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Hausse de la conteneurisation des échanges, évolution des infrastructures, multiplication des projets d’envergures... Depuis une vingtaine d’années, les ports africains connaissent un réel dynamisme. Pour autant, les freins qui entravent leur développement sont nombreux et les infrastructures portuaires ont encore beaucoup à faire pour s’aligner sur les standards internationaux.

En 2011, quelque 2,63 millions de conteneurs équivalents vingt pieds (EVP) ont été acheminés vers les ports de la côte ouest-africaine, dont 0,705 million depuis l’Europe du Nord et 1,925 million depuis l’Asie. En 2014, ces chiffres sont passés à 3,313 millions d’EVP, soit une hausse de 26 % en trois ans. Bien qu’important, ce chiffre doit être repositionné dans le contexte plus global de la conteneurisation du commerce mondial : en 2015, environ 630 millions d’EVP ont été échangés sur la planète. Néanmoins, l’augmentation des tonnages dans les grands ports d’Afrique de l’Ouest – +134 % de croissance entre 2009 et 2014 pour le port de Lagos ; +100 % pour le port de Pointe-Noire (ISEMAR, 2016) – témoigne d’un réel dynamisme. Cet envol de la conteneurisation en Afrique a été permis, par la croissance des économies et par une modernisation des ports et notamment les mises en concession portuaires survenues ces dernières années. Celles-ci ont grandement amélioré les capacités techniques des ports : nous avons vu apparaître des grues mobiles ou des portiques, permettant une nette accélération de la manutention. Il y a 25 ans par exemple, les rendements sans outillage de quai étaient de l’ordre de quatre ou cinq conteneurs traités par heure et par équipe, alors qu’aujourd’hui ces rendements atteignent une quinzaine de conteneurs en moyenne. Malgré des progrès notables, les ports africains souffrent encore de nombreux maux qui tendent à entraver leur développement.

 

AMÉLIORATION DE LA PERFORMANCE PORTUAIRE EN AFRIQUE

Depuis 20 ou 25 ans, les ports africains ont connu une forte croissance. Celle-ci a été rendue possible, entre autres, par la modernisation des équipements et des infrastructures, permise par l’intervention du secteur privé dans les investissements. Cela permet aujourd’hui d’avoir des outillages de quai et des taux de productivité plus proches de ceux que l’on retrouve sur le continent européen en matière de conteneurisation. Si l’Afrique reste un petit acteur du commerce international – les exportations mondiales de marchandises, en 2014, étaient de 3 % pour l’Afrique, 32 % pour l’Asie et 36,8 % pour l’Europe (OMC, 2015) – elle est néanmoins devenue un acteur incontournable et un passage obligé pour les grands armateurs internationaux. Les  ports  de  la  côte  ouest-africaine  sont  aujourd’hui largement fréquentés par les grands opérateurs de transport maritime. Au premier rang, on retrouve sans surprise les géants européens et leaders mondiaux que sont A.P. Moller-Maersk (Maersk), Mediterranean Shipping Company (MSC) et CMA CGM.

Ces derniers se doivent d’avoir une offre globale pour servir leurs clients et les accompagner sur tous les marchés.  

 

RÉORIENTATION DES FLUX VERS L’ASIE

Le regard des opérateurs en Afrique se tourne aujourd’hui de plus en plus vers l’Asie, et plus spécifiquement vers la Chine. Cette dernière, pour répondre à ses énormes besoins en matières premières, au premier rang desquels les hydrocarbures, les minerais ou encore le caoutchouc, opère une stratégie de diversification de ses approvisionnements tous azimuts. L’Afrique figure parmi les priorités des investissements chinois, notamment par le biais des nombreux contrats d’infrastructures obtenus, le secteur portuaire faisant figure d’investissement prioritaire. Le basculement des flux est aujourd’hui une réalité : il y a 20 ans, l’Europe tenait une place largement dominante en tant que destination privilégiée des importations et des exportations africaines ; aujourd’hui, l’Asie l’a supplantée – sans pour autant la faire disparaître – en amenant le commerce extérieur des marchandises conteneurisées du continent africain à 40 % en direction de l’Europe (en moyenne), contre 60 % vers l’Asie, variant selon les ports. Cette situation est assez facile à comprendre. Les exportations chinoises, qui dans le même temps ont pris leur essor, se composent essentiellement de produits de consommation à bas prix et le faible niveau de vie constaté en Afrique conduit ipso facto les marchés africains à privilégier ces marchandises. Mais ce n’est pas la seule explication et d’autres paramètres entrent en jeu, notamment le fait que la Chine s’installe de plus en plus comme une super puissance économique et qu’à ce titre elle dispose d’une « force de frappe » financière et de moyens considérables ; elle est en mesure de proposer des types de financements que n’offrent pas d’autres pays.

 

MONOPOLES ET COÛTS ÉLEVÉS DES TARIFS PORTUAIRES

Les ports ont avant tout vocation à alimenter leur pays et les corridors de transit qui y sont reliés. Ces derniers sont multiples et visent à connecter les pays sans littoral qui n’ont pas d’accès direct aux ports : en Afrique de l’Ouest, c’est le cas du Mali, du Burkina Faso ou encore du Niger. Aujourd’hui, le secteur portuaire d’Afrique de l’Ouest et du Centre fait face à un phénomène de concentration des acteurs, même si le jeu tend à s’ouvrir à de nouveaux entrants. Ces problèmes de monopole se conjuguent à un manque de fluidité, de longues durées d’immobilisation des conteneurs (souvent près de 20 jours en moyenne), rendant les ports africains très chers : si l’on en juge par les seuls terminaux à conteneurs, il est courant de constater des coûts de passage très fortement supérieurs aux coûts de passage connus en Europe (jusqu’à 1 500 euros pour la manutention, le stockage et la livraison locale, contre 250 à 300 euros en Europe). Si l’absence de concurrence peut en partie expliquer la hausse des tarifs, ce n’est pas le seul facteur. Il faut garder en tête qu’historiquement, les pays francophones ont été un modèle pour les ports africains, avec un processus administratif souvent lourd et peu adapté. Jusqu’à une période récente, ils ont été opérés de façon fortement étatique. La multiplication des contrôles effectués à la sortie des ports par différents organismes étatiques et de sécurité, des infrastructures routières souvent saturées, alourdissent considérablement les délais de traitement et finalement le coût de passage portuaire en Afrique. De plus, les difficultés de communication par la route sont encore nombreuses : vétusté du réseau, routes dangereuses car source d’agressions, voire tout simplement absence de réseau, pénalisent la compétitivité des ports. Autant de facteurs qui entraînent des coûts et des délais de livraison extrêmement pénalisants, de l’ordre d’un conteneur par jour livré par camion, alors que le trajet se limite parfois à seulement une dizaine de kilomètres. Enfin, il faut également prendre en compte un facteur d’échelle pour expliquer ces tarifs élevés. En effet, les ports africains sont globalement très petits, aucun ne figurant d’ailleurs dans la liste des plus grands ports de la planète : un grand port à conteneurs comme celui d’Abidjan (en Côte d’Ivoire) a un trafic annuel d’environ 700 000 EVP ; le port de Lagos (au Nigeria), avec ses deux terminaux, a vu transiter près de  1,5  million  d’EVP  en  2014.  Des  chiffres  remarquables, mais encore très loin des plus de 20 millions de conteneurs qui transitent par le port de Ningbo-Zhoushan (Chine), plus de 12 millions par le port de Rotterdam (Pays-Bas) et près de 10 millions à Anvers (Belgique).

 

QUEL AVENIR POUR LES PORTS EN AFRIQUE ?

Si l’évolution des infrastructures portuaires du continent laisse entrevoir une amélioration, beaucoup de travail reste à effectuer pour espérer les voir rivaliser avec des ports aux standards internationaux. Les ports africains semblent entrer dans un système à deux vitesses. Si l’on met de côté les ports d’Afrique du Nord – notamment Tanger Med, très bien implanté sur le détroit de Gibraltar – qui n’ont rien à voir avec les ports d’Afrique subsaharienne, il existe des infrastructures d’ancienne génération et d’autres sur le point d’augmenter largement leurs capacités, ou qui l’ont déjà fait. Ainsi, le port de Pointe-Noire (République du Congo) s’est équipé d’un quai de 15 mètres de profondeur pour accueillir des navires de plus gros tonnage ; deux nouveaux ports sont en projet à Lekki et Badagry (Nigeria) ; de nouveaux terminaux à conteneurs devraient voir le jour aux ports de Tema (Ghana) et d’Abidjan (Côte d’Ivoire). Une rupture finira par s’opérer entre les ports ne pouvant recevoir que des navires de 10 mètres de tirant d’eau maximum, et les autres. Les pays qui seront desservis en priorité seront ceux qui auront développé des capacités d’accueil à fort tirant d’eau et aux performances techniques améliorées. Les ports africains font face à un enjeu de taille : rester dans la course au gigantisme que mènent les armateurs, à l’origine d’une réorientation des flux des navires de plus grandes capacités. L’implantation de toute nouvelle desserte portuaire accueillant des navires d’une capacité de 18 000 EVP conduit à rediriger des navires de 13 000 EVP vers d’autres ports qui, à leur tour, obligent à rediriger des navires de 10 000 EVP, et ainsi de suite (on appelle cela du « cascading », en anglais). Cette course à la taille menée par les armateurs génère un effet boule de neige qui impacte directement les ports, ces derniers devant s’adapter tant en termes de capacité d’accueil que d’améliorations de leurs moyens techniques. La concentration des investissements sur les ports les plus modernes ou ceux à fort potentiel – notamment en tenant compte des infrastructures portuaires existantes et de l’hinterland – risque à terme de creuser davantage le fossé avec les ports africains, plus particulièrement les plus mal lotis. Les cartes maîtresses aux mains de l’Afrique restent le formidable dynamisme du continent ainsi que les opportunités de développement qui s’offrent aujourd’hui au secteur portuaire. Pour rester dans la course, l’Afrique devra miser sur les nouveaux investissements, sur l’amélioration de la qualité de service, mais aussi sur la diminution des coûts de passage. C’est un défi qui est lancé aux ports africains, que certains ont déjà décidé de relever.    

 

RÉFÉRENCES

ISEMAR, Terminalisation, spécialisation et enjeux logistiques des ports africains. Note de synthèse n° 179, avril 2016.
Disponible sur Internet : http://www.wk-transport-logistique.fr/outils/upload/note-de-synthese-isemar-179-ports-africains.pdf
Organisation mondiale du commerce (OMC), Statistiques du commerce international, 2015, p. 42.
Disponible sur Internet : https://www.wto.org/french/res_f/statis_f/its2015_f/its2015_f.pdf

Gilbert Meyer

Expert en économie portuaire et maritime
Catram Consultants

Parcours

Gilbert Meyer, docteur en économie, est expert en économie portuaire et maritime. Il a présidé jusqu’à fin 2016 le cabinet de conseil Catram Consultants, spécialisé en économie des transports. En début de carrière, il avait précédemment travaillé pour des ports du Sud de la France (Sète, Port-la-Nouvelle et Port-Vendres).

Catram Consultants

Le cabinet de conseil Catram Consultants a été créé en 1982. Il a aujourd’hui rejoint le groupe Inddigo. Il conduit toutes sortes d’études économiques relatives aux ports et à leur aménagement (études de faisabilité, schémas directeurs, études de marché, tarification, etc.), aux transports maritimes, fluviaux et ferroviaires. Présent en France, Catram Consultants possède également une forte activité internationale, principalement axée sur les pays d’Afrique francophone.

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