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La micro-assurance santé est confrontée à des résistances sociales et culturelles fortes dans les pays en développement. Si les populations défavorisées développent des mécanismes de solidarité, de partage des risques ou de planification, elles restent réfractaires au principe d’assurance. Les études qualitatives, en Tanzanie, en Inde ou au Mexique, montrent que la mauvaise qualité des prestations est unanimement dénoncée par les bénéficiaires.

Inspirée du principe de la microfinance, la micro-assurance santé se décline sous des formes multiples : communautaire, privée, publique, public/privé. Dans tous les cas de figure, elle conserve néanmoins comme principes communs le paiement préalable de cotisations et le partage des risques. L’usage croissant des nouvelles technologies laisse entrevoir des perspectives de simplification des procédures et d’expansion de ce type d’assurance. Pourtant, les taux d’adhésion et de fidélisation, donc, in fine, d’accès aux soins, restent bas : la micro-assurance santé couvrirait seulement 5 % de la population des pays en développement (Lloyds, 2009). En Afrique de l’Ouest, et plus précisément au Burkina Faso et au Mali, il y a près de 200 mutuelles par pays, mais la couverture ne dépasse pas 4 % (Mfptss du Burkina Faso, 2013 ; Touré et coll., 2014). Les études disponibles se concentrent principalement sur les facteurs « quantifiables » de la demande, à savoir le niveau des cotisations et la propension à payer des ménages. Or, une démarche plus qualitative, mettant en avant le point de vue des usagers, peut apporter des compléments d’analyse pertinents, en particulier en ce qui concerne la qualité des soins et les représentations sociales de la micro-assurance. Trois études de cas, présentant la réforme d’un programme communautaire à Dodoma en Tanzanie et le fonctionnement de programmes publics en Inde et au Mexique1, permettent de mieux comprendre les défis de la micro-assurance santé.

 

EN TANZANIE, UN RÉGIME HYBRIDE EN MUTATION

Le régime de micro-assurance santé tanzanien, connu sous le nom de Community Health Fund (CHF), a été mis en place en zone rurale en 2003. Il s’agit d’un régime volontaire reposant sur une cotisation annuelle de deux à quatre euros. Son taux de couverture plafonne autour de 7 %, alors que l’objectif annoncé était d’atteindre 60 % des foyers. L’insatisfaction à l’égard de la qualité des soins et de l’accueil dans les établissements publics est générale (Kalolo et coll., 2016). Les patients déplorent une pénurie de médicaments, un manque de matériel pour le diagnostic et de longues heures d’attente. Le modèle du CHF s’est restructuré pour que chaque adhérent reçoive une carte électronique lui permettant d’accéder gratuitement aux soins et que le panier de soins couverts inclut les soins d’hospitalisation. Les patients restent néanmoins sceptiques sur cette réforme, compte tenu de la persistance de la médiocrité des services proposés. De plus, le régime devait initialement être géré par la communauté, en particulier pour stimuler l’adhésion de ses membres (Mtei et Mulligan, 2007), mais dans la pratique ce n’est guère le cas. L’offre de micro-assurance santé gagnerait à s’inspirer de la culture et des pratiques locales de solidarité. Dans le contexte tanzanien, il existe par exemple des fonds de mutualisation des risques appelés Upatu, destinés à aider les bénéficiaires en cas d’urgence (maladie ou accident grave). Leur usage est limité à la préparation d’événements sociaux liés au cycle de vie (funérailles et mariages), et non à la santé, mais des stratégies marketing pourraient essayer de présenter ces programmes comme de grands événements sociaux.

 

EN INDE, LE PRINCIPE D’ASSURANCE SUSCITE LA DÉFIANCE

En Inde, un programme volontaire d’assurance santé (Rashtriya Swasthya Bima Yojana, ou RSBY), destiné aux populations pauvres et aux travailleurs informels, a été initié en 2008 au niveau national. En septembre 2015, il compte plus de 40 millions d’usagers, soit environ 3 % de la population indienne. Le coût est largement subventionné par les pouvoirs publics, au niveau national et régional (l’équivalent de 40 centimes d’euro par an et par famille) et la mise en oeuvre repose sur des établissements privés et publics, centres de soins et compagnies d’assurance, sélectionnés sur appel d’offres. Le RSBY est mis en oeuvre dans les différents États du pays de manière très inégale. Au Tamil Nadu (Sud du pays), par exemple, il est entièrement financé par l’État : les usagers ne paient pas de prime. Il existe en parallèle une floraison d’assurances privées destinées à la classe moyenne et supérieure. Les hôpitaux éligibles sont sélectionnés sur appel d’offres, ce qui devrait garantir en théorie une qualité minimale. En pratique, celle-ci reste très inégale. Nombre d’établissements sont sous-équipés, en matériel ou en médicaments, et ils sont peu nombreux à être éligibles, ce qui explique qu’ils sont rapidement saturés. Le personnel se montre parfois réticent à accueillir une nouvelle population, souvent illettrée et rurale, considérée comme dérangeantes pour la patientèle classique. Enfin, le montant maximal auquel une famille est éligible – 30 000 roupies indiennes par an, soit le coût des soins d’une fracture simple – reste faible, même s’il a été récemment réévalué dans certains États. Si les malades n’hésitent pas à payer pour des soins privés, ils sont en revanche réticents à payer pour une assurance plus généreuse. Ils restent méfiants à l’égard du principe même de l’assurance. Au Tamil Nadu, les problèmes de santé sont considérés comme des « accidents » : pourquoi donc payer pour ce qui n’est pas une certitude ? Pourtant, ces populations sont tout à fait capables de planification : elles procèdent à des calculs sophistiqués et pratiquent des projections à long terme, mais principalement en lien avec les rituels sociaux et religieux. Le moindre surplus monétaire est injecté dans le réseau social (sous forme de « don-contre don » ou de prêt), et ce même réseau sera sollicité en cas de besoin. Les termes utilisés pour désigner ces transactions sont d’ailleurs explicites : contribuer à une cérémonie n’est pas une dépense mais de l’épargne, prêter à son entourage n’est pas un prêt mais de l’investissement « dans les gens ». Comme en Tanzanie, les populations préfèrent investir dans leur réseau social plutôt que payer une prime d’assurance à une institution regroupant des individus anonymes et dont les actions sont, à leurs yeux, incertaines.

 

AU MEXIQUE, LA GRATUITÉ AU DÉTRIMENT DE LA QUALITÉ

Au Mexique, la politique publique « Seguro Popular » (SP)2, mise en place en 2003, complique l’émergence d’une offre privée de micro-assurance puisqu’elle couvre son public potentiel : le secteur informel. Il est prévu que le SP soit en partie pris en charge par les usagers, notamment pour les segments supérieurs. En réalité, l’État finance l’intégralité du programme sans distinction de revenus. Le SP permet l’accès à un forfait d’interventions de soins ambulatoires, hospitaliers et d’examens en laboratoires. L’affiliation au SP atteint 95 % de la population ne bénéficiant d’aucun autre régime de sécurité sociale (soit près de 52 millions de personnes). Outre ce système public de prise en charge, il existe comme au Tamil Nadu, mais de manière marginale, un système parallèle d’assurances privées. Mais leurs produits font l’objet d’une demande quasi nulle, principalement en raison d’un coût élevé et d’une faible couverture. Les personnes préfèrent utiliser les soins gratuits du SP. Elles en critiquent néanmoins les services, pour les mêmes raisons que dans les cas précédents : structures de soin insuffisantes, temps d’attente trop importants, traitement peu respectueux de la part du personnel de santé. Ainsi, en fonction de l’urgence et de la nature des soins, les bénéficiaires panachent les services, par exemple en accouchant, faisant vacciner leurs enfants ou suivant leur diabète avec le SP, en payant les soins d’un hôpital privé pour soigner les lésions d’un accident, et en rémunérant les services d’une « partera3 » pour les soins postpartum. Comme en Inde, plutôt que de prévenir un problème de santé, la population préfère compter sur les structures publiques et gratuites de soin malgré leurs déficiences, et sur les mécanismes de solidarités familiales et communautaires au cas où la dépense s’avère nécessaire. L’affiliation au SP étant gratuite, le concept d’assurance se confond avec celui de solidarité. Dans ce contexte, une assurance santé payante n’a pas de place, à moins de se distinguer du SP et d’offrir une vraie valeur ajoutée en termes de qualité de soins et d’attention portée aux patients. L’assureur Zurich a d’ailleurs essayé de développer une offre en ce sens en partenariat avec un réseau d’institutions microfinancières, mais sans succès (Sulmont, 2014). Les trois contextes présentés montrent que la micro-assurance se heurte à des résistances sociales et culturelles. De toute évidence, celles-ci ne pourront être surmontées que si l’offre de soins proposée est de qualité suffisante pour les usagers, et si les représentations locales et les logiques de solidarité sont mieux comprises et prises en compte par les pouvoirs publics. Une meilleure articulation des dispositifs payants et gratuits d’accès aux soins s’avèrent également essentielle. Les expériences de Tanzanie, d’Inde et du Mexique montrent que l’assurance ne permet pas d’influer directement sur l’amélioration de la qualité des soins. Pour les pays africains, une des pistes serait de développer en parallèle les régimes assurantiels et les plans d’amélioration de la qualité des soins. En outre, la solidarité existe, comme le démontrent les cas tanzanien et indien, mais elle procède d’une logique sociale d’entraide qui échappe encore totalement aux concepteurs de la micro-assurance. Les populations doivent pouvoir s’approprier les régimes assurantiels, qu’ils soient privés, publics, ou hybrides. Elles doivent également connaître leurs droits. En Inde, au Mexique comme en Afrique, la lisibilité des différents programmes devrait constituer une priorité. Les exemples indien et mexicain montrent également que la superposition des programmes d’assurances publiques et privées complexifie à la fois le paysage de l’offre de soins et, en définitive, la décision de se faire soigner. Pour le continent africain, il y a clairement des enseignements à tirer de ces expériences. Dans tous les pays, des assurances ou dispositifs publics coexistent avec des assurances privées. Les populations sortiraient nécessairement gagnantes d’une vision moins fragmentée des politiques de financement de la santé.

 

1 Les enquêtes ont été menées dans le cadre de thèses de doctorat par Albino Kalolo en Tanzanie et Annabelle Sulmont au Mexique. En Inde, elles ont été menées dans le cadre du programme de recherche « Labour, Finance and Social Dynamics » de l’Institut français de Pondichéry, coordonné par Isabelle Guérin. Dans les trois cas, les enquêtes ont porté sur une diversité d’acteurs (patients, représentants des organisations et compagnies d’assurance, personnel soignant, représentants de l’État, etc.).
2 « Assurance populaire » en français.
3 Détentrice de savoirs traditionnels, la « partera » accompagne les femmes avant, pendant et après leur accouchement.

 

RÉFÉRENCES

Kalolo, A. Gautier, L., Radermacher, R., Stoermer, M., Meshack, M., De Allegri, M., Exploring social representationGris related to micro-health insurance: a qualitative investigation in communities of the Dodoma region of Tanzania. publication en cours, 2016. Kalolo, A., Gautier, L., Radermacher, R., Stoermer, M., Albrecht, J., Meshack, M. et coll., Implementation of the redesigned Community Health Fund in the Dodoma region of Tanzania: A qualitative study of views from the community, publication en cours, 2016. Lloyd’s 360° Risk Insight, Insurance in developing countries: Exploring opportunities in microinsurance, 2009. Disponible sur Internet : https://www.lloyds.com/~/media/lloyds/reports/360/360 %20other/insuranceindevelopingcountries.pdf Ministère de la Fonction publique, du Travail et de la Sécurité sociale du Burkina Faso, Processus de mise en place d’un système d’assurance maladie universelle, Document de plaidoyer pour un accompagnement technique et financier du réseau Providing for Health (P4H), 2013. Disponible sur Internet : http://p4h-network.net/wp-content/uploads/2013/08/2013_06_14_MFPTSS_Burkina-Requete_appui_reseau_P4H.pdf Mtei, G., Mulligan, J., Community health funds in Tanzania: A literature review, 2007. Disponible sur Internet : http://citeseerx.ist.psu.edu/viewdoc/download?doi=10.1.1.516.1962&rep =rep1&type=pdf Sulmont, A., S’assurer des pauvres ou assurer les pauvres : explorations des multiples facettes de la micro-assurance. A partir de l’analyse des projets de micro-assurance de prise en charge des risques de santé et liés à la migration des foyers à bas revenu au Mexique, Thèse de doctorat, IEDES, université Paris 1 Panthéon Sorbonne, 2014. Touré, L., Ridde, V., Queuille, L, Evaluation des besoins de plaidoyer en appui à la couverture universelle santé au Burkina Faso, Mali et Sénégal. Rapport final Mali, 2014. Disponible sur Internet : www.miselimali.org/dl/Root/cay8r-rapport_definitif_mali_janv_14.pdf

Lara Gautier

Doctorante en sciences économiques et santé publique

Parcours

Dans le cadre de son doctorat, Lara Gautier étudie la prise de décision en matière de financement de la santé en Afrique. Elle est membre de la chaire de « recherches appliquées interventionnelles en santé mondiale et équité » (Réalisme), dont elle coordonne les cahiers scientifiques.

Isabelle Guérin

Directrice de recherche,

Parcours

Socio-économiste attachée au Centre d’études en sciences sociales sur les mondes américains, Isabelle Guérin travaille sur les liens entre finance et inégalités, et les articulations entre pratiques financières et dynamiques d’emploi. Elle a récemment publié « La microfinance et ses dérives : émanciper, discipliner ou exploiter ? » (2015, Demopolis).

Albino Kalolo

Maître de conférences

Parcours

Albino Kalolo s’intéresse aux réformes du financement de la santé, aux changements organisationnels dans les établissements de santé, et à la science de la mise en oeuvre. Il est titulaire d’un doctorat en santé publique de l’université de Heidelberg (Allemagne).

Annabelle Sulmont

Sociologue

Parcours

Annabelle Sulmont travaille actuellement comme directrice du suivi et de l’évaluation au département de planification stratégique de l´Agence mexicaine de coopération internationale pour le développement (Amexcid). Sa thèse de doctorat porte sur l’adaptation du concept de micro-assurance au Mexique.