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Au Ghana, le développement du crédit immobilier est entravé par l’insuffisance de l’offre immobilière et l’absence d’un marché financier solide. Pour répondre à une demande croissante, le gouvernement et les autorités de régulation doivent poursuivre leurs efforts pour améliorer l’environnement de marché. C’est une condition essentielle pour permettre au plus grand nombre d’acquérir un logement.

Le Ghana, comme beaucoup de pays d’Afrique subsaharienne, présente un important déficit de logements. Il manquerait plus d’un million de logements dans le pays, un chiffre qui croit chaque année de 70 000 unités (ONU-Habitat, 2011). Une grande partie de cette demande provient des populations à faibles revenus. En 2010, une nouvelle politique nationale du logement a été adoptée pour encourager le secteur privé à investir sur toutes les catégories de logement. Des exonérations fiscales temporaires et des garanties financières ont notamment été accordées dans ce cadre aux promoteurs immobiliers, ainsi que des exonérations fiscales sur les machines et équipements importés pour la construction de logements. Les effets à long terme de ces mesures restent encore toutefois à démontrer. En effet, les promoteurs immobiliers privés contribuent à seulement 10 % de l’offre totale de nouveaux logements. Peu de Ghanéens ont les moyens d’acquérir leur propre logement ; la majorité d’entre eux n’a pas accès à des prêts immobiliers.
le ghanaLa plupart des banques délaissent le marché des prêts immobiliers. Elles préfèrent se concentrer sur les placements et crédits à court terme qui offrent de meilleurs rendements et requièrent moins de capitaux. Sur les 26 banques que compte le Ghana, seules quatre proposent officiellement des prêts immobiliers. Le portefeuille total de prêts immobiliers représentait en 2013 environ 180 millions de dollars (Figure) pour moins de 6 000 emprunteurs.

 

Un modèle économique adapté au marché ghanéen

Ghana Home Loans (GHL) a été fondée en 2006 sous forme d’institution financière non bancaire (IFNB), spécialisée dans le financement immobilier. Seule société de ce type au Ghana, GHL a pour mission de répondre à la forte demande de prêts immobiliers. Son portefeuille s’élève à 84 millions de dollars, tandis que sa part de marché a atteint environ 50 % en seulement quelques années. GHL a été conçue sur le modèle de South African Home Loans (SAHL), une IFNB sud-africaine spécialisée dans les prêts immobiliers. Les deux structures ont été soutenues par le même actionnaire, Standard Bank. Le statut d’IFNB a été privilégié en raison des exigences relativement faibles en matière de capital de démarrage. Ce statut permet aussi d’offrir des services plus efficaces et mieux adaptés aux besoins des clients (Encadré). Il n’y avait pas par ailleurs d’intérêt immédiat à opter pour le statut bancaire étant donné le manque d’épargne à long terme au Ghana.

La force du modèle non bancaire sud-africain

En Afrique du Sud, le marché du financement de l’immobilier est dominé par les grandes banques commerciales (Nedbank, ABSA, Standard Bank and FNB) qui détiennent 90 % de part de marché. Leur position privilégiée s’explique entre autres par la taille de leur bilan, leur réseau d’agences étendu et par une large offre de produits. Bien qu’ils ne puissent assurer leur refinancement qu’au travers de mécanismes de titrisation, les institutions financières non bancaires (IFNB) de crédit immobilier comme SAHL et Interger sont capables de concurrencer ces grands établissements bancaires. C’est notamment grâce à un profil mono-produit qui leur permet notamment de fournir un service plus rapide, sans avoir à supporter les coûts de gestion d’un réseau d’agences. La pérennité des IFNB dans les économies plus matures, comme la Grande-Bretagne, montre la pertinence de ce modèle. La forte croissance du marché des crédits immobiliers sur le continent africain devrait permettre sur la plupart des marchés la coexistence de banques et d’IFNB.

GHL proposait à l’origine des crédits pour l’achat de biens immobiliers déjà construits. Ce segment représente aujourd’hui 82 % de son portefeuille. GHL propose également des prêts destinés à l’acquisition d’un terrain, à la construction ou l’achèvement d’une maison, ainsi que des prêts hypothécaires. Depuis ses débuts, GHL a décaissé plus de 115 millions de dollars de prêts à 1 600 ménages. Le prêt moyen s’élève à 69 000 dollars, soit plus de 50 fois le montant du revenu moyen par habitant (Banque mondiale, 2013). La société possède des actifs de grande qualité avec un taux de prêts non performants inférieur à 3 % du portefeuille de crédit.

En l’absence d’un marché financier mature donnant accès à des ressources à long terme en monnaie locale et permettant la mise en place de mécanismes de titrisation (Encadré), le seul moyen pour GHL d’exercer son activité est de se refinancer à long terme en dollars auprès d’institutions financières de développement. Dans ce contexte, GHL se voit contrainte de prêter en dollars, alors même que la moitié de ses emprunteurs perçoit des revenus en cédis, la monnaie locale. Ces derniers doivent donc faire face à un risque de change, avec un cédi qui perd chaque année 13 % de sa valeur. Pour protéger les emprunteurs d’une dévaluation plus importante que prévue, GHL a mis en place un dispositif les encourageant à verser en monnaie locale un complément d’environ 10 % au montant de leurs mensualités. Ils se constituent ainsi une réserve qu’ils peuvent utiliser pour continuer à honorer leurs remboursements en cas de dévaluation du cédi.

La titrisation comme moyen de refinancement

La titrisation est un processus par lequel un prêteur crée un lot homogène de prêts immobiliers et utilise les flux de trésorerie qui en résultent comme garantie pour émettre des titres (obligations) vendus à des investisseurs locaux ou internationaux. La valeur de ce portefeuille est souvent plus élevée (souvent de 10 %) que le montant levé par l’émission obligataire. Agences de notation de crédit, juristes et comptables évaluent le portefeuille pour garantir aux acheteurs que les prêts vendus ne sont pas des prêts non performants. La société de crédit immobilier peut utiliser la titrisation pour obtenir davantage de liquidités et ainsi prêter davantage tout en optimisant sa solvabilité. L’établissement prêteur gère aussi les prêts au nom des investisseurs contre rémunération. Les investisseurs trouvent ainsi un adossement en termes de maturité entre leur passif (le plus souvent des pensions à long terme) et leur actif (les produits tirés des titres).

S’il est évidemment risqué d’emprunter en dollars, c’est pourtant la seule façon pour les Ghanéens d’acquérir une propriété. C’est aussi un moyen de bénéficier de taux d’intérêt inférieurs à ceux des emprunts en monnaie locale, qui peuvent atteindre 30 % par an. Ils n’en restent pas moins élevés et peuvent atteindre 14 %. De fait, les produits de GHL sont donc plus accessibles à la catégorie des revenus intermédiaires. GHL ambitionne néanmoins de pouvoir cibler à l’avenir les populations à plus faibles revenus.

Les défis spécifiques du secteur ghanéen du logement

Au Ghana, le marché du crédit immobilier est encore balbutiant. Avec un portefeuille total de prêts immobiliers de 180 millions de dollars, il est nettement moins développé qu’en Afrique du Sud (environ 170 milliards de dollars). Cette différence de taille est notamment liée à la maturité des secteurs du logement dans les deux pays. Au Ghana, le parc de biens immobiliers disponibles à la vente est très limité alors qu’en Afrique du Sud, ce marché est important et lui-même soutenu par un vaste réseau d’agents immobiliers – ce qui permet aux sociétés de crédit immobilier d’atteindre plus facilement et plus rapidement une taille critique. Au Ghana, les agents immobiliers restent encore très informels, en dépit de l’entrée récente sur le marché de professionnels comme Broll et JHI. Par ailleurs, l’achat d’une propriété est perçu par les Ghanéens comme un moyen de se loger plutôt qu’un investissement, une vision qui freine le développement d’un marché secondaire. Pourtant, l’essor d’un tel marché est indispensable pour que les acteurs du crédit immobilier se développent. Le secteur des prêts immobiliers sud-africain a aussi été stimulé grâce à des mesures qui facilitent le changement d’établissement de crédit lorsque les taux d’intérêt proposés sont plus avantageux. SAHL a ainsi pu décaisser un milliard de dollars de prêts immobiliers sur trois ans (contre 100 millions de dollars en plus de cinq ans pour GHL). Par ailleurs, les IFNB sudafricaines bénéficient d’un marché financier sophistiqué et profond qui leur permet d’avoir recours à la titrisation, ceci depuis 1989. En ayant recours aux marchés financiers, ces institutions peuvent ainsi obtenir des fonds en monnaie locale à des conditions de taux similaires à celles des banques. GHL n’a pas ce privilège. Son modèle de financement passe par la négociation de lignes de crédit à long terme avec des institutions financières de développement. Le marché des capitaux étant peu développé et peu liquide au Ghana, GHL n’est pas aujourd’hui en mesure de diversifier ses sources de financement. Par ailleurs, un cadre juridique et réglementaire pour la titrisation reste à construire.

Au Ghana, comme dans de nombreux pays en développement, les établissements de crédit immobilier doivent faire face à de nombreuses difficultés telles qu’une offre de logements inadéquate, des processus de crédit inadaptés et peu sophistiqués ainsi que des retards dans l’enregistrement des titres de propriété comme hypothèques. Ils doivent également faire face à des difficultés dans la réalisation des sûretés. A cela, s’ajoute le manque de mesures incitatives de la part de l’État en faveur du logement.

Perspectives pour le secteur du crédit immobilier au Ghana

Depuis peu, l’environnement du marché du crédit immobilier au Ghana présente des signaux positifs d’amélioration. Des centrales des risques ont fait leur apparition et fournissent des informations sur l’historique de crédit des emprunteurs. Une nouvelle législation a permis de réduire la durée du processus de saisie immobilière de 18 à 3 mois. Un nouveau dispositif de gestion des titres de propriété permet leur enregistrement en ligne auprès de la banque centrale (avant 2010, une telle opération pouvait prendre jusqu’à 18 mois). Par ailleurs, la maturité des obligations libellées en monnaie locale est passée de cinq à sept ans, les autorités publiques et le régulateur faisant du développement d’un marché obligataire viable une priorité. La réforme des retraites a permis d’ouvrir au secteur privé la gestion de fonds de pension, et commence à lui donner accès à des ressources à long terme. C’est dans ce contexte que GHL s’efforce de construire avec les parties prenantes du secteur un cadre approprié pour la titrisation. Bien que des avancées considérables aient été réalisées, les autorités publiques pourraient envisager de subventionner les promoteurs immobiliers – sous forme d’allégements fiscaux par exemple – en vue de réduire les coûts d’accès à la propriété, notamment pour les populations à faibles revenus. D’autres réformes doivent aussi être menées d’urgence : il est nécessaire d’instaurer un cadre légal et réglementaire pour la titrisation, d’accélérer les possibilités de transfert des titres de propriété et de mettre en place des processus efficients pour autoriser les saisies immobilières. Comme pour beaucoup d’économies émergentes, le Ghana ne pourra développer un marché des crédits immobiliers viable que lorsque le marché obligataire en monnaie locale sera suffisamment développé, liquide, et réglementé tout en étant capable d’offrir des ressources à long terme. Il est par ailleurs indispensable de concevoir un cadre juridique et fiscal solide et de mettre en place un environnement institutionnel adapté – avec par exemple l’appui d’agences de notation de crédit.

L’expérience de GHL montre que la demande de prêts immobiliers est très forte au Ghana et que la plupart des emprunteurs sont solvables. Il faut donc poursuivre les efforts visant à créer un environnement favorable au crédit immobilier. C’est une condition essentielle à la baisse des taux d’intérêt – qui, à son tour, contribuera à améliorer l’accès au crédit immobilier pour toutes les catégories de revenus.

 

Références / Banque mondiale, 2013. Ghana at a glance 2013 disponible sur http://devdata.worldbank.org/AAG/gha_aag.pdf // Ghana Home Loans, 2013. Étude interne sur la concurrence. // ONU-Habitat, 2011. Affordable Land and Housing in Africa. Nairobi. Disponible sur http://www.unhabitat.org/pmss/listItemDetails.aspx?publicationID=3376

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