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Le développement de l’Afrique est indissociable du bon fonctionnement de divers secteurs. L’habitat, avec la construction de millions de logements abordables pour l’ensemble de la population africaine, représente à la fois un grand défi et une opportunité de développement durable, de création d’emplois et de réduction de la pauvreté. Face à l’ampleur des besoins, il est indispensable de repenser les modèles commerciaux traditionnels afin d’apporter des solutions pertinentes. La spécificité du marché africain du logement abordable demande des innovations financières et opérationnelles.

De récentes études montrent qu’il existe une corrélation positive entre les niveaux d’urbanisation et la croissance économique1 : l’urbanisation est, en soi, un processus créateur de richesse. Des zones urbaines qui fonctionnent bien sont donc cruciales pour le développement de l’Afrique. Le secteur de l’habitat, avec la construction de millions de logements abordables pour la population africaine, représente un enjeu majeur mais aussi une opportunité de développement durable, de création d’emplois et de réduction de la pauvreté. Un des exemples les plus frappants de pénurie de logements se trouve au Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique et le plus solide économiquement, où la Banque Mondiale estimait récemment le manque de logements à 17 millions au plan national et à 4 millions à Lagos (le plus petit mais le plus densément peuplé des 36 États du pays). Les très fortes croissances démographiques et urbaines, l’inefficacité des politiques publiques et l’absence de subventions permettant de parvenir à des prix de logement abordables compte tenu des revenus de la majorité des citoyens expliquent en partie que les écosystèmes africains du logement soient mal équipés pour répondre à la demande. Cependant, le manque de financement disponible pour les promoteurs souhaitant loger les foyers aux revenus moyens et faibles est également un problème majeur. D’ailleurs, l’explication corrélée du fait que les écosystèmes africains du logement sont mal équipés pour répondre à la demande repose sur trois causes principales : une forte croissance démographique et urbaine, des politiques publiques inefficaces et le manque de subventions permettant d’arriver à des prix qui soient abordables compte tenu des revenus de la majorité des citoyens. Dès lors, trouver les fonds nécessaires à la construction de logements abordables est la question centrale dans la mesure où il s’agit d’un levier essentiel de la croissance en Afrique.

 

Le logement : un enjeu pour l’Afrique

Dans la plupart des pays africains, la chaîne de valeurs du logement, en plus de présenter des lacunes, est souvent dysfonctionnelle. Une urbanisation chaotique, la pénurie de terrains viabilisés, la longueur et la complexité des démarches administratives pour obtenir les titres de propriété et les permis de construire, et les coûts de construction élevés – à cause du recours aux matériaux importés et du manque de compétences – font que les logements classiques ne représentent que 10% des logements construits dans les villes africaines1. L’exode rural fait déborder les bidonvilles de l’Afrique. Les Africains sont 200 millions à vivre dans des bidonvilles. Ils représentent 70 % de la population urbaine, et 175 millions d’entre eux n’ont pas accès à un assainissement acceptable2. L’urbanisation rapide est un processus permanent susceptible de se poursuivre durant de longues années, et si rien n’est fait, la situation continuera à empirer. Compte-tenu d’un manque de financement lié à des budgets très restreints, la plupart des gouvernements se contentent généralement d’encourager verbalement le secteur privé à s’intéresser aux besoins en logement des foyers à revenus moyens et faibles, sans fournir des mesures incitatives raisonnables à ces organismes contraintes par des objectifs de rentabilité. Et les quelques initiatives prises dans ce domaine produisent rarement des résultats à la hauteur des objectifs visés. Il n’est donc pas surprenant que la majorité des promoteurs immobiliers continue à se concentrer sur les besoins des classes supérieures et moyennes supérieures. Les promoteurs négligent en général les segments inférieurs du marché du logement, et le problème est amplifié par le fait que la plupart des prêteurs à la construction considèrent ce groupe de marché trop risqué compte-tenu du manque de demande significative (basé sur le caractère informel des utilisateurs finals en termes de revenus et de propriété foncière). Par conséquent, le pourcentage que représente le secteur du bâtiment dans le Produit Intérieur Brut reste faible comparé au potentiel du marché du logement abordable. Au Nigeria, le secteur du bâtiment ne représente que 2 % du PIB du pays. D’autres pays, comme la Côte d’Ivoire et l’Éthiopie, avec des taux respectifs de 7,5 % et 5,6 %, montrent des indications plus positives1. Le logement abordable2 représente une opportunité économique mondiale de repenser les tendances en matière d’urbanisation, les politiques du logement ainsi que le développement urbain. Il faut que le secteur du bâtiment intensifie considérablement sa production afin de construire des logements de qualité, abordables et adaptés à la demande en Afrique subsaharienne. Parallèlement à la capacité d’investir, il faut que les professionnels et les décideurs n’oublient pas que les promoteurs du secteur privé sont motivés par la rentabilité perçue. Une étude conduite par le Centre for Affordable Housing Finance Africa (CAHF) témoigne de l’accessibilité financière ou non des logements construits par un promoteur professionnel (sans tenir compte des logements auto-construits).

 

Nouveaux modèles commerciaux pour le développement du logement abordable

L’ampleur des besoins nécessite une rupture avec la tradition et l’adoption de nouveaux modèles commerciaux. Les études conduites par l’AHI (Affordable Housing Institute) soulignent que la MEE (Mission Entrepreneurial Entity) est devenu un acteur essentiel du secteur du logement abordable, acteur sans qui les écosystèmes de financement du logement ne fonctionnent pas. «Les MEE sont des organismes non gouvernementaux privés qui s’attachent à faire évoluer l’écosystème en procédant à des transactions réelles, possédant une valeur propre, qui servent également de pilotes et de preuve de concept.1» Selon David Smith, Directeur général d’AHI : « Le gouvernement crée des programmes juridiques et des met à disposition des ressources, les communautés identifient les enjeux. En l’absence de MEE, les programmes peuvent rester au point mort et les problèmes non résolus. Dès lors que les MEE sont en place et fonctionnent, à l’instar des abeilles pollinisatrices, elles établissent les connections nécessaires pour que d’autres acteurs du secteur du logement abordable trouvent leur place naturelle et deviennent beaucoup plus productifs. » Il décrit les trois caractéristiques fondamentales d’une MEE. La première est la mission confiée, dans la mesure où leur but est l’impact, pas seulement la recherche de profit. La seconde est l’esprit d’entreprise, puisque ce sont des intervenants privés qui prennent des initiatives nouvelles. La dernière, mais pas la moindre, ce sont des entreprises autonomes à but lucratif et qui doivent présenter une trésorerie positive. En participant à la création ou au renforcement de sociétés de logements abordables, les IFD2 et les gouvernements africains (aux niveaux nationaux et régionaux) pourraient compter davantage sur les MEE en tant qu’acteurs principaux, leur permettant d’exécuter d’importants investissements pour des projets à grande envergure et à fort impact. La promotion de solutions de logement axées sur le marché doit être étudiée pour diverses catégories de la société africaine, notamment pour les foyers à revenus moyens et faibles. Les foyers à faibles revenus doivent pouvoir accéder à certaines formes de subvention [voir encadré ci-dessous]. Les études effectuées par l’AHI montrent que les MEE se développent à partir d’un certain nombre de facteurs : vision organisationnelle adaptée, conception d’un modèle commercial, liens avec la chaîne des valeurs, et soutien de la société civile. . Ce sont là les contreparties essentielles de gouvernement et elles parviennent à réaliser des économies d’échelle parce que leur(s) fondateur(s) ont dès le départ une vision orientée vers l’expansion. Des sociétés pouvant être considérées comme des MEE en Afrique, et qui sont en train de créer des modèles commerciaux permettant de développer le logement social, présentent diverses caractéristiques. La plupart du temps, la préférence est donnée aux parties prenantes gouvernementales dans le cadre d’un PPP. Dans le cas d’une administration gouvernementale dysfonctionnelle, certaines MME préfèrent travailler sans la participation de l’État. Pour obtenir la pleine adhésion et le soutien de la communauté, il faut une gestion de projet solide et une bonne maîtrise du budget. Les MEE jouent un rôle significatif dans l’organisation communautaire, par exemple en créant des coopératives, notamment lorsque les liens se distendent entre les individus et avec les pouvoirs publics. Les MME font des bénéfices par unité de logement moins importants que d’autres promoteurs immobiliers classiques, qui cherchent généralement un retour sur investissement de 25 %, alors que les objectifs des MEE sont à la fois sociaux et financiers. Il est souvent nécessaire de procéder à des subventions mutuelles : une partie des bénéfices dégagés par les logements « les plus chers » aide à financer la construction des logements « moins chers ». Enfin, les MME se concentrent sur les besoins de leurs clients en proposant de nouveaux types de services adaptés à la demande, notamment la location-vente, le microcrédit immobilier ou des services de soutien.

 

Un accès au crédit restreint : les quatre grands obstacles

Bien que l’accès au financement soit déjà un défi pour les promoteurs de logements abordables en Afrique, les MEE sont confrontées à quatre grands obstacles supplémentaires. Premier obstacle : les entreprises du bâtiment et les promoteurs immobiliers locaux ont du mal à obtenir des financements à long terme, ce qui les empêche de développer systématiquement des projets à grande échelle ou de renforcer leurs capacités. Dans ce domaine, une récente étude de la Banque Mondiale explique clairement la disparité existant entre les prêts consentis dans les pays à hauts revenus et ceux consentis dans les pays à faibles revenus. Elle indique que la durée des prêts consentis aux sociétés de pays à faibles revenus est de l’ordre de deux ans environ, c’est à dire moins de la moitié de la durée moyenne des prêts consentis dans les pays à revenus élevés (approximativement 5 ans et demi)3. Deuxième obstacle : la faible sophistication des organismes prêteurs ou les taux d’intérêt relativement élevés sur les marchés des capitaux locaux incitent les promoteurs à se tourner vers des sources de financement internationales plus compétitives. Des efforts limités sont déployés pour structurer et stimuler l’investissement local dans les logements abordables. Troisième obstacle : l’investissement international n’est pas toujours couvert et protégé par la législation nationale, ce qui limite l’apport de capitaux étrangers. Orascom, par exemple, l’un des premiers promoteurs égyptiens de logements abordables, a investi massivement dans un programme immobilier dans un autre pays ; malgré la rentabilité du programme, Orascom n’a pas réussi à rapatrier ses fonds en Égypte. Pour relever ces défis, certains pays, à l’image du Rwanda, proposent un « package » spécifique destiné à attirer et protéger les investissements étrangers. Quatrième obstacle, les promoteurs, et notamment ceux qui correspondraient à cette définition d’une MEE et qui par conséquent comprennent les besoins des clients cibles de logements abordables, ne savent souvent pas très bien comment se positionner face à des prêteurs soucieux d’atténuer les risques liés au développement. Le marché des logements abordables dans les villes africaines se divise en divers sous-marchés qui, à cause de leurs spécificités, exigent de faire preuve d’innovation en termes de financements et de mise en œuvre opérationnelle. Diverses expériences en Afrique sont d’ailleurs encourageantes et mériteraient d’être étendues et adaptées dans d’autres pays. Alors, comment la communauté internationale pour le développement peut-elle aider les promoteurs du logement abordable à accéder aux financements à long terme nécessaires pour répondre à l’énorme demande dans les pays du Sud ? Dans un rapport publié l’an dernier sur le logement abordable, le McKinsey Global Institute recommandait quatre types d’interventions : augmenter les fonds propres, améliorer les conditions d’emprunt, octroyer des allègements fiscaux et minimiser les risques liés au développement1. Bien qu’aucune de ces interventions ne représente en soi une solution idéale, nombre de grandes institutions de financement aux étendues se sont engagées à jouer le rôle d’intermédiaire et à promouvoir l’adoption d’un panachage de ces outils. Dans l’intervalle, tandis que théoriciens et professionnels œuvrent ensemble pour trouver des solutions, la majorité des citadins pauvres du monde continuent à manquer désespérément de logements décents, durables et abordables.

 

EDH et CHC : deux MEE

Enterprise Development Holdings (EDH), l’un des principaux promoteurs de logements abordables au Malawi, est en train de réaliser environ 1 000 unités d’habitation dans les grands centres urbains du pays, Lilongwe et Blantyre. Grâce aux capitaux de Reall (anciennement Homeless International) et au soutien technique de IFD européens comme GiZ, EDH recycle de fait son capital en subventionnant ses logements à loyer abordable grâce à la vente d’autres logements proposés aux prix du marché. De plus, pour pallier la difficulté d’approvisionnement en matériaux de construction de qualité, la société a créé une filiale chargée de tester divers matériaux bien adaptés à être cultivés dans le pays (comme le bambou) et de construire un four vertical qui produit un minimum de 20 000 briques par jour à partir de terre prélevée sur place. Corporation Countrywide logement (CHC), une société de développement résidentiel spécialisée dans la livraison de logements abordables dans le nord et le centre du Nigeria, a intelligemment tiré profit de sa capitalisation initiale au sein d’ASO Savings & Loan en échange de propriétés foncières sous le contrôle de parties prenantes de premier plan afin d’offrir des logements à faible coût mais de de haute qualité. Dans la ville septentrionale de Kano, CHC a établi un partenariat avec le gouvernement de l'Etat de Kano et l'émir de Kano pour développer une communauté de 550 maisons à prix abordable. CHC a procédé à son inauguration début de Décembre 2015, en présence de dignitaires venus de tout le pays et désireux de dupliquer le succès de cette communauté pilote.

Delphine Sangodeyi

Expert en logement
AHI

Parcours

Delphine Sangodeyi est titulaire d’un doctorat en géographie. Avec plus de 18 ans d’expérience pratique du logement abordable en France, au Brésil et en Afrique subsaharienne, elle conceptualise et gère le développement et la réhabilitation des projets de logements abordables à grande échelle. Depuis dix ans, elle gère les programmes de rénovation urbaine d’Immobilière 3F, l’une des plus grandes entreprises de logements sociaux de France (plus de 240 000 logements). Elle fait partie de l’équipe d’experts chargés par la Banque africaine de développement et UN-Habitat d’analyser la dynamique du logement en Afrique et de proposer des solutions susceptibles de débloquer la situation. En tant que directrice générale de MOABI, promoteur spécialisé dans le développement de logements abordables en Afrique, elle travaille également en étroite collaboration avec les secteurs public et privé, notamment au Nigeria, pour remédier au manque de logements abordables.

Jeremy Gorelick

Consultant
AHI

Parcours

Le professeur Jeremy Gorelick (Université Johns Hopkins) est un spécialiste du financement municipale, qui se concentre sur les pays du Sud. Conseiller technique et financier principal de la ville de Dakar, en préparation du lancement de la première obligation municipale en Afrique de l’Ouest depuis 2011, il est actuellement consultant spécialisé en dans finances municipales pour les marchés émergents auprès de la Banque Mondiale, de l’Affordable Housing Institute et de United Cities & Local Governments. Il est vice-président de MOABI International Real Estate, un consortium basé en Afrique chargé de la structuration du financement par emprunt et par actions pour les promoteurs de logements abordables. Il a travaillé avec le Fonds d’équipement des Nations Unies, UN-Habitat, United States Agency for International Development, l’Agence française de développement, Eau et assainissement pour l’Afrique, Reall (anciennement Homeless International) et Eau et Assainissement pour les citadins pauvres (Water and Sanitation for the Urban Poor). Il a également travaillé sur les produits à revenu fixe des marchés émergents chez BNP Paribas et chez Dresdner Kleinwort Wasserstein

AHI

AHI est un conseil d’impact spécialisé dans les politiques de logement et leur financement dans les pays du Sud. AHI travaille avec des organismes novateurs œuvrant en faveur des pauvres pour lever les barrières systémiques faisant obstacle au logement abordable. Parmi sa clientèle, AHI compte les principaux acteurs du logement – gouvernements, prêteurs, promoteurs, institutions de financement du développement, philanthropes et organisations communautaires. L’institut fournit compétences, capitaux et recherche pour résoudre les problèmes mondiaux liés au logement.

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