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Le développement du numérique a été l’une des réussites les plus éclatantes de l’Afrique au cours des quinze dernières années. Si les institutions publiques ont contribué à l’effort (financement des câbles sous-marins par les bailleurs de fonds, développement de services de e-gouvernement) force est de constater que le rôle des acteurs du secteur privé a été déterminant pour ce décollage africain. Mais c’est une histoire qui n’est pas encore achevée.

Se lancer dans le numérique nécessite d’abord des réseaux de télécommunication fonctionnels. Le développement de la téléphonie mobile, depuis la fin des années 90, a engendré un changement fondamental. Avec près des deux tiers des Africains disposant d’une ligne téléphonique¹ et d’un accès à Internet par mobile, les populations africaines sont de moins en moins enclavées. Ce succès est en grande partie lié aux actions des opérateurs de télécommunications et notamment des acteurs privés (MTN, Vodafone, Orange, etc.), qui dominent largement le marché africain. Maroc Télécom, avec le soutien de son actionnaire émirati Etisalat, étant le seul opérateur historique à avoir un succès panafricain. En développant un large réseau de distribution indirect, en proposant des offres prépayées, les opérateurs ont ainsi mis en œuvre des solutions qui ont permis de faire décoller les télécommunications comme jamais auparavant dans le continent africain.

La révolution du « mobile payment » en Afrique

L’une des autres grandes révolutions numériques est matérialisée par l’apparition du paiement mobile (m-paiement), ou mobile payment. Là encore, ce sont des acteurs du secteur privé qui ont lancé cette offre – Safaricom au Kenya avec M-Pesa, MTN en Côte d’Ivoire ou encore Orange en Afrique de l’Ouest – mais aussi des acteurs bancaires qui ont développé des offres similaires. Une part importante du développement du numérique est aussi portée par quelques grands groupes internationaux qui ont mis en place des services en Amérique du Nord ou en Europe, et qui proposent désormais leurs services en Afrique : la société Uber, bien connue pour son service de véhicules avec chauffeur, est ainsi présent dans une quinzaine de pays en Afrique ; Facebook y propose également ses services, y compris en mode allégé (par le biais de SMS, par exemple). Un domaine semblait jusqu’à présent échapper à la règle : celui du commerce en ligne. Si le géant Amazon est encore peu présent sur le continent, l’arrivée d’acteurs comme Jumia ou Afrimarket permet au e-commerce « à l’africaine » de prendre son essor. A une autre échelle, les start-ups du numérique sont aussi présentes. Le numérique est, avec l’énergie et les FinTechs, le secteur clé des start-up africaines. Certaines se développent même dans la production industrielle de terminaux (tablette, smartphone, etc.). Elles sont un souffle nouveau pour le continent.

De l’importance des partenariats public-privé

Ces exemples illustrent bien le rôle important du secteur privé dans le développement du numérique sur le continent africain. Il ne faut cependant pas croire que cela se fait sans l’intervention du secteur public, généralement dans une phase de régulation ou, dans de rares cas, pour mettre en place l’interopérabilité de services (en Tanzanie ou au Maroc, par exemple). Pour reprendre l’exemple des start-ups, les pouvoirs publics peuvent également être parties prenantes de cette transformation, en favorisant les incubateurs (à Dakar, à Brazzaville) ou en aidant des secteurs spécifiques (l’éducation ou la santé, par exemple). Les investissements publics dans le e-gouvernement (l’administration électronique) sont un exemple marquant du rôle des pouvoirs publics dans le numérique. L’Afrique numérique n’échappe pas non plus aux partenariats publics-privés (PPP), qui représentent des mécanismes importants de financement de projets. Ainsi, les grands projets de transformation de la gouvernance des Etats s’inscrivent souvent dans cette approche : l’utilisation, par exemple, des technologies numériques et biométriques pour la mise en place des états civils et de l’ensemble des documents administratifs (carte d’identité, passeport, etc.). Dans le domaine du numérique, cela revient concrètement à mettre en place une logique d’économie des plateformes, si l’on reprend la définition proposée dans l’ouvrage Platform Revolution² : « C’est une activité fondée sur la capacité des interactions créatrices de valeurs entre des producteurs et des consommateurs externes. La plateforme fournit une infrastructure ouverte et participative pour ces interactions et fournit aussi les conditions de gouvernance pour celles-ci. »

Un nécessaire travail en commun

Le développement en Afrique, qui nécessite de faire travailler acteurs du privé et du public, s’inscrit typiquement dans cette logique de plateforme où il s’agit de fédérer différents apports, provenant à la fois d’acteurs publics et privés, d’institutions établies comme start-ups, afin de proposer des services à différents types de clients/usagers/citoyens. Les modèles en cours de structuration en lien avec les smart cities, où il s’agit de mettre autour de nouveaux services différents acteurs publics ou privés (transport, énergie, eau, technologie, services de santé, de sécurité, services publics, etc.), sont au cœur de ces exemples d’approche par plateforme. L’étape suivante du développement du numérique en Afrique passe donc par un travail en commun de ces différents acteurs autour des plateformes numériques. Les applications concrètes qui vont en découler sont nombreuses. Notamment la question fondamentale de la monétisation des données. En effet, pour avoir des modèles de développement pérennes, la capacité des acteurs publics comme privés de monétiser de nouveaux services et l’ensemble des données collectées est structurante. Là encore, la coordination entre acteurs publics et privés sera l’un des éléments clé. La pérennité sera amenée par la capacité d’avoir des modèles de monétisation de ces données (dans un cadre réglementaire défini) et donc de déployer des plateformes permettant de jongler entre des services relevant du service public et d’autres de la sphère privée. Le numérique permet aujourd’hui de rendre les deux compatibles et facilement modifiables, selon le niveau de maturité et de développement.

 

¹ Il faut se méfier des chiffres officiels, et certains taux de pénétration du mobile supérieur à 100 %, qui ne tiennent pas compte de l’effet « multisim », c’est à dire le fait d’avoir plusieurs téléphones pour une même personne
² Geoffrey G. Parker, Marshall W. Van Alstyne, Sangeet Paul Choudary, Platform Revolution: How Networked Markets Are Transforming the Economy--And How to Make Them Work for You, New York., W.W.Norton & company, 336 pages, 2016. Pas encore traduit en français la traduction est donc la nôtre

Jean-Michel Huet

Associé
BearingPoint

Parcours

Associé chez BearingPoint, Jean-Michel Huet est en charge des pays émergents. Il a travaillé pour différentes institutions et conduit des missions liées au développement international, essentiellement en Afrique. Auteur de Et si les télécoms n’existaient pas ? (Pearson, 2010) et Le meilleur de la stratégie et du management (Village Mondial, 2009), il a aussi publié de nombreux articles, notamment sur les stratégies d’entrées, le management et la convergence.

BearingPoint

BearingPoint, société européenne basée aux Pays-Bas, est spécialisée dans le conseil en management et en technologie. Couvrant plus de 70 pays, forte de 140 associés, de 3350 consultants et bénéficiant d’un réseau international de partenaires, BearingPoint est bien implantée en France où elle est un des principaux acteurs sur le marché du conseil opérationnel. La société compte parmi ses clients des entreprises cotées au CAC 40 et les grandes administrations depuis plus de 10 ans.