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L’Afrique, nouvelle terre d’élection du capital-investissement, peine à orienter ces flux financiers vers son gisement de PME en manque cruel de financements. Pourtant le développement du continent passe par l’éclosion d’un tissu de PME pérennes, véritable chaine manquant de l’économie africaine. L’émergence d’un modèle de capital-investissements local et adapté aux réalités des PME africaines est seul gage d’une innovation de rupture dans le financement des économies africaines.

L’Afrique est le nouvel eldorado pour les acteurs du capital-investissement. En 2014, les fonds de capital-investissement ont levé plus de 4 milliards de dollars pour l’Afrique Subsaharienne1 et la tendance ne s’est pas ralentie en 2015 malgré la chute des cours des matières premières qui a affecté la croissance de quelques-unes des plus grandes économies du continent. Un montant record depuis 2007, signalant la persistance de l’intérêt des investisseurs pour la région2. Il est néanmoins frappant de constater qu’une part encore infime de ces montants bénéficie au financement des petites et moyennes entreprises du continent. Sur la période 2007-2014, seuls 2 % des capitaux investis concernaient des transactions inférieures à 10 millions de dollars3. Dans la grande majorité des cas, les fonds se concentrent sur un petit nombre de pays (Afrique du Sud, Kenya, Nigeria) et de secteurs (grandes infrastructures, télécoms, banque), les ressources mobilisées profitant ainsi avant tout aux grandes entreprises et aux entreprises moyennes déjà structurées.

Développer un tissu de PME formelles est pourtant le grand défi du développement qui attend le continent africain.

Ces entreprises, véritable ‘’chaînon manquant’’ des économies africaines, ont un rôle clé à jouer dans la croissance et le développement du continent. L’univers des PME est un générateur de redistribution sociale efficace, contribuant activement à l’émergence des classes moyennes et à la création d’emplois formels, offrant des rémunérations généralement supérieures et des conditions de travail plus sécurisées que dans le secteur informel. Nombre de ces entreprises améliorent directement l’accès aux biens et services essentiels sur les marchés domestiques ou génèrent d’importants gains de productivité à leurs clients. A titre d’illustration, nous estimons que 90% des entreprises accompagnées par Investisseurs & Partenaires répondent à un besoin local non satisfait, souvent essentiel (médicaments, produits alimentaires, matériaux de construction…)4.

De plus, comme partout ailleurs dans le monde, les PME sont le pourvoyeur essentiel d’emplois. Or ce défi est immense en Afrique : plus de 450 millions de personnes feront leur entrée sur le marché du travail d’ici 2030, alors que sur la même période, selon les prévisions actuelles de croissance, seuls 220 millions nouveaux emplois formels devraient être générés5. De telles proportions sont sans précédent dans l’histoire économique mondiale.

Le capital investissement, une solution de financement adéquate pour ces entreprises ?

Se profile donc l’une des perspectives majeures pour assurer une croissance inclusive sur le continent : soutenir les PME à fort potentiel en leur donnant accès aux capitaux et compétences nécessaires à leur croissance. Il faut avant tout prendre conscience des difficultés de financement auxquelles sont classiquement confrontées ces entreprises en Afrique. La voie de la microfinance n’est guère envisageable (prêts excédant rarement 20 000 euros, taux d’intérêt élevés, maturités courtes). Le financement bancaire classique, malgré son essor notable sur le continent, s’avère également bien souvent inadéquat. Caractérisées par un faible apport en fonds propres, des besoins de financement peu élevés et un niveau de risque souvent significatif, les petites entreprises ne correspondent pas aux cibles classiques des banques commerciales. L’investissement en fonds propres demeure quant à lui peu structuré en Afrique, et souvent restreint à des cercles familiaux ou d’amis pour des montants peu élevés.

Pour croître, les PME ont besoin d’investisseurs capables de s’adapter à leur niveau de risque et d’apporter un financement personnalisé de long-terme.

En ce sens, le capital-investissement apporte à bien des égards une réponse pertinente aux besoins d’investissement et d’accompagnement des PME.

Le capital-investisseur apporte des financements en fonds propres plus risqués que les banques, sur le long-terme, et souvent sans garantie. Il peut combler les besoins de compétences et de structuration des jeunes entreprises, en apportant un appui dans ses domaines d’expertise (stratégie, structuration financière et comptable, marketing…) et en contribuant à la bonne gouvernance de ses entreprises partenaires. Sa présence au capital d’une entreprise peut par ailleurs avoir un effet de levier important en termes de financements, et faciliter l’obtention de financements bancaires.

Il faut cependant bien considérer les spécificités du marché africain, et plus encore les exigences propres au secteur des petites et moyennes entreprises. Investir dans une PME africaine suppose une prise de risque élevée et une mobilisation de capital patient dans une perspective de retours financiers souvent inférieurs aux standards de marché. En s’adressant à des entreprises encore peu structurées, l’investisseur doit prioriser l’accompagnement technique et stratégique qu’il apporte à chaque partenaire, en faisant éventuellement appel à des experts externes pour des missions ciblées. Le suivi personnalisé de chaque entreprise, et les coûts de transaction associés, diminue naturellement la rentabilité nette de ces investissements (quand bien même les entreprises en portefeuille peuvent montrer une croissance et une rentabilité très satisfaisantes !). En d’autres termes, il s’avère plus profitable de réaliser un investissement de deux millions d’euros dans une entreprise que dix investissements de 200 000 euros dans dix petites entreprises…6

On comprend donc aisément la réticence de certains capital-investisseurs à se tourner vers le segment des PME, jugé difficile et trop peu attractif financièrement : il n’est pas possible sur ce segment d’obtenir un rendement cohérent avec les attentes des investisseurs dans ce domaine risqué, surtout quand ces investisseurs sont internationaux et subissent un aléa de change et un risque-pays. On voit néanmoins émerger progressivement des fonds, surtout continentaux ou sous-régionaux, dédiés aux petites entreprises africaines, capables d’investir dans des tickets inférieurs à 2 millions d’euros. Beaucoup d’entre eux se définissent comme ‘’investisseurs d’impact’’, ou « investisseurs de mission » : ils assument ainsi leur stratégie ciblant les entreprises à fort impact sociétal et/ou trop petites pour rentrer dans les critères des investisseurs traditionnels. Et leurs investisseurs ou actionnaires acceptent de financer ces véhicules car les motivations comportent un volet extra-financier significatif. Ce secteur très dynamique demeure cependant encore quantitativement limité. On compte quelques dizaines d’acteurs ayant une activité réelle sur le continent, et encore moins ayant un impact significatif.

Développer un modèle de capital-investissement pérenne et adapté aux besoins des petites entreprises africaines

Le défi est encore plus grand quand il s’agit des start-up, qui sont considérées à juste titre comme la catégorie la plus risquée du capital investissement, et des plus petites PME, qui sont les plus onéreuses à atteindre. Pourtant, l’enjeu de développement est encore plus important, dans un contexte ou « l’Afrique fait son marché », crée son tissu entrepreneurial et où la plupart des dirigeants des grandes entreprises de 2050 sont encore dans leur garage en train de monter leur jeune pousse…

Si l’on se tourne vers l’instrument de capital risque qui est nécessaire pour viser spécifiquement cet enjeu, sur le long terme, rien ne pourra se substituer à l’émergence de sociétés financières d’investissement ou de fonds d’investissement nationaux pour traiter ce défi des start-ups et des plus petites PME – que nous qualifierions comme celles qui ont besoin de moins de 1 million d’euros de fonds propres. Ces instruments sont proches des cibles d’investissement, peuvent aisément relier leurs investisseurs à leurs investissements, et opèrent avec des charges locales dimensionnée à la taille de leurs clients. Par ailleurs, leurs actionnaires ou investisseurs doivent être en majorité des acteurs locaux, qui apprécient leur rentabilité sans prise en compte de risque de change ou de risque politique. Leur sens en termes de contribution au développement comme de rentabilité est particulièrement pertinent.

Mais voilà, ces fonds nationaux pouvant répondre à cette problématique sont très rares, et compter sur la génération spontanée revient à attendre longtemps une réponse sur terrain : les compétences africaines en matière de capital investissement étant très réduites et s’orientant pour des raisons évidentes de rémunération d’abord vers les grands fonds d’investissement, et la création d’un véhicule de capital risque demandant des fonds et un capital de reconnaissance humaine solide, les initiatives sont donc peu fréquentes et encore moins fréquemment réussies.
C’est précisément pour répondre à cette problématique qu’Investisseurs & Partenaires a lancé un grand programme d’incubation de fonds et sociétés d’investissement nationales à travers une société de structuration appelée I&P Développement 2 (IPDEV2). Conçue comme un incubateur et sponsor d’équipes de gestion africaines, cette société d’investissement à long terme a comme objectif d’apporter une innovation de rupture dans le financement des petites entreprises africaines. La stratégie d’IPDEV2 consiste à incuber dix sociétés ou fonds d’investissement africains, dans dix pays, en dix ans, à même d’apporter une solution de financement adéquate aux petites entreprises et start-ups basées dans ces pays. Ces fonds apporteront des financements en capital minoritaires pour des montants unitaires compris entre 30 000 et 300 000 euros7. IPDEV2, qui est soutenue par un important groupe d’actionnaires constitué de fondations, family-offices, investisseurs de mission privés et publics (comme le groupe de l’AFD), apporte en sus aux équipes d’investissement naissantes comme aux sociétés visées un important programme qualitatif d’accompagnement technique et managérial et une présence en profondeur dans la durée.

C’est une approche novatrice résolument tournée vers le développement de compétences et d’investisseurs locaux : faire émerger des équipes de capital investissement nationales, structurer un savoir-faire et développer une véritable expertise d’investissement locale. Trois sociétés d’investissement sont déjà opérationnelles en Afrique de l’Ouest : Sinergi Niger, lancé en 2009 et qui compte déjà huit participations dans son portefeuille, Sinergi Burkina, dont nous venons de célébrer le lancement officiel à Ouagadougou, et Teranga Capital au Sénégal. Les impacts potentiels de cette stratégie sont considérables en termes de développement du secteur privé et de création d’emploi. Mais un aspect essentiel est dans leur ancrage local : si IPDEV2 a vocation à apporter environ 40% de la capitalisation de ces sociétés ou de ces fonds, le reste du financement provient d’investisseurs nationaux : hommes et femmes d’affaires, sociétés d’assurance ou banques privées nationales, filiales locales de sociétés industrielles multinationales, et enfin fonds souverains nationaux. Ces acteurs constituent l’avant-garde d’un mouvement de capital-risqueurs africains, compétents, engagés, qui prendra la relève et se développera au fil des années.

Ces programmes de développement qui passent par le secteur privé battent en brèche certains poncifs des politiques d’aide au développement, et même de l’économie générale de ces dernières décennies. L’un d’entre eux est de ne voir l’entreprise, dans une conception très classique, que comme un centre de profit, et, sur le plan macroéconomique, qu’un créateur d’emplois. En fait les entreprises sont des entités humaines génératrices de l’essentiel des externalités de l’économie, et le point de rencontre d’un équilibre dynamique entre clients, fournisseurs, salariés, créanciers et actionnaires, auxquels elles doivent apporter un gain. Et, dans les pays en développement, la construction de valeur auprès des clients comme des fournisseurs est une contribution fondamentale à la réduction de la pauvreté. Le second grand poncif veut qu’il ne soit possible, et efficace, pour des contributeurs au développement, de n’intervenir que pour améliorer l’environnement des entreprises. Ce déni de la possibilité d’une politique industrielle, dont le succès a pourtant fait tout le « miracle asiatique », et de la puissance de l’intervention au cœur des mécanismes financiers, a conduit la communauté internationale du développement et les gouvernements des pays en développement à se priver d’instruments permettant de contourner le problème de l’absence de réponse du tissu industriel et des services aux transformations de l’environnement macroéconomique ou institutionnel de l’entreprise… faute d’acteurs économiques ou de capacité à ces derniers d’émerger, en raison de barrières structurelles comme celle du financement, que nous venons d’évoquer.

L’investissement de mission, ou « impact investing » est une réponse aux impasses suscitées par une trop longue et frustrante adhésion idéologique des acteurs du développement à ce double pont-aux-ânes. Si son déploiement est long et lent, du fait de la technicité de l’instrument et de sa finesse de mise en œuvre, il est certain qu’il connaîtra dans les décennies à venir, et tout particulièrement en Afrique, un essor du type qu’a connu la microfinance, une autre réponse de terrain, très opérationnelle, aux barrières de la pensée et des politiques publiques qui régissaient le monde de la finance, et dont peu, il y a trente ans, auraient prédit l’ampleur du déploiement contemporain…

 

Notes de bas de page :
1 EMPEA, Fundraising and Investment Analysis, Q4 2014
2 Bien que le continent africain représente aujourd’hui une part mineure sur le marché du capital-investissement: 3% seulement des capitaux alloués à l’échelle mondiale (source : EMPEA)
3 AVCA, 2015, African Private Equity Data Tracker
4 I&P Afrique Entrepreneurs Annual ESG and Impact Reporting, Juin 2015
5 Fox et al, Africa’s got work to do: employment prospects in the new century, IMF Working Paper, 2013
6 2015, Investir dans les Petites et Moyennes Entreprises en Afrique, une introduction au capital-investissement
7 Voir sur ce sujet le récent article de Jean-Luc Koffi-Vovor dans la revue Africa Banker (Août – Septembre – Octobre 2015). L’auteur démontre le besoin de créer des ‘’fonds de fonds’’, véhicules intermédiaires permettant d’orienter les capitaux internationaux vers des fonds plus modestes

REFERENCES :
Banque Africaine de Développement, 2014, Tracking Africa’s Progress in Figures
Banque Africaine de Développement, 2012, Le capital-investissement en Afrique à l’appui d’une croissance inclusive et durable
Banque Mondiale, 2007, Finance for All
Fox et al, 2013, Africa’s got work to do: employment prospects in the new century, IMF Working Paper
Revue de l’OCDE pour le développement, 2005, Chapitre 1 : L’importance de l’investissement privé pour le développement