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Des études montrent que l'enseignement privé peut favoriser de bons résultats scolaires. Ses atouts : une plus grande autonomie propice à l'innovation pédagogique et à l'implication des parents. Mais, pour assurer la qualité et l'équité de son offre, un solide cadre réglementaire est indispensable. Les acteurs privés doivent être redevables auprès des pouvoirs publics, mais aussi des parents d'élèves.

Si les gouvernements des pays émergents et en développement veulent scolariser les 57 millions d'enfants qui n'ont pas actuel­lement accès à l'éducation tout en veillant à ce que les 250 millions d'enfants scolarisés qui ne savent pas lire ou écrire acquièrent des connais­sances, toutes les options en matière d'éduca­tion doivent être considérées. Même si les États pilotent – et doivent continuer à piloter – les sys­tèmes éducatifs, il est important de reconnaître et comprendre le potentiel du secteur privé et sa contribution considérable à l'offre de services éducatifs.

Associer le secteur privé soit à des organisations non gouvernementales (ONG) assurant l'accès des populations marginalisées à l'éducation soit à des écoles privées de qualité n'accueillant que de riches élèves est trop simpliste. Les familles défavorisées sont en réalité de plus en plus nom­breuses à inscrire leurs enfants dans le privé (Bold et alii, 2011). C'est bien souvent par choix, et non par nécessité, qu'elles optent pour un établisse­ment privé : elles recherchent dans certains cas une alternative aux défaillances des écoles pu­bliques, ou encore un système scolaire plus réactif et plus à même de leur rendre des comptes, ou une éducation reflétant mieux leurs intérêts et leurs valeurs.

Entre 1990 et 2010, le pourcentage d'élèves fré­quentant des écoles primaires privées dans les pays à faible revenu a doublé, passant de 11 % à 22 % (Baum et alii, publication à venir). Dans plus de 70 pays, plus d'un cinquième des élèves du pri­maire et du secondaire sont inscrits en écoles pri­vées (Banque mondiale, 2013).

 

Les modalités de participation du secteur privé

Le secteur privé (ou secteur non public) dans l'éducation regroupe à la fois des ONG indépen­dantes et communautaires, des organisations confessionnelles, des syndicats, des sociétés pri­vées à but lucratif, des petits prestataires infor­mels et même des praticiens individuels. Les arguments en faveur de son intervention sont d'améliorer les résultats scolaires et de démocrati­ser l'accès à l'enseignement. Le secteur privé peut accroître les ressources financières disponibles pour l'éducation et compléter les capacités des ins­titutions publiques pour absorber une demande croissante (Encadré 1). En outre, il semble mieux à même de satisfaire les demandes de différencia­tion croissantes émanant de groupes spécifiques, notamment religieux.

Pour bien appréhender le rôle que le secteur privé peut jouer et en apprécier les bénéfices potentiels, il est indispensable de comprendre comment il collabore avec l'État. Les autorités peuvent op­ter pour différents modèles : des écoles privées indépendantes, des écoles privées subvention­nées, des écoles à gestion privée, des écoles fonc­tionnant avec des chèques éducation. Les écoles privées indépendantes sont détenues, financées et gérées séparément de l'État. Les écoles pri­vées subventionnées sont gérées par des acteurs privés mais soutenues financièrement par les États (paiements directs, bourses, subventions, matériel scolaire, etc.). Les écoles à gestion privée sont financées par le gouvernement mais gérées par des entités privées ; ces écoles sont souvent tenues, par contrat, à atteindre un certain niveau de performance et de résultats. Dans les programmes de chèques édu­cation, les opérateurs privés sont rémunérés en fonction du nombre d'élèves inscrits.

 

La valeur ajoutée de l'enseignement privé

La participation du secteur privé peut contribuer à renforcer les compétences pédagogiques, tech­niques et de gestion à tous les niveaux d'ensei­gnement. Sa plus grande flexibilité, en matière de gestion notamment, lui permet d'introduire plus facilement des innovations dans les pro­grammes ainsi que de meilleures techniques d'évaluation. Des études montrent que les résul­tats des élèves scolarisés en écoles privées sont égaux ou supérieurs à ceux des élèves des écoles publiques (Encadré 1). Dans la région de l'Andhra Pradesh en Inde, par exemple, une école fonc­tionnant avec des chèques éducation a permis à l'État d'économiser plus des deux tiers de l'allo­cation par élève. Par ailleurs, même si les élèves consacrent moins de temps aux mathématiques et aux langues et que leurs professeurs ont des niveaux de formation inférieurs à leurs pairs des écoles publiques, les résultats scolaires sont glo­balement meilleurs dans toutes les matières. Les journées et l'année scolaire y sont plus longues, les classes moins surchargées, le taux d'absen­téisme des professeurs plus faible et le temps dé­dié à d'autres matières –comme l'anglais, l'hindi, les sciences et les sciences sociales – plus impor­tant (Muralidharan et Sundararaman, 2013).

 

Des recherches sur les effets du secteur privé dans l'éducation

De 1990 à 1999, 8 000 nouvelles écoles privées s'adressant à toutes les catégories de population ont été créées au Pakistan. Pour les plus défavorisés vivant en milieu rural, la part des écoles privées a augmenté de 6 %. Des études montrent que la participation du secteur privé dans l'éducation a contribué à augmenter la scolarisation de ces populations (Andrabi et alii, 2006). Au Kenya, les écoles privées informelles, low cost ou abordables ont une forte incidence sur les résultats scolaires ; pourtant, deux tiers d'entre elles coûtent moins cher que les écoles publiques (Bold et alii, 2011). En 2000, le gouvernement de Bogota (Colombie) a construit 25 écoles ultramodernes dans les quartiers les plus pauvres de la ville et en ont attribué la concession pour 15 ans, par appels d'offre, à des entreprises privées. Les évaluations montrent que les 26 000 élèves de ces écoles sont moins susceptibles d'abandonner leur scolarité et que leurs résultats se sont améliorés (Barrera, 2007). Le programme d'enseignement primaire de BRAC, une ONG de développement bangladeshie, a pris une ampleur croissante au cours des 20 dernières années. Aujourd'hui, il compte plus de 20 000 écoles maternelles et 32 000 écoles primaires qui accueillent plus de 1,5 million d'enfants – soit 11 % des effectifs nationaux du primaire. L'enseignement délivré est le même que dans le public, mais ces écoles arrivent à scolariser et retenir des enfants habituellement difficiles à atteindre – comme les filles, qui représentent 65 % de leurs élèves.

 

D'autres études montrent que les opérateurs privés peuvent être plus efficaces en matière de coûts, tout en parvenant aux mêmes résultats – voire meilleurs – que leurs homologues du public. Il a également été démontré que l'implication des parents dans les écoles privées a des effets positifs sur l'acquisition de connaissances, sur la motivation des enseignants et sur l'assiduité des élèves. En outre, l'engagement des familles et des communautés amène les écoles à rendre davan­tage de comptes. Le fait que les parents soient libres de choisir ou de changer d'école créée im­plicitement un mécanisme de redevabilité.

 

Le besoin d'une règlementation stricte

La participation du secteur privé dans l' éduca­tion requiert un solide cadre réglementaire pour garantir la qualité et l'équité de son offre, tout en encourageant l'investissement et la concurrence. Trop souvent, la réglementation est peu déve­loppée et décourage les investissements privés. L'établissement de normes est essentiel pour assurer la pérennité de l'enseignement privé et sa crédibilité sur les marchés.

La perception de la qualité de l'enseignement est fondamentale et peut être aisément altérée – un opérateur privé de qualité médiocre peut porter préjudice à l'ensemble du secteur.

Le programme « Participation du secteur privé » (Engaging the Private Sector) de l'initiative de la Banque mondiale SABER (Systems Approach for Better Education Results) aide les États à mettre en place un environnement réglementaire solide ou à le renforcer. L'accent est mis sur quatre do­maines clés pour renforcer la qualité des services et la redevabilité des acteurs : encourager l'inno­vation ; amener les écoles à rendre des comptes ; responsabiliser les parents, les élèves et les com­munautés ; enfin, promouvoir la diversité de l'offre éducative.

Dans l'approche de la Banque mondiale, la ques­tion de l'autonomie est centrale. Il a en effet été démontré que l'autonomie des établissements scolaires améliore les résultats scolaires que ce soit en école publique ou privée – les systèmes éducatifs donnant les meilleurs résultats étant ceux qui autorisent les établisse­ments scolaires à décider librement de leurs pratiques de recrutement, de leurs programmes d'enseigne­ment et de l'allocation des res­sources. Donner à l'école un pou­voir de décision permet la création d'un environnement scolaire mieux adapté aux besoins des élèves (Hanushek, Link et Woessman, 2013 ; Bruns, Filmer et Patrinos, 2011 ; Baum et alii, publication à venir). Mais, pour s'assurer de la qualité des enseignements, l'autonomie doit aller de pair avec une redevabi­lité renforcée des établissements – par le biais de normes et de sanctions (Bruns, Filmer et Patri­nos, 2011 ; Carnoy et alii, 2008) en cas de non-respect des normes.

Dans un environnement réglementaire rigoureux, les acteurs privés doivent être à la fois redevables auprès des pouvoirs publics, mais aussi des pa­rents, des élèves et des communautés. Cela sup­pose que les parents soient au courant de ce qui se passe dans l'école de leurs enfants et qu'ils soient capables, quel que soit leur milieu socio-écono­mique, de faire entendre leur voix.

Les États devraient également autoriser un large éventail de prestataires à entrer sur le marché et as­surer la disponibilité d'informations fiables sur les établissements – pour permettre aux citoyens de faire des choix éclairés sur l'école de leurs enfants (Baum et alii, publication à venir). La mise à disposi­tion d'informations est également essentielle pour qu'ils puissent réclamer des changements dans les écoles. Tout cela repose cependant sur la capacité fi­nancière et humaine des pouvoirs publics à contrô­ler et à faire appliquer les normes (Encadré 2).

 

Encourager la conformité règlementaire : la fondation pour l'éducation du Pendjab

La mise en place d'incitations (subventions, formation, accès au crédit, etc.) à destination du secteur privé pour les encourager à respecter les règlementations peut s'avérer extrêmement efficace (Patrinos et alii, 2009). Lancées en 2005, les écoles subventionnées (Foundation Assisted Schools) de la Fondation pour l'éducation du Pendjab (Punjab Education Foundation) qui accueillent 1,2 million d'élèves défavorisés en sont un parfait exemple. Les écoles qui veulent entrer dans le programme font d'abord l'objet d'une évaluation sur leur qualité et leur rapport coût-efficacité ; après sélection, les établissements reçoivent une subvention mensuelle par élève jusqu'à concurrence de 500 élèves, à condition de supprimer les critères d'admissibilité et les droits d'entrée. Les subventions sont conditionnées aux résultats scolaires ; les écoles sortent du programme si elles n'atteignent pas un taux de réussite minimal à l'issue de deux tests consécutifs. La menace qui pèse sur les écoles qui échouent au test pour la première fois a un effet d'entrainement positif sur les résultats. Les études montrent que ce programme a un impact positif, entre autres, sur le nombre d'élèves, de professeurs et de salles de classe (Barrera-Osorio et Raju, 2010-2011).

L'éducation est un droit humain fondamental. Les États ont la responsabilité de le garantir et de le protéger. Mais cela ne signifie pas qu'ils doivent être les seuls « fournisseurs ». Un bon système édu­catif reconnait à la fois le rôle des acteurs publics et privés et dispose de mécanismes de reddition de comptes efficaces. Dans ce contexte, les innova­tions doivent être encouragées et soumises à de sé­rieuses évaluations – les résultats qui en découlent pourront permettre d'adapter les programmes en cours et les projets pilotes réussis pourront être développés à grande échelle.

 

1 Les idées exprimées dans cet article ne peuvent être attribuées qu'à leurs seuls auteurs et n'engagent ni la Banque mondiale, ni les pays qui en sont membres.

 

Références

Andrabi, T., Das, J., Khwaja, A.I., 2006. A Dime a Day: The Possibilities and Limits of Private Schooling in Pakistan. World Bank Policy Research Working Paper 4066. Washington, États-Unis. // Banque mondiale. 2013. Statistiques : ww.worldbank.org/education/edstats (avril 2014). // Barrera-Osorio, F., 2007. The impact of private provision of public education: empirical evidence from Bogota's concession schools. World Bank Policy Research Working Paper 4121. Washington, États-Unis. // Barrera-Osorio, F., 2011. Evaluating public per-student subsidies to low-cost private schools: regression-discontinuity evidence from Pakistan. World Bank Policy Research Working Paper 5638, Washington, États-Unis. // Baum, D., Lewis, L., Lusk-Stover, O., Patrinos, H.A., publication à venir. What Matters Most for Engaging the Private Sector in Education: A Framework Paper. SABER Working Paper Series. Banque mondiale, Washington, États-Unis. // Bold, T., Kimenyi, M., Mwabu, G., Sandefur, J., 2011. The High Return to Private Schooling in a Low-Income Country. Working Papers 279, Center for Global Development, Washington, États-Unis. // Bruns, B., Filmer, D., Patrinos, H.A., 2011. Making Schools Work: New Evidence on Accountability Reforms. Banque mondiale, Washington, États-Unis. // Carnoy, M., Gove, A. K., Loeb, S., Marshall, J. H., Socias, M., 2008. How Schools and Students Respond to School Improvement Programs: The Case of Brazil's PDE. Economics of Education Review 27(1). Elsevier, Amsterdam, Netherlands. // Hanushek, E., Link, S., Woessmann, L., 2013. Does school autonomy make sense everywhere? Panel estimates from PISA. Journal of Development Economics, n°104, pages 212-232. Elsevier, Amsterdam, Pays-Bas. // Muralidharan, K., Sundararaman V., 2013. The Aggregate Effect of School Choice: Evidence from a Two-stage Experiment in India. NBER Working Papers 19441. Cambridge, États-Unis. // Patrinos, H.A., Barrera-Osorio, F., Guaqueta, J., 2009. The Role and Impact of Public-Private Partnerships in Education. Banque mondiale, Washington, Etats-Unis.

Oni Lusk-Stover

Responsable des opérations
Banque mondiale

Parcours

Oni Lusk-Stover dirige à la Banque mondiale le programme « Participation du secteur privé » de l'initiative SABER (Systems Approach for Better Education Results). Elle est également responsable du Partenariat pour le développement de l'éducation qui soutient la recherche sur les résultats en éducation. Elle mène par ailleurs des études sur les moyens de lutter contre les sources d'inégalité éducative.

Harry Anthony Patrinos

Spécialiste de la gestion des écoles
Banque mondiale

Parcours

Harry A. Patrinos est spécialiste de la gestion des écoles, de l'évaluation des impacts et des partenariats public-privé dans le domaine de l'enseignement. Il dirige l'Education Human Development Network à la Banque mondiale. Il supervise à ce titre le travail d'élaboration des concepts et des stratégies utilisés dans le cadre des programmes nationaux et de l'appui aux politiques sectorielles d'éducation.

Banque mondiale

Le groupe de la Banque mondiale est une des plus grandes sources de financement et d'expertise  pour les pays en voie de développement. Le groupe comprend 5 institutions étroitement associées : la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développent (BIRD) et de l'Association Internationale pour le Développement (AID), la Société Financière Internationale (SFI), l'Agence Multilatérale de Garantie des Investissements (AMGI), et le Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements (CIRDI). Chaque institution joue un rôle important dans la lutte contre la pauvreté et l'amélioration des conditions de vie des populations vivant dans les pays en voie de développement. Pour de plus amples informations vous pouvez visiter nos sites www.worldbank.org, www.miga.org, et  www.ifc.org.    

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