre consiste à renforcer leur secteur électrique. Facturer le prix réel de l'électricité constitue la première étape vers cet objectif.

L'accès à l'électricité est un des facteurs de progrès et de développement économique parmi les plus importants. Pour les 80 % de la population mondiale qui ont accès à l'électricité, il n'y a aujourd'hui plus aucune magie à éclairer sa maison en appuyant sur un simple interrupteur. Mais pour plus de 69 % des habitants d'Afrique subsaharienne – soit quelque 585 millions de personnes (IEA, 2011) –, l'accès à l'électricité demeure un rêve lointain. La capacité totale installée de l'Afrique subsaharienne hors Afrique du Sud n'est que de 28 gigawatts (GW) – soit celle des Pays-Bas, un pays qui ne compte que 17 millions d'habitants (Foster, V., Briceño-Garmendia, C. 2010). Cette réalité préoccupe énormément les acteurs du développement car le défi à relever, en effet, peut paraître insurmontable. En Afrique subsaharienne (hors Afrique du Sud), la consommation annuelle d'électricité par habitant se situe autour de 200 kilowattheures (kWh). Pour atteindre le niveau de consommation des pays à revenus moyens de la tranche inférieure – qui se situe en moyenne autour de 700 kWh par an –, il faudrait augmenter d'au moins 125 GW la capacité de production et développer les réseaux de transport et de distribution nécessaires. Ce scénario, pour se réaliser, nécessiterait 400 milliards de dollars – soit 40 milliards de dollars d'investissement par an sur dix ans. Cette somme représente de 7,5 % à 10 % du PIB du continent ; un tel investissement semble bien peu probable. Les subventions et les prêts des institutions de développement ne suffiront pas non plus : le total de l'aide publique au développement (APD) dont bénéficie l'Afrique dans le secteur des infrastructures s'élève à 3,5 milliards de dollars par an environ (Foster, V., Briceño-Garmendia, C. 2010), tandis que les banques de développement et les institutions comparables fournissent près de 30 milliards de dollars supplémentaires par an2 sous forme de prêts. Même dans l'éventualité très peu probable où un tiers de ces fonds (évalués globalement à 35 milliards de dollars) seraient affectés au développement de l'énergie électrique, ces quelque 10 à 15 milliards ne représenteraient à leur tour qu'un tiers des besoins.

 

Le privé : une source de financement à développer

D'où peuvent donc venir les investissements nécessaires au développement du secteur électrique ? Du secteur privé, naturellement. En 2012, les 20 principales banques commerciales ont accordé des prêts d'un montant de 21,5 milliards de dollars pour financer des projets dans le monde entier. Avant la crise, cette enveloppe s'élevait même à 45,5 milliards de dollars. Du côté des institutions financières internationales (IFI), rien que pour l'année écoulée, la Société financière internationale (SFI), qui soutient le secteur privé, a débloqué environ 1,5 milliard de dollars pour le financement de projets de développement du secteur électrique en Afrique subsaharienne, catalysant au total plus de trois milliards de dollars d'investissements, majoritairement en cofinancement avec Proparco, un de ses principaux partenaires. Le rôle des capitaux privés est donc essentiel. Ils pourraient davantage bénéficier aux producteurs d'électricité indépendants, généralement plus performants. En moyenne, les centrales thermiques gérées par les services publics en Afrique excèdent rarement une disponibilité de 65 %3 tandis que les producteurs indépendants dépassent souvent 90 % : motivés par les perspectives de gain, ils se concentrent sur la performance opérationnelle. Ils permettent également aux États d'économiser d'importants coûts initiaux, ce qui permet de déployer de précieuses ressources dans d'autres secteurs – le prix d'une centrale au mazout lourd de 100 MW équivaut à celui de 50 centres médicaux bien équipés. Les producteurs privés fournissent également de l'électricité à un tarif satisfaisant – le coût moyen est inférieur à 0,05 dollar par kWh4 pour les centrales thermiques à l'exception de celles fonctionnant au fioul – et déchargent les gouvernements des risques liés à la construction et au financement. Cependant, au cours des trois dernières années, seule une dizaine de projets privés ont vu le jour en Afrique subsaharienne (hors Afrique du Sud). Neuf pays seulement sur 48 ont eu recours à des producteurs indépendants.

 

Quels freins à cet investissement privé ?

L'investissement privé et le développement des producteurs indépendants sont souvent freinés par l'attitude des autorités publiques. Elles semblent en effet parfois réticentes à accepter l'impact transformationnel de l'investissement privé dans la production électrique. Certains pays continuent de penser que la production d'électricité est un secteur stratégique qui doit rester aux mains de l'État. D'autres ont une perception négative du secteur privé, du fait d'expériences passées. Parfois encore, le maintien du contrôle de l'État sur ce secteur est vu comme un moyen de reporter des réformes douloureuses. Les gouvernements sont aussi tentés par des prêts  concessionnels, des subventions ou les prêts attractifs des agences de crédit à l'exportation. Enfin, ils sont parfois persuadés que les producteurs indépendants pourraient, comparativement, augmenter les coûts. Par ailleurs, les autorités publiques n'assurent pas toujours correctement le recouvrement des coûts et la pérennité financière de leur secteur électrique. Les États peinent souvent à considérer l'électricité comme une simple marchandise et refusent de la faire payer à son véritable coût. L'investissement nécessaire à la construction d'une centrale électrique est globalement le même à l'échelle mondiale, voire souvent plus cher en Afrique du fait des coûts de transport du matériel et de l'absence d'économies d'échelle. Les coûts variables (principalement le coût du combustible), eux, dépendent de la dotation en ressources naturelles et de leur disponibilité dans le pays. Compte tenu de ces éléments, le coût de production d'un kilowattheure d'électricité en Afrique est au moins aussi élevé que dans les pays plus riches. Enfin, il va sans dire que la bonne gouvernance au sein des institutions publiques constitue une condition préalable au succès des producteurs indépendants. D'une façon générale, les investisseurs sont attachés à la visibilité et aux règles claires. Le secteur de l'électricité est un secteur d'activité complexe – qui allie des aspects financiers, économiques et sociaux –, pour lequel une gestion compétente constitue un élément essentiel pour attirer les investisseurs privés.

 

La nécessité d'une tarification adaptée aux revenus

En Afrique, les gouvernements gèrent la problématique de l'accessibilité à l'électricité en fixant des tarifs bas. Dans de nombreux pays, le secteur de l'électricité est, de ce fait, rapidement devenu financièrement non viable et dépendant des subventions publiques. Un rapport publié récemment par le Fonds monétaire international indique que les tarifs de l'électricité en Afrique subsaharienne ne permettent le recouvrement que d'environ 70 % des coûts (FMI, 2013). Les subventions accordées au secteur de l'électricité représentent en moyenne 2 % du PIB et 9 %5 du total des recettes publiques. En comparaison, les dépenses de santé et d'éducation dans cette région du monde représentent au total 8 % du PIB. De plus, ces subventions sont inéquitables et socialement dégressives : elles avantagent en très grande majorité les plus riches. La tranche des 20 % les plus pauvres ne reçoit généralement que 9 % du total des subventions destinées au secteur de l'électricité (FMI, 2013). Enfin, elles détournent des ressources budgétaires rares qui pourraient être consacrées à des dépenses en faveur des plus pauvres. Bien que légitime, la priorité accordée au caractère abordable du prix fait trop souvent l'objet d'une approche restrictive et l'attribution de subventions aussi importantes au secteur de l'énergie est contestable. Lorsque les utilisateurs finaux ne disposent pas d'électricité, ils ont recours à des solutions de remplacement beaucoup plus onéreuses comme le pétrole lampant pour l'éclairage, qui se situe à près de 0,75 dollar par kWh6. Le manque d'électricité a également un impact indéniable sur l'économie. Les entreprises qui peuvent se le permettre disposent de générateurs – produisant ainsi en général de l'électricité à un coût supérieur à 0,50 dollar par kWh. Enfin, le prix au kilowattheure ne constitue pas une donnée aussi pertinente que beaucoup semble le croire. S'il est vrai qu'un kilowattheure à 0,20 dollar peut sembler élevé pour le citoyen africain moyen, seule la part totale du revenu consacrée à l'électricité compte réellement. Le citoyen moyen de l'OCDE consomme environ 20 fois plus d'électricité que son homologue africain, tout en ayant un revenu 20 fois supérieur. Les deux consacrent donc à peu près la même proportion de leurs revenus à l'électricité.

 

Le cercle vicieux des défaillances du système électrique africain

Le refus des gouvernements de faire payer aux citoyens le véritable prix de l'électricité décourage les producteurs indépendants crédibles. Pourquoi investiraient-ils des centaines de millions de dollars lorsque l'acheteur – le service public ou l'État – ne demande pas un tarif suffisant aux utilisateurs finaux pour couvrir les coûts, laissant l'investisseur exposé aux impayés ? Sur l'ensemble du continent africain, l'inefficacité des opérateurs d'électricité – le plus souvent étatiques – est quasiment toujours à l'origine des défaillances du secteur électrique. Un opérateur de qualité joue un rôle central dans la stabilisation du secteur, comme l'attestent les exemples de la Compagnie ivoirienne d'électricité (CIE) en Côte d'Ivoire, d'Umeme en Ouganda, de la société Kenya Power and Lighting Company (KPLC) et dans une certaine mesure, celui d'AES-Sonel au Cameroun. La gestion professionnelle de ces entreprises ainsi que leur volonté de réduire les coûts, d'imposer aux utilisateurs finaux des tarifs raisonnables et de défendre la viabilité financière ont joué un rôle déterminant pour maintenir ce secteur à flot. Il ne faut donc pas s'étonner que ces quatre pays se caractérisent par une présence significative de producteurs privés, y compris dans des projets emblématiques comme ceux de la centrale hydraulique de Bujagali (Ouganda), de la centrale au gaz naturel d'Azito et des projets de développement d'énergie thermique -  Compagnie Ivoirienne de Production d' Electricité - CIPREL (Côte d'Ivoire) - et de la centrale électrique de 87 megawatts de Thika (Kenya). L'absence de stratégie étatique en faveur d'acteurs privés et l'instabilité financière du secteur de l'électricité produisent un cercle vicieux qui entraîne une détérioration de la qualité de service, une augmentation des coûts et des difficultés à sélectionner les bons investisseurs privés (Figure 1). Toutes les difficultés naissent de la vulnérabilité du service public. Comment sortir de ce piège ? Principalement en assurant le recouvrement des coûts. Il n'est pas possible d'échapper à cette vérité simple, même si elle est dérangeante : les utilisateurs finaux doivent payer le prix réel de l'électricité. Il faut également admettre que la production d'électricité est une activité qu'il vaut mieux déléguer au secteur privé, au même titre que les télécommunications.

Dans l'ensemble, les producteurs d'électricité privés semblent, de loin, la meilleure solution pour augmenter rapidement et de façon rentable la production d'électricité en Afrique subsaharienne. Ils sont très adaptés aux partenariats public-privé car ils sont relativement faciles à sélectionner au moyen d'appels d'offres et ils peuvent être encadrés par des modèles contractuels qui ont fait leurs preuves dans le temps. Il n'y a pas de pénurie de financement pour les projets de production privés bien structurés et généralement fiables. De leur côté, les producteurs privés ont simplement besoin d'un pays hôte accueillant et d'être à peu près assurés d'être payés. Si ces deux conditions sont réunies, le secteur privé aidera les Africains à accéder à l'électricité, de la même façon que les opérateurs privés de téléphonie mobile leur ont permis d'être connectés. La Côte d'Ivoire a attiré plus d'un milliard de dollars d'investissement en 18 mois pour augmenter la capacité de production du pays de 30 %. L'Ouganda a divisé par deux le coût de l'électricité et triplé son taux d'accès à l'électricité, en grande partie grâce à la privatisation du service. Le Kenya est en train d'accroître massivement sa capacité de production, à la fois thermique et renouvelable grâce à un ensemble de nouveaux producteurs privés et l'Afrique du Sud a su tirer parti du secteur privé pour augmenter rapidement sa capacité de production solaire et éolienne. Si les pays créent les conditions minimales favorables à l'investissement dans la production privée d'électricité, les investisseurs et des financeurs répondront présents.

 

1  Les avis et les opinions exprimés dans le présent article ne représentent pas nécessairement ceux de la SFI ou de son conseil d'administration, ni ceux de la Banque mondiale, de ses administrateurs ou des pays qu'ils représentent. Ils ne peuvent donc leur être attribués.
2 Estimation des auteurs (comprend les banques de développement et les principales banques Exim).
3 Estimation des auteurs (données propriétaires). Le terme « disponibilité » désigne la proportion de temps pendant laquelle une centrale électrique est potentiellement capable de générer de l'électricité.
4 Échantillonnage de projets extrait des données des auteurs
5 Calculs effectués par les auteurs
6 Estimation réalisée par les auteurs sur la base d'un litre de pétrole lampant à 0,50 dollar, 10 kWh/litre de pétrole lampant ayant une teneur calorifique et une efficacité énergétique d'environ 0,1 lumen/watt.

 

Références

FMI, 2013. Energy Subsidy Reform: Lessons and Implications. IMF Policy Paper, Washington D.C, Mars. // Foster, V., Briceño-Garmendia, C. 2010. Africa's Infrastructure: A Time for Transformation. Copublication de l'Agence Française de Développement et de la Banque mondiale, Washington D.C. // IEA, 2011. World Energy Outlook. OECD/IEA, Paris, France. 

Yasser Charafi

Chargé d'affaires
SFI

Parcours

Diplômé de la Harvard University Kennedy School of Government, Yasser Charafi est chargé d'affaires au sein de l'équipe Infrastructures de la SFI pour l'Afrique basée à Dakar. Spécialisé dans les infrastructures de transport (comme les ports, aéroports et routes à péage) ainsi que dans les projets d'énergie thermique et renouvelable, il est plus particulièrement responsable des investissements sous forme de « financement de projet » dans ces secteurs.

Bertrand Heysch de la Borde

Gérant
SFI

Parcours

Fort de plus de 20 ans d'expérience, Bertrand Heysch de la Borde dirige les opérations liées aux infrastructures en Afrique subsaharienne pour la Société financière internationale (SFI), appuyé par une équipe de 40 professionnels de l'investissement. Après avoir débuté sa carrière au sein du groupe Agence française de développement, il devient responsable du financement des projets d'infrastructures à la Société générale. Il rejoint la SFI en 2007.

SFI

Membre du Groupe de la Banque mondiale, la SFI est la plus grande institution internationale de développement exclusivement consacrée au secteur privé dans les pays en développement. La SFI utilise et mobilise ses produits et services pour proposer des solutions de développement adaptées aux besoins de ses clients. Ses ressources financières, son expertise technique, son expérience internationale et sa culture de l’innovation sont mises à profit pour aider ses partenaires à surmonter les difficultés financières, opérationnelles ou politiques. Au cours de l’exercice 2016, la SFI a engagé dans le monde 1 milliard de dollars sur des investissements dans des pays en situation de fragilité et de conflits (FCS), dont 250 millions de dollars en Afrique.

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