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L’assurance fondée sur des indices de rendement ou météorologiques permet de protéger les petits exploitants agricoles. Cette innovation contribue à améliorer leurs conditions de vie, la sécurité alimentaire et l’adaptation au changement climatique. Mais sa généralisation implique une coopération étroite et à long terme entre les secteurs public et privé et l’adaptation au changement climatique.

Les pays en développement comptent environ 430 millions d’exploitations agricoles de moins de deux hectares. Dans leur immense majorité, elles ne bénéficient d’aucun dispositif d’assurance agricole privée et n’ont pas non plus la possibilité d’avoir recours à des systèmes publics d’indemnisation des calamités agricoles. Pour réduire leur exposition aux risques naturels, ces producteurs s’appuient sur la solidarité communautaire, sur l’épargne de précaution, la diversification des cultures et des sources de revenus. Mais ces pratiques ne les protègent que très partiellement. Elles ont aussi un coût implicite, sous forme de sous-investissement et de moindre rendement. Jusqu’à une date récente, ces agriculteurs étaient considérés comme non assurables : les sommes à couvrir étaient trop faibles et les coûts d’administration, de commercialisation et d’expertise trop élevés. Le développement récent (encadré ci-dessous) de l’assurance indicielle change la donne. Contrairement à l’assurance traditionnelle, qui fait appel à un expert in situ pour évaluer la perte économique lors d’un sinistre, l’assurance indicielle s’appuie sur des données biométriques (fournies par l’imagerie satellitaire ou par des stations météo de surface) ou sur des données de rendement moyen pour modéliser la perte liée par exemple à une pluviométrie insuffisante (schéma ci-contre). En supprimant les coûts d’expertise et en réduisant les coûts d’administration, de distribution et de transaction, cette approche innovante met l’assurance agricole à la portée des petites exploitations des pays en développement.      

Histoire de l’assurance indicielle
Le concept d’assurance indicielle, basée sur un indice de rendement, a été théorisé par les économistes Halcrow (1948) et Dandekar (1977). 1993 : les États-Unis introduisent le premier pilote d’assurance indicielle. 1999 : après plusieurs années d’expérimentation avec des indices de rendement, l’Inde déploie le National Agricultural Insurance Program. 2003 : entrée d’assureurs privés sur le marché indien de l’assurance agricole, et premier produit indiciel climatique proposé par ICICI Lombard. Années 2000 : multiplication des projets pilotes à travers le monde. 2009 : création d’un fonds multi-donneurs Global Index Insurance Facility géré par le groupe Banque mondiale et destiné à appuyer le développement du marché de l’assurance indicielle. 2015 : première conférence mondiale de l’assurance indicielle à Paris.

 

Atouts de l'assurance agricole indicielle

L’assurance indicielle évite les problèmes d’anti-sélection1  et d’aléa moral2  inhérents à l’assurance traditionnelle. Un agriculteur assuré n’a pas d’influence sur l’indice, qui repose sur des données objectives. Grâce à la réduction des coûts opérationnels, il est possible d’assurer des montants minimes pour de très petites exploitations et d’indemniser rapidement les bénéficiaires. De plus, l’agriculteur est incité à obtenir la meilleure production possible et à mettre en place des mesures de prévention, car son indemnisation ne repose pas sur sa situation individuelle, mais sur l’indice. En prenant en charge une partie des risques, l’assurance permet de déverrouiller la capacité d’investissement des petits producteurs qui pourront opter pour des stratégies plus rentables et obtenir plus facilement un prêt de récolte. Elle est ainsi un vecteur de développement et de modernisation des exploitations. De plus, lorsque l’assurance est liée au crédit, le capital emprunté est remboursé directement à l’institution financière en cas de sinistre. Ainsi l’emprunteur reste solvable pour la campagne suivante et le risque de défaut de l’agriculteur diminue sensiblement.

 

Une modélisation du risque encore difficile

La diffusion de ce nouveau type de produits peut rencontrer quelques obstacles. L’assurance indicielle a besoin de données fiables sur un historique suffisant. Puisque le travail de tarification s’appuie sur une modélisation du risque à assurer, la finesse de la tarification dépend de la qualité des données collectées. Dans de nombreux pays, ces données font défaut, notamment à cause d’un trop faible maillage du territoire en stations météo. Le risque de base – l’écart éventuel entre le dommage estimé par l’indice et la perte réelle subie par l’agriculteur – constitue le principal défi posé par l’assurance indicielle. Cet écart peut être lié à une erreur de calibration de l’indice, à une qualité insuffisante des données ou à la topographie. En outre, l’assurance indicielle agricole nécessite l’implication d’une chaîne complexe d’acteurs (schéma ci-dessus). La création de ce type de produit fait en effet appel à de nombreuses compétences (climatologues, agronomes, actuaires3 ). Cette complexité nécessite l’intervention d’opérateurs spécialisés (encadré ci-dessous), qui jouent à la fois un rôle de bureau d’étude et d’agent d’assurance.  

Garantie « semis », l’exemple d’ACRE-Africa
Créée en 2014 au Kenya à l’initiative de la Fondation Syngenta, ACRE-Africa a mis au point avec les semenciers une garantie de « re-semis ». La prime d’assurance est intégrée au prix du sac de semences, qui contient une carte avec un code. L’agriculteur active sa couverture en envoyant ce code par SMS. Cela déclenche la géolocalisation de son exploitation et ouvre une période de semis et de germination de trois semaines. Si, au cours de ces trois semaines, les indices révèlent un manque de pluie ayant entraîné l’échec de la germination, l’agriculteur est indemnisé du coût du sac de semences ou reçoit un bon pour obtenir un nouveau sac de semences et replanter au cours de la même saison.

L’assurance indicielle n’est pas adaptée pour gérer certains types de risques, comme le risque de prix. Elle vient compléter d’autres outils, qu’ils soient financiers (notamment des produits d’épargne adaptés) ou agronomiques (semences résistantes à la sécheresse, amélioration des techniques culturales, etc.). Enfin, malgré des coûts d’administration et de distribution faibles, son prix peut constituer une barrière, d’autant plus forte que le concept même d’assurance est souvent inconnu des petits agriculteurs, ou leur inspire une grande méfiance. Par ailleurs, les assureurs locaux doivent trouver auprès des grands réassureurs mondiaux des capacités de réassurance suffisantes à un coût acceptable.  

Un mécanisme prometteur à condition de politiques volontaires

L’arrivée de stations météorologiques autonomes à bas coût va améliorer la qualité, la régularité et la granularité4  des données collectées, et les innovations technologiques vont certainement permettre de réduire le risque de base.

Dans plusieurs grands pays (Inde, Chine, Mexique), il existe des politiques publiques très volontaristes de soutien à l’assurance indicielle. L’Inde a annoncé, en janvier 2016, sa volonté de porter à plus d’un milliard de dollars annuel le budget public dédié à l’assurance récolte, avec pour objectif de couvrir 50 % des surfaces cultivées (contre 23 % aujourd’hui). Le soutien public peut porter sur le subventionnement des primes d’assurance, mais aussi sur l’investissement dans les biens publics nécessaires au développement de l’assurance indicielle (infrastructures météorologiques, données, recherche et développement), voire sur des capacités additionnelles de réassurance ou de titrisation au niveau mondial. L’intervention financière des pouvoirs publics ne manquera pas de soulever des débats. Mais faut-il rappeler que l’assurance récolte est massivement subventionnée dans la plupart des pays développés, à hauteur de 5,6 milliards de dollars par an depuis 2007 aux États-Unis, par exemple ? Le soutien financier public remplira d’autant mieux ses objectifs qu’il obéira à des règles du jeu stables et prévisibles sur la longue durée, incitant les acteurs privés à s’engager eux aussi résolument dans le développement d’un marché prometteur. Dans d’autres pays, le développement de produits d’assurance indicielle et la création d’opérateurs spécialisés sont soutenus par les organisations internationales. C’est le cas en particulier de la Société financière internationale (SFI), qui gère un fonds fiduciaire dédié : la Global Index-Insurance Facility. Grâce à l’innovation technologique et à une coopération étroite et de long terme entre le secteur public et le secteur privé, c’est un marché de 430 millions d’exploitations agricoles qui s’ouvre au secteur de l’assurance, avec d’importants effets induits en termes de sécurité alimentaire. Les études d’impact menées dans plusieurs pays (Chine, Inde, Ghana, Malawi, Éthiopie) ont montré les effets positifs de l’assurance agricole pour les agriculteurs : augmentation des surfaces cultivées, de la demande de crédit, de l’investissement et des revenus (De Bock et Ontiveros, 2013 ; J-PAL et coll., 2016). Les gouvernements, les organisations internationales et les acteurs privés ont l’opportunité d’utiliser l’assurance agricole comme un levier pour lutter contre la pauvreté et renforcer la sécurité alimentaire. Elle est aussi un outil prometteur d’adaptation au changement climatique, comme reconnu lors de la COP21. En raison de ses bénéfices économiques et sociaux, l’assurance agricole est d’ailleurs, dans les pays en développement, un excellent « candidat » au financement du Fonds vert pour le climat.  

 

1 Quand un assureur est incapable de sélectionner les bénéficiaires selon leur niveau de risque, il pratiquera les mêmes conditions tarifaires (prime, indemnisation) pour tout le monde.
2 L’aléa moral désigne les pratiques opportunistes des individus qui, se sachant assurés, limitent leurs efforts de prévention et accroissent leur exposition au risque.
3 Un actuaire est un spécialiste de l’application du calcul des probabilités et de la statistique aux questions d’assurances, de finance et de prévoyance sociale.
4 Qui fait référence au niveau de précision des données.  

 

RÉFÉRENCES
De Bock, O. et Ontiveros, D., « Literature review on the impact of microinsurance », Microinsurance Innovation Facility, Research Paper, n° 35, 2013.
« Make it Rain », Policy Bulletin, Abdul Latif Jameel Poverty Action Lab, Center for Effective Global Action et Agricultural Technology Adoption Initiative, février 2016.
Hazell, P., Anderson, J., Balzer, N.,Hastrup Clemmensen, A., Hess, U. et Rispoli, F., « L’assurance basée sur un indice climatique : potentiel d’expansion et de durabilité pour l’agriculture et les moyens de subsistance en milieu rural », Fonds international de développement agricole et Programme alimentaire mondial, Rome, 2010.
Mahul, O. et Stutley, C., « Government support to agricultural insurance challenges and options for developing countries », Banque mondiale, Washington, 2010.
Sandmark, T., Debar, J. C. et Tatin-Jaleran, C., « Genèse et essor de la microassurance agricole », Document de réflexion, Microinsurance Network, Luxembourg, 2013.

Pierre Casal Ribeiro

Chargé de mission,
Fondation Grameen Crédit Agricole

Parcours

Pierre Casal Ribeiro a rejoint Pacifica et la Fondation Grameen Crédit Agricole en octobre 2014 en tant que Chargé de mission assurance agricole, dans le cadre de son doctorat en sciences de gestion à l’Université Paris Ouest – Nanterre La Défense. Sa recherche porte sur les modèles économiques de l’assurance agricole et les partenariats public-privé. Précédemment, Pierre a travaillé dans le conseil en développement durable et pour plusieurs ONG. Il a notamment travaillé pour l’IMF Fondesurco au Pérou, et pour PlaNet Finance à Paris et à Dakar. Pierre est diplômé de l’ESCP Europe et du European Microfinance Programme de la Solvay Business School à Bruxelles. Article publié sur Blog de la fondation FARM : Assurer les petits agriculteurs contre les risques climatiques : une opportunité et un défi

Jean-Luc Perron

Délégué général
Fondation Grameen Crédit Agricole

Parcours

Jean-Luc Perron a joué un rôle moteur dans la création de la Fondation Grameen Crédit Agricole, dont il est délégué général depuis 2008. D’abord conseiller financier auprès du ministre français de l’Agriculture, il est entré au Crédit Agricole en 1985. Ancien élève de l’École nationale d’administration (ENA), Jean-Luc Perron est également diplômé du Stanford Executive Program. Article publié sur Blog de la fondation FARM : Assurer les petits agriculteurs contre les risques climatiques : une opportunité et un défi

Fondation Grameen Crédit Agricole

La Fondation Grameen Crédit Agricole est née en 2008 à l’initiative du Crédit Agricole et en partenariat avec le Professeur Muhammad Yunus, Prix Nobel de la paix en 2006 et fondateur de Grameen Bank au Bangladesh. Dotée de 50 millions d’euros par le Crédit Agricole, la Fondation intervient en prêts, participations en fonds propres et en assistance technique auprès de 47 institutions de microfinance et de 13 entreprises de social business dans 27 pays en développement, principalement en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud.

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