
Les financements actuels, publics et privés, bilatéraux et multilatéraux, ne suffisent pas à limiter le réchauffement climatique à 2°C par rapport à l’ère préindustrielle. Pour réussir la transition vers des sociétés sobres en carbone et résilientes au changement climatique, il faut changer d’échelle, de paradigme énergétique et questionner nos modèles de développement. Les finances publiques doivent soutenir massivement les projets les plus durables et encourager la redirection des flux d’investissements privés vers des investissements à co-bénéfice climat.
Depuis l’époque préindustrielle, la concentration du CO2 dans l’atmosphère a augmenté de 40 %. Cette augmentation et le changement climatique observé depuis les années 1950 ne peuvent s’expliquer qu’en prenant en compte l’impact des activités humaines¹. En cause principalement, la combustion d’énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz naturel). Malgré la mise en œuvre croissante de politiques de lutte contre le changement climatique, les émissions totales de gaz à effet de serre (GES) d’origine anthropique ont continué d’augmenter entre 1970 et 2010 – avec une nette accélération en fin de période². Les pays dits développés³ – qui représentaient en 2010 environ 18 % de la population, 54 % du PIB et 36 % des émissions de GES – ne sont plus les seuls responsables de cette hausse. La Chine est devenue en 2005 le premier émetteur mondial devant les États-Unis – représentant 28 % des émissions mondiales en 2013. Pour contenir cette hausse, un changement de paradigme énergétique et de développement s’impose, non seulement au Nord mais également au Sud. De nouveaux modèles doivent émerger et permettre un développement plus adapté aux effets du changement climatique. Comme le rappelle le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), les impacts du dérèglement climatique sont déjà perceptibles et posent un défi de solidarité internationale puisque les conséquences se font davantage sentir dans les pays en développement, en particulier au sein des pays les moins avancés.
L’état des négociations internationales
Après avoir échoué en 2009 à Copenhague à négocier un accord devant succéder au protocole de Kyoto, les 196 Parties à la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) se sont données à nouveau rendez-vous pour contenir la hausse des émissions de GES à 2°C 4 d’ici la fin du siècle – un seuil qui rend encore possible une adaptation des sociétés aux nouvelles conditions climatiques, alors que nous nous dirigeons actuellement plutôt vers un réchauffement de trois ou cinq degrés d’ici 2100 (GIEC, 2014).
À Durban en 2011, les pays ont pris l’engagement de parvenir à un nouvel accord international en 2015 à la Conférence des Parties de Paris (COP21). Cet accord entrera en vigueur en 2020. L’objectif (Encadré 1) est d’obtenir un accord universel et juridiquement contraignant qui s’appliquera à tous en tenant compte des situations nationales, notamment celle des pays les plus vulnérables. Cet accord devra traiter à la fois de l’atténuation5 et de l’adaptation6. Bien que les pays développés portent la responsabilité historique des niveaux actuels de concentration de CO2, les profils de consommation énergétique des pays émergents et les défis posés par l’adaptation pour l’ensemble des pays impliquent de trouver une solution globale. Contenir drastiquement la hausse des émissions de GES signifie bien de trouver de nouveaux modèles de développement. Les négociations international es sur le climat sont ainsi intrinsèquement liées aux problématiques de développement – et inversement.
Les enjeux de la COP21
La France, qui présidera du 30 novembre au 11 décembre 2015 la 21e Conférence des Parties (COP21) de la CCNUCC, souhaite constituer à cette occasion une alliance basée sur quatre piliers complémentaires. Il s’agira tout d’abord d’obtenir un accord universel juridiquement contraignant avec des engagements nationaux différenciés et des règles communes pour garantir la transparence et la comparabilité des engagements. En outre, des contributions nationales présenteront les efforts que chaque État pourra souverainement consentir dans la lutte contre le dérèglement climatique. Il faudra aussi élaborer un paquet financier et technologique pour soutenir les pays en développement qui s’engagent dans la lutte contre le changement climatique. Il s’agira en particulier de mettre en œuvre les 100 milliards de dollars par an de financement à partir de 2020 promis par les pays développés à Copenhague en 2009 en direction des pays du Sud. Enfin, de nombreuses initiatives sont aujourd’hui développées par des acteurs non gouvernementaux. Elles constituent l’« Agenda des solutions » (Plan d’Actions Lima Paris), qui complètera l’engagement des États.
L’insuffisance des financements « climat »
Une récente étude de l’OCDE montre qu’en 2014 les financements climat mobilisés par les pays développés vers ceux en développement ont atteint 62 milliards de dollars – dont 16,7 milliards d’apports privés mobilisés par la finance publique. D’autres estimations montrent que les financements « climat » ont représenté, de 2010 à 2012, entre 340 et 650 milliards de dollars par an. De 40 à 175 milliards de dollars par an sont allés des pays développés vers ceux en développement – dont 5 à 125 milliards de dollars provenant de sources privées (SCF, 2010) 7. Les mécanismes de flexibilité du Protocole de Kyoto, tel que le Mécanisme de Développement Propre, ont notamment permis le financement par le secteur privé de projets sobres en carbone dans les pays en développement (Focus). Malgré cela, les montants de financement nécessaires au « scénario 2° » sont loin d’être atteints. De plus, nombre de pays en développement se montrent de plus en plus volontaires pour intégrer la question du climat dans leurs politiques de développement ; mais ils attendent que les pays développés tiennent leurs engagements de soutien financier – qui apparaissent dès 1992 dans le texte de la Convention. Il est donc inévitable que la question du financement des nouveaux modes de production et de consommation soit au cœur des discussions de la COP21. La transition vers des sociétés bas carbone passe en effet par des investissements massifs – de plus d’un millier de milliards de dollars par an d’ici 2035 (AIE, 2015) – dans la production d’énergies renouvelables, la reconversion des capacités de production d’énergie les plus émettrices et la mise en œuvre de technologies plus efficaces sur le plan énergétique. L’Agence Internationale de l’Energie (AIE) estime que les investissements dans les énergies renouvelables devraient passer de 270 milliards de dollars en 2014 à 400 milliards en 2030 afin de se diriger vers l’objectif des 2°C.
Les politiques publiques en matière d’orientation des investissements énergétique sont cependant parfois contradictoires. Des milliers de milliards de dollars continuent à être investis chaque année dans des infrastructures et des capacités de production émettrices – voire fortement émettrices – de GES. Dans les pays de l’OCDE, les ressources fossiles concentrent les deux tiers des investissements réalisés dans le secteur énergétique et le secteur privé bénéficie de 50 et 82 milliards d’euros par an d’aides publiques (OCDE et al., 2015). En revanche, les financements publics en faveur de la recherche et développement dans le domaine énergétique ont été divisés par trois en plus de trente ans dans les pays de l’AIE. Dans les pays en développement, les subventions allouées notamment aux combustibles fossiles freinent les investissements en faveur de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables.
Une nécessaire mobilisation de tous les acteurs
Les budgets publics doivent donc être réorientés et doivent aussi encourager la redirection des flux d’investissements privés vers des projets d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. Les institutions internationales d’aide publique au développement et les banques de développement sont d’ailleurs mobilisées (Encadré 2).
L’AFD, une banque bilatérale engagée à concilier climat et développement
Avec 18 milliards d’euros octroyés depuis 2005 à des projets intégrant les enjeux climatiques – et 2,86 milliards d’euros pour la seule année 2014 –, le groupe AFD est l’un des principaux financeurs publics internationaux de la lutte contre le dérèglement climatique. L’Agence encourage le recours aux énergies renouvelables (au Maroc, Burkina Faso), aux transports en commun (au Caire, Bangalore, Medellin), à l’agro-écologie (Madagascar) et soutient des politiques nationales prenant en compte le défi climatique (Indonésie, Vietnam, Mexique, Bénin). Ces projets s’inscrivent dans la stratégie « climat- développement » de l’AFD, qui repose tout d’abord sur un objectif d’engagement financier pérenne. Ainsi, 50 % des octrois de l’Agence aux pays en développement et 30 % des octrois de sa filiale Proparco vont à des projets intégrant la lutte contre le réchauffement climatique. L’empreinte carbone des projets financés est calculée selon une méthodologie solide et transparente. Enfin, le processus de sélection des projets considère leur impact sur le climat, tout en tenant compte du niveau de développement des pays concernés.
Les membres de l’International Development Finance Club (IDFC), réseau de 22 banques nationales, régionales et internationales de développement du monde entier, ont par exemple financé en 2013 des activités contribuant à la lutte contre le changement climatique et ses effets à hauteur de 89 milliards de dollars. La complémentarité et la synergie entre financeurs est d’ailleurs un des enjeux prioritaires de l’architecture financière « climat ». Les institutions multilatérales de développement et le club IDFC se sont par exemple accordé es sur l’élaboration de définitions et de principes de calcul harmonisés concernant l’effet d’entraînement des financements publics sur les investissements privés et institutionnels concernant le climat en 2015. Les fonds publics peuvent inciter de plusieurs façons les acteurs économiques à orienter leurs capitaux vers des investissements bas carbone et permettant aux sociétés de s’adapter. Renforcer le mécanisme des green ou climate bonds semble particulièrement prometteur ; ces obligations sont adossées à des projets dédiés au développement durable et à la lutte contre le dérèglement climatique. Aujourd’hui, l’offre et la demande se développent. Depuis deux ans, les entreprises ont emboîté le pas aux institutions financières internationales et les volumes ont augmenté rapidement, signe de l’intérêt du secteur privé. Bien entendu, les réalités que recouvrent ces obligations sont diverses, le niveau d’exigence en termes d’impact sur le dérèglement climatique n’est pas largement standardisé et les pratiques de notation méritent d’être affinées. Décidé lors de la conférence climat de Cancun en 2010, le Fonds vert, lui, a été créé pour être l’un des instruments majeurs du financement de la lutte contre le changement climatique dans les pays en développement. Institution juridiquement indépendante hébergée par la Corée du Sud, le Fonds vert dispose de dix milliards de dollars en ressources budgétaires pour ses quatre premières années d’activité ; il doit devenir un des principaux canaux de distribution des financements publics pour le climat. Il incitera aussi le secteur privé à accroître sa participation dans le financement d’actions d’atténuation et d’adaptation.
Différents outils ont donc été conçus et divers acteurs sont d’ores et déjà impliqués dans le financement « climat ». L’enjeu est davantage aujourd’hui de changer d’échelle, d’impliquer un plus grand nombre d’acteurs, d’améliorer certains outils existants et d’en créer d’autres. Il faut aussi renforcer la concertation. En outre, pour réussir la phase de transition énergétique, des changements majeurs de politiques et d’allocation des budgets publics doivent avoir lieu. L’accord de Paris doit donner des signaux économiques et politiques clairs, inscrits dans la durée, pour permettre au secteur privé d’effectuer des choix d’investissements compatibles avec l’objectif des 2°C de réchauffement. Certes, les États ne peuvent financer à eux seuls une économie bas carbone – c’est pourquoi une mobilisation de l’ensemble des acteurs économiques est nécessaire. Mais ils doivent formuler des cadres réglementaires cohérents avec leurs ambitions de lutte contre le dérèglement climatique tout en répondant durablement aux aspirations économiques et sociales d’une population mondiale en croissance.
Le mécanisme de développement propre et les financements privés
par Igor Shishlov, Ian Cochran, Benoit Leguet (Institute for Climate Economics – I4CE)8
Le Mécanisme pour un développement propre (MDP) est l’instrument de compensation carbone le plus important au monde. Mécanisme de flexibilité créé par le Protocole de Kyoto, il permet aux pays en développement d’accueillir des projets visant à réduire les émissions et d’émettre des unités de réduction certifiée des émissions – qui peuvent ensuite être utilisées par les pays développés pour tenir leurs engagements. À l’heure actuelle, le MDP est le seul marché basé sur une commodité environnementale qui ait réussi à attirer plusieurs milliards de dollars de capitaux chaque année grâce à la nature bottom-up du mécanisme de projet, qui est bien adapté pour attirer les financements privés. Pionnier en matière de lutte contre le changement climatique, le MDP a évolué par essais-erreurs en plus de 10 ans d’existence. Bien que le destin du mécanisme après 2015 reste incertain, l’expérience accumulée permettrait non seulement de réformer le MDP, mais aussi de créer de nouveaux instruments de marché. Le MDP a approuvé plus de 7 500 projets dans des pays en développement qui ont déjà permis de réduire plus d’un milliard et demi de tonnes équivalent CO2 en dix ans, soit le niveau annuel d’émissions de la Russie. Environ 6 000 projets MDP – pour lesquels les données relatives aux investissements sont publiques – ont permis de lever 360 milliards de dollars, très largement issus de financements privés. En prenant en référence le prix moyen du crédit de dix dollars la tonne au cours de la première période du Protocole de Kyoto, chaque dollar de la finance carbone a réussi à lever en moyenne près de 40 dollars d’investissement par le biais du MDP. Le MDP peut donc être considéré comme un outil de politique publique efficace, ayant un effet de levier sur les investissements privés pour l’atténuation du changement climatique dans plusieurs secteurs. Mais le MDP a également suscité des critiques légitimes, concernant notamment l’intégrité environnementale du mécanisme, la complexité de ses procédures administratives et la contribution des projets au développement durable des pays hôtes. Les projets de réduction des émissions de gaz fluorés, par exemple, étaient tellement rentables que certains porteurs de projets pouvaient être tentés de produire des gaz à effet de serre pour les éliminer. Ces « incitations perverses » ont été éradiquées ; par rapport à d’autres types d’investissements, la transparence du mécanisme augmente fortement le risque encouru par les investisseurs pour leur réputation. De façon générale, au cours de sa vie, le MDP s’est avéré être un instrument souple, capable d’apprendre de ses erreurs et de s’améliorer par de nombreuses réformes. En attendant, la demande pour les crédits – provenant principalement du système européen d’échange de quotas d’émission (l’EU ETS) – s’assèche en raison des limites quantitatives (autour de 1,6 milliard) concernant l’utilisation des crédits de carbone. La baisse de la demande a fait chuter le prix des crédits Kyoto en-dessous d’un dollar par tonne équivalent CO2, sans aucune perspective de rebond. La pertinence du MDP comme outil d’atténuation est donc sérieusement mise en doute.
À l’heure actuelle, la compensation carbone est de façon croissante considérée comme l’un des moyens les plus viables pour atteindre les réductions d’émissions dans certains secteurs – particulièrement pour les transports aérien et maritime. L’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) a par exemple adopté en 2010 une ambition non contraignante (aspirational goal) qui vise à plafonner les émissions du secteur à partir de 2020 sans attribution d’objectifs spécifiques aux États ni aux compagnies. Des estimations préliminaires de l’OACI suggèrent que cela pourrait créer une demande allant de 2 à 6 milliards de dollars en 2025 et jusqu’à 24 milliards de dollars en 2035. Le secteur maritime pourrait lui aussi être une source de financement pour les projets des pays en développement : si les pays membres de l’Organisation maritime internationale acceptent de plafonner les émissions du secteur au niveau de 2020, ceci pourrait produire une demande de compensations allant de centaines de millions de tonnes par an en 2030 jusqu’à un milliard de tonnes par an en 2050 9.
Aujourd’hui, la condition de succès pour le développement de mécanismes de compensation carbone faisant suite à ceux de Kyoto est le rétablissement de la confiance. Il faut rétablir la confiance dans l’impact et l’intégrité environnementale des projets qui génèrent les crédits, mais il faut aussi que les investisseurs – qui ont perdu environ 66 milliards de dollars avec l’effondrement de la demande et du prix des actifs en 2012 – soient rassurés un minimum sur la sûreté de leurs placements. Des leçons doivent être tirées de l’expérience accumulée lors du fonctionnement des mécanismes existants.
8 L’Institute for Climate Economics – anciennement CDC Climat Recherche – produit des analyses et des recherches publiques sur l’économie du changement climatique. Contact : igor.shishlov@i4ce.org ou ian.cochran@i4ce.org
9 Calculs des auteurs d’après l’Organisation maritime internationale (OMS, 2014)
Notes de bas de page :
1 Le lien entre les activités humaines et l’accroissement des températures constaté depuis 1950 est extrêmement probable (taux de certitude de 95 %) selon le GIEC.
2 Les émissions de GES ont augmenté de 1,3 % par an entre 1970 et 2000 et de 2,2 % par an entre 2000 et 2010.
3 Les pays de l’Annexe 1 à la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC).
4 Les réchauffements indiqués dans l’article se comprennent en comparaison avec les températures de l’ère préindustrielle
5 L’atténuation désigne les efforts consentis dans tous les secteurs d’activités pour faire baisser les émissions de GES, permettant ainsi de contenir le réchauffement global à 2°C.
6 L’adaptation désigne le renforcement de la résilience des systèmes d’alimentation, d’eau et de santé, des infrastructures, des écosystèmes ; et des moyens d’existence améliorés pour les personnes, communautés et régions vulnérables.
7 L’ensemble des financements privés, au-delà des cofinancements privés mobilisés, ne fait pas l’objet d’estimations très précis
Références / Agence Internationale de l’Energie, 2015. World Energy Outlook Special Report 2015. // Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat, 2014. 5e Rapport du GIEC. Disponible sur Internet : http://www.developpement-durable.gouv.fr/-5e-Rapport-du-GIEC-.html // OCDE, Agence Internationale de l’Energie, Agence pour l’Énergie Nucléaire et Forum International des Transports, 2015. Aligner les politiques pour une économie bas carbone. // Organisation maritime internationale, 2014. Third IMO Greenhouse Gas Study 2014. // Standing Committee on Finance, 2010. Biennial Assessment and Overview of Climate Finance Flows Report (2010-12)