Le développement des énergies renouvelables en Afrique : un partenariat public-privé

Stéphanie Mouen
Chef de projets, division Transports et énergies durables
Agence française de développement (AFD)
Grégor Quiniou
Responsable adjoint, division Infrastructures et mines
Proparco
publié le 13 Janvier 2014
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A l'instar de la téléphonie mobile qui a permis l'essor des télécommunications en Afrique subsaharienne, le développement des énergies renouvelables (EnR)¹ sera-t-il de nature à combler les besoins en capacités de production ? Le potentiel des EnR y est réel. Les producteurs privés peuvent jouer un rôle essentiel pour le développer. Pour cela, les États doivent mettre en place un cadre réglementaire et une planification adaptés, aux côtés des bailleurs dont le rôle est particulièrement structurant dans la phase amont des projets.

L'Afrique subsaharienne compte environ 83 gigawatts (GW) de capacité de production électrique, dont 22 GW2 d'origine renouvelable. L'hydroélectricité, avec 21,6 GW installés représente 98 % du total, aux côtés de l'éolien – 120 mégawatts (MW), la géothermie (210 MW) et le solaire (une dizaine de MW, pour l'essentiel non connectés au réseau). Alors que les maîtrises d'ouvrages publiques sont en général concentrées sur les moyens de production électrique traditionnels (thermique, gros projets hydrauliques principalement) et certaines compagnies d'électricité parfois réticentes à l'égard des énergies intermittentes, les développeurs privés ont un rôle important à jouer dans la promotion des projets d'EnR en Afrique subsaharienne. La rapidité de mise en œuvre de ces projets et leur compétitivité économique par rapport aux énergies fossiles les rendent désormais attractives à court terme.

Le potentiel de production électrique à base d'énergies renouvelables

Le potentiel des EnR en Afrique est énorme ; le potentiel hydroélectrique est estimé par exemple à environ 1 844 térawattheures (TWh) (IRENA, 2012), soit 18 fois la production d'hydroélectricité du continent en 2009. Environ la moitié de ce potentiel est jugé économiquement viable (soit une capacité additionnelle potentielle de 100 GW à 150 GW). Les ressources éoliennes sont elles aussi très importantes et exploitables, même si elles ne sont pas uniformément réparties sur le territoire : 87 % des ressources de haute qualité sont situés dans les zones côtières de l'Est et du Sud. La ressource y est l'une des meilleures au monde. La ressource solaire est abondante en Afrique et elle est mieux répartie sur l'ensemble du continent. Soutenu par des politiques publiques adéquates et par la réduction continue des coûts de production, le solaire photovoltaïque pourrait jouer un rôle très important dans l'approvisionnement énergétique de l'Afrique d'ici 2030, avec des estimations comprises entre 15 GW et 62 GW (EREC/Greenpeace, 2010). Enfin, l'énergie géothermique est aussi prometteuse avec un potentiel estimé entre 7 GW et 15 GW (AU-RGP, 2010), mais cette ressource reste limitée pour l'essentiel aux pays de la Vallée du Rift (Afrique de l'Est). De nombreux projets d'EnR sont en cours de développement (voir encadré) et ils sont le plus souvent soutenus par des producteurs indépendants. Ainsi, 98 % des capacités solaires (64% hors Afrique du Sud) et plus de 90% des MW éoliens en phase de développement émanent de producteurs privés. Ces projets se développent toutefois presque exclusivement dans les pays où sont déjà présents des producteurs indépendants ou qui disposent déjà de capacités en EnR.

projets d energies renouvelables en afrique subsaharienne

La compétitivité des projets d'énergies renouvelables

Les EnR sont souvent perçues comme trop coûteuses, en raison notamment de coûts d'investissement élevés. Or, elles sont déjà compétitives en réseau isolé et ont atteint dans bien des cas, sur le réseau, la parité avec le coût moyen de production électrique. C'est le cas pour les énergies de stockage comme l'hydroélectricité et la géothermie, mais également pour les énergies intermittentes comme l'éolien et le solaire. Les pays d'Afrique subsaharienne présentent une grande variété de situations en ce qui concerne le coût du mix de production. Certains ont accès à des ressources peu chères (potentiel hydroélectrique en Éthiopie, Guinée, Cameroun, RDC ; réserves de charbon en Afrique du Sud) et disposent donc d'un mix de production très compétitif. Ici, l'intérêt économique des EnR est faible, sauf dans une logique de diversification de la production – pour pallier, par exemple, le risque de périodes de sécheresse prolongées en cas de forte dépendance à l'hydroélectricité. D'autres pays ont un mix de production basé sur les énergies fossiles, en particulier le pétrole (pays du Sahel notamment). Pour ceux-là, les EnR représentent l'alternative la moins chère. De nombreux pays ayant des ressources en gaz (Côte d'Ivoire) se trouvent dans une situation intermédiaire. La perception d'une énergie renouvelable chère est d'autant plus erronée que les énergies fossiles bénéficient de nombreux mécanismes de subvention qui masquent un coût réel beaucoup plus élevé. De plus, les coûts de l'électricité d'origine fossile présentent une tendance haussière et sont soumis à une forte volatilité – les EnR sont, elles, globalement à la baisse et permettent d'assurer sécurité et indépendance énergétiques. Les EnR se caractérisent par une structure de coûts très capitalistique : les coûts de développement (liés notamment à l'évaluation de la ressource) et d'investissements sont importants, alors que les coûts d'exploitation sont très faibles. La rentabilité de ces projets s'en trouve donc différée. L'évaluation de leur intérêt économique par rapport aux énergies fossiles doit se faire sur une période longue (15 à 20 ans) et selon des critères adéquats : coût moyen de production actualisé du kWh pour les projets hydroélectriques ou géothermiques ; méthode dite des « coûts variables évités» ³  pour les énergies intermittentes, etc.  Au vu de sa nature capitalistique, le coût du financement (dette et rémunération des fonds propres) est déterminant pour la compétitivité d'un projet d'EnR.

Conditions spécifiques à l'émergence des énergies renouvelables

Pour faciliter l'émergence de tels projets, les pays d'Afrique subsaharienne doivent tout d'abord prendre conscience du potentiel, de la compétitivité et des avantages des EnR. Il faut aussi qu'ils se dotent d'une réelle planification en amont, intégrant les EnR dans leur plan directeur. La plupart des pays d'Afrique subsaharienne se sont fixé des objectifs de taux de pénétration des EnR dans leur mix énergétique à horizon 10 ou 15 ans. C'est un signal politique fort, mais insuffisant : les objectifs doivent être traduits en capacité de production et aboutir à la sélection de premiers projets et de sites prioritaires à développer. La planification doit intégrer aussi les contraintes techniques liées à l'injection d'énergies intermittentes (éolien, solaire) sur le réseau. Elle sera d'autant plus pertinente qu'elle s'appuiera sur une cartographie des énergies renouvelables permettant de déterminer le potentiel du pays mais également la localisation et la taille optimale des projets. Cette planification permettra aux gouvernements de mieux gérer la multiplication d'initiatives privées et de passer d'une approche par l'offre à une approche par la demande. Il existe à ce jour trop peu d'approches intégrées en Afrique subsaharienne – l'Afrique du Sud faisant plutôt figure d'exception. Dans le cadre de sa planification, l'État doit également proposer un mode de structuration (maîtrise d'ouvrage publique ou privée), fixer les règles d'appel à la concurrence (appels d'offres, appels à projets ou d'attribution de concessions de gré à gré) et les modalités éventuelles de soutien à la filière. Plusieurs pays d'Afrique subsaharienne ont développé des politiques de soutien spécifiques aux EnR. Le plus avancé, l'Afrique du Sud, a mis en place un programme d'appel à projets dont l'ampleur et la solidité attire de nombreux développeurs et investisseurs potentiels. Le Kenya a mis en place dès 2008 un mécanisme de tarifs de rachat subventionnés qui a rencontré un succès mitigé dû à un tarif trop peu incitatif. D'autres pays comme l'Ouganda, la Tanzanie et le Rwanda (projets hydroélectriques) ont suivi ou y réfléchissent (Ghana, Botswana). Les mécanismes reposant sur des tarifs de rachat subventionnés ou sur des appels à projets semblent intéressants pour des pays à fort potentiel. Ils sont plus difficiles à répliquer pour des marchés de petite taille : leur mise en place est lourde et il est difficile de fixer un tarif de rachat « juste » – à la fois attractif et stable dans le temps. Pour faciliter l'émergence de projets d'EnR, certains pays pourrait mettre en place une période de transition (trois à cinq ans) où certains projets pourraient être octroyés de gré à gré (si la loi le permet), sur la base d'autorisations ou d'une sélection préalable – en attendant qu'une réglementation spécifique aux producteurs indépendants ou aux EnR soit établie. Cette approche pourrait à la fois permettre de répondre aux nombreux projets à l'initiative du secteur privé tout en les encadrant.

L'importance d'un soutien en amont

Les promoteurs privés aujourd'hui présents en Afrique subsaharienne ne peuvent se prévaloir d'une expertise spécifique en matière d'EnR. Les spécialistes, eux, sont de petits développeurs, à l'assise financière réduite et sans expérience de la sous-région. Une offre de financement ciblant les énergies renouvelables serait de nature à permettre leur développement à plus grande échelle. Cependant, les initiatives ne visent pas explicitement les projets privés, sont d'une portée souvent plus large (le changement climatique) et sont peu connues des développeurs. L'appui durant la phase amont apparaît particulièrement déterminant. C'est sur ce terrain que les institutions financières de développement peuvent contribuer à l'émergence des projets, par exemple en s'associant à des fonds africains qui commencent à se développer sur ce segment.Pour favoriser son développement, les spécificités relatives à une EnR considérée doivent être prises en compte. Longue, coûteuse et risquée, la phase d'exploration d'un gisement géothermal est par exemple traditionnellement financée sur fonds propres par le développeur. Cela constitue un facteur limitant, malgré les qualités de cette ressource. Plusieurs initiatives tentent de favoriser l'émergence de ces projets. Ainsi, le Kenya a créé en 2009 la Geothermal Development Company. Cette structure publique a pour vocation de porter le risque d'exploration, mais aussi de vendre la vapeur des puits dont il aura assuré le développement à des promoteurs de centrales géothermiques (privées ou publiques). Cela permet à ces derniers de se concentrer sur l'exploitation sans supporter le risque d'approvisionnement. D'autre part, des programmes4 visent, à l'échelle des pays concernés par ce type d'énergie, à mettre en place des mécanismes d'assurance destinés à indemniser partiellement les développeurs en cas d'échec durant la phase d'exploration. Pour soutenir en amont les projets d'EnR, plusieurs voies sont possibles : enveloppe d'assistance technique dédiée, fonds publics affectés, rationalisation de l'offre existante et mutualisation des facilités offertes par les bailleurs. Une mise en place rapide de solutions est critique pour exploiter le potentiel des EnR en Afrique subsaharienne. Par son effet démonstratif, le succès des premiers projets devrait permettre de crédibiliser le modèle et de catalyser l'investissement, en limitant à l'avenir le recours à ces mécanismes de soutien.

 

1 L'appellation EnR dans cet article recouvre l'hydroélectricité, la géo-thermie, l'éolien et le solaire. 
2 Estimations des auteurs, étant considéré qu'une portion de cette capacité installée n'est pas opérationnelle et requiert des travaux de remise en état.
3 Comparant le coût de revient du kWh d'EnR aux coûts variables (essentiellement celui des combustibles pour le thermique) des centrales dont la production est substituée.
4  African Rift Geothermal Development Program de la Banque mondiale ou Geothermal Risk Mitigation Facility de l'Union africaine et KfW.  

 

RÉFÉRENCES:
AU-RGP, 2010. The East African Rift System (EARS) Geothermal Energy Resource Development, The African Union Commission, Addis Abeba. Avril 
EREC/Greenpeace, 2010. Energy [r]evolution: A sustainable global energy outlook. Bruxelles, Belgique /Amsterdam, Pays-Bas. 
IRENA, 2012. Prospects for the African Power Sector: Scenarios and strategies for Africa Project. Abu Dhabi 
Nodalis/Axenne, 2013. Étude sur le montage des projets photovoltaïques en Afrique subsaharienne. 
Nodalis/Equilao, 2012. Étude sur le montage des projets éoliens en Afrique subsaharienne. 
Tractebel Engineering GDF-Suez, 2012. Étude sur le Développement de l'hydroélectricité de moyenne et petite puissance en Afrique subsaharienne.

 

Téléchargez l'intégralité du numéro Secteur Privé & Développement "Les producteurs privés d'électricité : une solution pour l'Afrique ?"

Astrid Jarrousse

Chargée d’affaires, division Infrastructures et mines
Proparco

Parcours

Astrid Jarrousse structure et met en place des projets de financement, en particulier dans le secteur de l'énergie et des transports. Diplômée de Science Po Paris et de l'EPSCI, après une expérience de conseil chez Eurogroup, elle rejoint le groupe AFD en 2007.

Grégor Quiniou

Responsable adjoint, division Infrastructures et mines
Proparco

Parcours

Grégor Quiniou a développé une expertise de plus 15 ans  en conseil et en financements structurés au sein de la Société Générale puis de Proparco, qu'il a rejoint en 2010. Il a arrangé plusieurs transactions dans le domaine des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique.

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Stéphanie Mouen

Chef de projets, division Transports et énergies durables
Agence française de développement (AFD)

Parcours

Stéphanie Mouen a rejoint le groupe AFD après une expérience de dix ans en financements structurés à la Société Générale. Depuis huit ans, elle travaille plus particulièrement sur le secteur de l'énergie en Afrique – tout d'abord à Proparco puis à l'AFD.

Agence française de développement (AFD)

L’Agence française de développement (AFD) contribue à mettre en œuvre la politique de la France en matière de développement et de solidarité internationale. À travers ses activités de financement du secteur public et des ONG, ses travaux et publications de recherche (Éditions AFD), de formation sur le développement durable (Campus AFD) et de sensibilisation en France, elle finance, accompagne et accélère les transitions vers un monde plus juste et résilient. Ses équipes sont engagées dans plus de 3 250 projets sur le terrain, dans les Outre-mer, dans 115 pays et dans les territoires en crise, pour les biens communs – le climat, la biodiversité, la paix, l’égalité femmes-hommes, l’éducation ou encore la santé.

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