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En 2008, paraissait le Rapport sur le développement dans le monde de la Banque mondiale. Co-écrit notamment par Alain de Janvry et Elisabeth Sadoulet, ce rapport mettait en lumière l’agriculture comme « outil de développement essentiel pour atteindre les Objectifs de développement pour le Millénaire » visant à réduire de moitié, d’ici 2015, le pourcentage de personnes souffrant d’extrême pauvreté et de faim dans le monde. Dix ans après, les deux co-auteurs reviennent sur les enseignements de ce rapport.


Proparco : Qu’est ce qui a changé dix ans après la publication du Rapport sur le développement dans le monde sur l’agriculture ?

A. de Janvry & E. Saduolet : L’observation principale du rapport était que les pays à forte composante agricole et ayant une majorité de leur pauvreté dans le secteur rural, donc les pays africains en général, devaient investir plus dans l’agriculture, y compris l’agro-industrie, pour tirer tout le potentiel de ce secteur à accélérer la croissance et réduire la pauvreté. En 2007, seulement trois pays africains investissaient plus de 10 % de leur budget public dans l’agriculture (seuil minimum recommandé par le CAADP ) ; ils étaient dix en 2009, juste après le choc de la crise mondiale de l’alimentation, mais ne sont plus que deux aujourd’hui. Pourtant, investir dans l’agriculture peut être très profitable et constitue un levier important de réduction de la pauvreté, qui reste en grande majorité rurale et liée à l’agriculture. D’autant plus que les perspectives d’industrialisation intensive, qui nécessite beaucoup de main d’œuvre peu qualifiée, sont fortement compromises par la robotisation et le rapatriement de ces industries vers les pays à capacité technologique avancée. L’enjeu consiste donc à investir plus mais surtout mieux dans l’agriculture que dans le passé pour intéresser les gouvernements.

 

Quelles sont les recommandations pour améliorer la compétitivité des petits producteurs ?

Une façon potentiellement convaincante de mieux investir dans l’agriculture est d’assurer la compétitivité des petits producteurs dans les chaînes de valeur, tant sur le marché domestique qu’international. Cela requiert un effort coordonné entre pouvoirs publics – pour assurer en particulier l’infrastructure et le système juridique –, secteur privé – pour mettre en place des contrats porteurs de ressources telles qu’intrants modernes, crédit, assurance, et assistance technique – et société civile – pour transmettre aux organisations de producteurs la capacité et la discipline nécessaires aux relations contractuelles. Cette approche a montré sa capacité à promouvoir la compétitivité des petits producteurs et augmenter leurs revenus mais reste sous-utilisée, en particulier par manque de savoir-faire. Elle renverse la causalité de la modernisation de l’agriculture paysanne en partant de la demande effective perçue par un agent commercial pour remonter en amont en construisant une chaîne de valeur porteuse du changement technologique au niveau des producteurs. En cela, elle remplace ou complète l’approche classique qui consiste à encourager le changement technologique en s’attaquant aux contraintes à l’adoption – au lieu de créer les incitations à l’adoption du côté de la demande –, et qui a montré ses limites au vu de la stagnation des rendements des cultures vivrières et de l’utilisation des engrais chimiques en Afrique subsaharienne.

 

Qu’est-ce que les partenaires techniques et financiers comme les institutions financières de développement devraient mettre en place pour accompagner cela ?

Il existe de multiples formes de participation des petits producteurs aux chaînes de valeur et à la mise en place de contrats. Pour qu’une chaîne de valeur soit efficiente et inclusive, il est particulièrement important de s’assurer de la bonne coordination des acteurs. Les institutions financières de développement peuvent agir à différents niveaux, en utilisant leur palette d’outils : financement des acteurs privés dominants d’une chaîne de valeur qui ont un intérêt propre à assumer un rôle de coordinateur ayant des retombées sociales ; appui au renforcement de capacités des organisations paysannes et à l’accès au capital, notamment humain.

Comme le succès est difficile à obtenir et à soutenir, et qu’il reste beaucoup à découvrir sur la façon d’aborder le problème pour des produits différents et dans des contextes particuliers, la recherche est essentielle. Il s’agit plus que tout d’expérimenter d’une façon qui soit utile à la prise de décision et à l’action, via des modèles de gestion alternatifs. C’est précisément les résultats de cette recherche qui pourront convaincre les gouvernements que l’investissement dans l’agriculture a un véritable impact sur l’économie et la société. Note de bas de page : 1 Le Programme détaillé de développement de l'agriculture africaine (CAADP en anglais) définit le cadre de la politique de l'Afrique pour la transformation de l'agriculture, la création de richesse, la sécurité alimentaire et la nutrition, la croissance économique et la prospérité.

Alain de Janvry

Économiste et professeur

Parcours

Alain de Janvry est économiste, spécialisé sur les questions de développement en Amérique latine, Afrique subsaharienne, Moyen-Orient et sous-continent indien. Alain de Janvry a travaillé avec de nombreux organismes internationaux de développement (FAO, FIDA, Banque mondiale, PNUD, OIT, GCRAI, Banque interaméricaine de développement). Il enseigne à l’Université de Californie à Berkeley en tant que professeur d'agriculture et d'économie des ressources. Il est membre de l'American Agricultural Economics Association et membre de l'Académie d’agriculture de France.

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