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En Afrique, les assureurs ont le potentiel pour canaliser l’épargne des ménages et investir à long terme dans les entreprises et les projets d’infrastructure. Mais plusieurs freins limitent encore leur contribution au développement local.

Avec 1,4 milliard d’euros (Md€) de primes en 2014, l’Afrique de l’Ouest (hors Nigéria et Ghana) et l’Afrique centrale représentent un exemple unique d’intégration régionale sectorielle. Depuis 1992, les marchés d’assurances de quatorze pays de la zone (UEMOA1 et CEMAC2) sont, au travers de la CIMA3, régis par un code des assurances unique et contrôlés par une autorité commune : la CRCA4.

Si la CIMA est parvenue à assainir sensiblement le secteur et à favoriser son essor, la capacité contributive des assureurs de la zone au financement du développement et aux besoins régionaux en matière d’investissement reste limitée. Le montant total des actifs sous gestion par les compagnies d’assurance de la CIMA représentait moins de 2,4 Md€ en 2013 (dont 55 % pour l’assurance vie). C’est deux fois plus qu’il y a dix ans, mais bien en deçà des besoins du continent, estimés pour le seul secteur des infrastructures à près de 100 MdUSD par an au cours des dix prochaines années (source : BAD).

Plusieurs facteurs contraignent cette capacité contributive : des taux de pénétration de l’assurance qui restent faible, la fragmentation des marchés et la taille des bilans des compagnies qui n’autorisent des investissements unitaires que de faible montant, l’étroitesse des opportunités d’investissement, et enfin un système de régulation perfectible.

DES SUPPORTS D’INVESTISSEMENT ENCORE LIMITÉS

Selon la CIMA, les actifs gérés par les compagnies de la zone sont majoritairement orientés vers les dépôts à terme bancaires (36 %), l’immobilier (20 %) et les titres émis par les États membres (21 %). La part totale des valeurs mobilières s’élève à seulement 40 %. Cette tendance s’explique en partie par des marchés de valeurs mobilières encore peu développés, peu profonds, peu intégrés, et peu liquides, et par le manque de support long-terme. À titre d’exemple, seulement 39 sociétés (dont 36 ivoiriennes) sont cotées à la bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) de l’UEMOA, qui représente à peine plus de 10 milliards d’euros de capitalisation pour huit pays, contre 54 milliards d’euros au Nigéria. Quant au marché obligataire, il reste largement dominé par l’émission d’obligations souveraines. Pour les compagnies d’assurance, les perspectives d’investissement pour financer les entreprises restent limitées.

DES RÈGLEMENTATIONS PARFOIS CONTRE-PRODUCTIVES

Certains dispositifs réglementaires visant à instaurer des standards de gestion, d’organisation et une supervision prudentielle des activités des compagnies, ont été inspirés de règlementations européennes. Inadaptées au degré de maturité des marchés financiers de la région, certaines règles constituent un frein à l’investissement des compagnies ou limitent leur capacité à profiter pleinement des opportunités de marché. Il en va ainsi des règles (adoptées en 2007) de limitation et de dispersion portant sur les actifs admis en représentation des engagements. Elles imposent par exemple par classe d’actif des minima et des limites d’investissement. Un règlement de 1999 impose également d’investir les actifs a minima à hauteur de 50 % dans le territoire de l’État membre sur lequel les risques sont souscrits. Le reste ne peut être placé que dans les autres États de la zone CIMA, limitant la possibilité de réaliser des investissements en faveur de projets panafricains.

UN MARCHÉ DE L’ASSURANCE ET DE L’ÉPARGNE À DÉVELOPPER

La massification de l’assurance dans la zone dépend de trois facteurs : l’offre, la demande et le cadre réglementaire. L’offre doit être adaptée, simple et distribuée à grande échelle via des réseaux non traditionnels pour surmonter des infrastructures déficientes. Elle se doit être innovante sur toute la chaîne de valeur pour concilier efficacité sociale et rentabilité. La demande dépend, elle, de facteurs économiques, mais aussi culturels. Longtemps associée à l’assurance automobile obligatoire, l’assurance a souvent été perçue comme une taxe sans réelle valeur ajoutée, commercialisée par des acteurs sans grande discipline. Par ailleurs, la gestion des risques ou les mécanismes d’épargnes restent souvent du ressort de la solidarité familiale intergénérationnelle ou intracommunautaire. Les assureurs, les associations professionnelles, mais aussi les institutions ont un rôle à jouer pour développer l’éducation financière, vulgariser les mécanismes assurantiels et renforcer la confiance des populations dans le secteur.

Le dernier facteur est institutionnel et réglementaire. Pour soutenir le développement de l’assurance, les États doivent garantir sécurité juridique et fiscale aux acteurs du marché, et promouvoir une fiscalité adaptée des produits financiers. Elle doit être aussi un outil au service du développement de l’épargne.

Selon la Banque mondiale, 20 à 40 % de l’épargne africaine est aujourd’hui délocalisée. Une part de ces flux concerne les travailleurs expatriés, mais également les classes aisées africaines qui veulent se protéger contre les risques de change ou avoir accès à des supports d’investissement plus diversifiés. C’est donc une partie de la collecte de l’épargne africaine qui est investie sur les marchés étrangers. L’incitation à l’épargne et sa collecte à long terme permettraient de la réinjecter dans l’économie réelle en faveur de la croissance. Enfin, l’environnement réglementaire assurantiel, tout en s’adaptant au niveau de maturité des marchés, devrait être plus tourné vers l’innovation pour libérer le potentiel de croissance.

Depuis la création de la CIMA, les acquis sont indéniables. La réforme sur l’encaissement des primes 5(2013) en est emblématique : elle a permis d’assainir les bilans d’un certain nombre de compagnies dans une zone où les impayés ont représenté jusqu’à 50 % du chiffre d’affaires annuel. La réglementation a aussi favorisé l’arrivée de nouveaux entrants et une certaine forme de concentration. Cette dernière évolution peut apporter de la stabilité et des fondamentaux plus solides à un marché assurantiel qui est essentiel au développement d’autres pans sectoriels des économies africaines et au financement des projets de développement sur le continent.

Notes de bas de page :
1 Union économique et monétaire ouest africaine.
2 Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale.
3 Conférence interafricaine des marchés d’assurances.
4 Commission régionale des contrôles de l’assurance.
5 Cette nouvelle réglementation interdit aux entreprises de souscrire un contrat d’assurance dont la prime n’est pas payée ou de renouveler un contrat d’assurance dont la prime n’a pas été payée.