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Selon Aiaze Mitha, entrepreneur et expert des fintech, les nombreuses innovations numériques qui voient le jour et existent déjà pourraient transformer chaque étape de la chaîne de valeur du financement, ouvrant une nouvelle ère et de nouvelles perspectives pour les PME.

Avec un besoin de financement estimé à près de 700 milliards de dollars1, l’accès au crédit représente un enjeu vital pour les PME africaines ainsi que pour les communautés qui les hébergent. Avec l’agriculture, les PME constituent en effet le principal moteur du développement économique et social de nombreux pays. Les besoins de financement des PME varient considérablement selon les segments considérés et leur niveau de formalisation. Tandis que les PME de taille moyenne visent généralement la croissance, voire la conquête de nouveaux marchés, les microentreprises sont pour la plupart des entités unipersonnelles avec pour principale vocation de générer un revenu complémentaire pour le foyer. Ainsi, les PME formelles constituent aujourd’hui un élément essentiel du tissu économique : elles contribuent jusqu’à 60 % de la masse salariale et à hauteur de 40 % du produit national brut (PNB) des pays en développement, et sont à l’origine de 4 emplois formels sur 52>/sup>. L’un des principaux obstacles au crédit réside dans le déficit d’accès au système bancaire traditionnel. Des difficultés persistent à plusieurs niveaux. Il est souvent ardu et coûteux pour les institutions financières traditionnelles d’atteindre et servir les PME là où elles se trouvent à travers leur réseau d’agences. Par ailleurs, le manque de documentation et de données fiables au sein des PME, doublé de l’absence d‘expertise comptable permettant de prédire avec assurance les flux financiers futurs, rend l’analyse de risque plus complexe. Enfin, il est difficile pour les institutions financières de s’assurer que le crédit octroyé est bien employé à des fins productives et le recouvrement est souvent fastidieux. Il en résulte qu’une partie significative des besoins de financement des PME est satisfaite dans le secteur informel, avec des taux d’intérêt pouvant atteindre jusqu’au double des taux commerciaux.

 

ÉMERGENCE DE NOUVEAUX OUTILS À DESTINATION DES PME

Cependant, de nouveaux modèles émergent portés par la révolution numérique soufflant sur le continent africain depuis quelques années, avec comme figure de proue le « mobile money » et les fintech. Ces modèles basés sur l’innovation numérique ont révolutionné l’écosystème des paiements en Afrique, permettant le développement de services financiers innovants et inclusifs. Une question se pose naturellement : cette vague d’innovation numérique peut-elle permettre de résoudre le problème de l’accès au financement pour les PME ? Au-delà des obstacles déjà mentionnés, les besoins des PME sont souvent trop élevés pour des institutions de microfinance traditionnelles et trop faibles ou risqués pour les banques. Pour leur part, les innovations numériques, par les modèles d’affaires innovants qu’elles permettent, apportent des solutions disruptives à ces problèmes.

Le coût du capital constitue souvent un obstacle important pour les institutions souhaitant financer les PME, l’épargne publique étant prioritairement redirigée vers des clients moins risqués. Un coût de capital élevé sur les marchés de capitaux aura pour conséquence de rendre le coût de crédit inaccessible aux PME.

 

COÛT DE FINANCEMENT DES CRÉDITS ET COÛT D’ACQUISITION CLIENT

De nouvelles plateformes de crowdfunding ou de « peer-to-peer lending » telle que Kiva.org, déjà active dans plus de 80 pays, permettent de mobiliser capitaux privés et institutionnels de manière plus efficace, offrant des solutions de financement viables aux PME. Les coûts d’acquisition client sont traditionnellement élevés du fait du manque relatif de sophistication des clients PME et de la nécessité d’un entretien personnel guidé à chaque demande de crédit. Là encore, les solutions numériques apportent un gain d’efficacité. Les outils de numérisation des forces de vente permettent déjà aux institutions financières d’augmenter le rendement de leurs agents de crédit en automatisant la collecte d’information sur le terrain à partir de formulaires opérés au moyen de tablettes, réduisant ainsi le coût d’acquisition client. Cette digitalisation de la collecte d’information client simplifie le recueil des données, évite les redondances, réduit le risque d’erreur causé par les entrées manuelles et permet un traitement plus efficace et plus rapide des demandes de crédit.

Par exemple, l’utilisation de telles solutions par Musoni au Kenya a augmenté la productivité des agents de crédit de près de 68 %. Par ailleurs, les plateformes rendent également possibles de nouvelles formes de partenariat permettant aux institutions financières d’acquérir, voire de servir de nouveaux clients.

C’est le cas de M-Shwari, la plateforme numérique de crédit lancée par le fournisseur de paiements mobiles M-Pesa en partenariat avec la banque CBA, permettant ainsi à cette dernière d’octroyer des crédits instantanés aux clients de M-Pesa à des coûts d’acquisition très faibles. Selon des estimations réalisées par le cabinet Amarante Consulting, pas loin de 40 % des crédits octroyés par M-Shwari le seraient à des micro-entreprises, ce qui pourrait rendre ce type de plateforme particulièrement efficace pour le financement des TPE. Enfin, d’autres acteurs innovants s’appuient également sur des solutions numériques pour acquérir leurs clients de manière plus économique, que ce soit Kopo Kopo à travers les outils utilisés par son personnel sur le terrain, ou Tala à travers son application mobile, dont la promotion se fait sur les réseaux sociaux et autres canaux numériques.

 

ANALYSE DE CRÉDIT

Habituellement, les données requises pour l’analyse de crédit sont collectées manuellement au format papier. Cette collecte repose souvent sur la relation personnelle entre la PME et l’agent de crédit, ainsi que sur la disponibilité de ces informations, et est particulièrement onéreuse. De nouvelles solutions innovantes permettent désormais de collecter des données dites alternatives d’entrée aux algorithmes de scoring de manière digitale. Certaines sociétés fintech telles que Tiaxa ou Jumo, spécialisées dans le crédit scoring s’appuyant sur des données alternatives, recueillent des milliers de points de données relatifs aux paiements mobiles effectués par les PME, leur utilisation des réseaux sociaux, ou encore leur profil d’usage des services mobiles pour alimenter leurs algorithmes, et rendent ainsi l’analyse de crédit possible en l’absence d’informations traditionnelles. Dans le même esprit, la digitalisation croissante des chaînes de valeurs agricoles (le cacao en Côte d’Ivoire, le café en Ouganda ou le coton en Zambie) ou des chaînes FMCG (produits de grande consommation) permet de rendre visible des données transactionnelles, rendant l’estimation des flux financiers des points de vente possible. Par ailleurs, la disponibilité de sources de données plus complexes avec les progrès de l’imagerie satellitaire ou par drone, ou encore l’exploitation des données météorologiques permettent à des sociétés comme FarmDrive d’automatiser l’analyse de crédit pour les petits exploitants. Tandis que des fintech comme Lenddo utilisent les données des réseaux sociaux, Facebook notamment, pour alimenter leur moteur de décision. 4G capital, quant à elle, a recours à des questions psychométriques pour l’évaluation des PME en Afrique de l’Est. Enfin, le développement du e-commerce fournit également des informations précieuses pour la décision de crédit. Ainsi Jumia, un des leaders du e-commerce en Afrique, dispose-t-elle d’une offre de crédit ciblant les PME ayant vendu plus de 25 produits en ligne sur une période de six mois, pour un montant total supérieur à 100 000 naira (290 euros). Quant à Lidya, basée au Nigeria, elle fournit d’abord des outils numériques aux PME, dont un outil de gestion des factures, pour s’appuyer ensuite sur ces informations pour prendre ses décisions de crédit puis collecter les remboursements directement auprès des acheteurs. À ce jour, près de 120 000 PME utilisent sa solution de gestion de facture et auront donc potentiellement accès à un financement de Lydia.

 

DÉCAISSEMENT ET REPAIEMENT

Le décaissement pose souvent des difficultés dans le cas de PME se trouvant dans des zones mal desservies par les institutions financières. Là encore, les technologies tel que le « mobile money » (plus de 132 déploiements à travers l’Afrique et près de 400 millions de comptes enregistrés3) apportent une touche d’efficacité en permettant aux crédits d’être déboursés directement dans un compte électronique opéré à partir du téléphone portable. Certaines innovations permettent également, en lien avec des fournisseurs, de décaisser le crédit directement au fournisseur en échange de produits délivrés à la PME. De plus en plus, les PME utilisent des moyens de paiements électroniques, que ce soit des comptes électroniques, des terminaux POS, ou encore le « mobile money ». De nombreuses innovations s’appuient sur ces moyens de paiement électroniques pour permettre un recouvrement automatique. Par exemple DPO group, un fournisseur de services de paiements en Afrique s’appuie sur ses données internes pour fournir du crédit à des PME en Tanzanie et en Ouganda, et utilise le débit automatique comme premier levier de recouvrement. D’autres, tels que Instamojo ou Kopo Kopo, pratiquent également le débit automatique pour collecter les remboursements tandis que Tala s’en remet au repaiement volontaire.

À tous les niveaux de la chaîne de valeur du financement des PME, des entreprises ou des technologies innovantes apportent des réponses permettant de réduire les coûts, accroître l’efficacité et changer d’échelle. La question de l’accès au financement des PME, si elle n’est pas encore tout à fait résolue, connaît sans aucun doute une nouvelle ère d’opportunités.  

 

1 Selon la Banque mondiale
2 BlueOrchard (2017). SMEs and SDGs: Supporting small and medium enterprises to achieve the sustainable development goals.
3 https://www.gsma.com/mobilefordevelopment/wp-content/uploads/2019/02/2018-State-of-the-Industry-Report-on-Mobile-Money.pdf

Aiaze Mitha

Entrepreneur numérique, ambassadeur auprès de l’UNCDF

Parcours

Aiaze Mitha est spécialiste de la finance et de la transformation numérique en Afrique, Asie et Amérique latine. Il conseille des organisations telles que la Banque mondiale, la SFI, le CGAP, la Mastercard Foundation et l’AFD, et soutient l’accélération de l’innovation numérique avec l’UNCDF (United Nations Capital Development Fund), en mettant l’accent sur le développement des économies numériques. Auparavant, Aiaze était Chief Officer chez Tiaxa, une fintech de prêt numérique dans les marchés émergents, et a dirigé M-Paisa en Afghanistan. Il détient une maîtrise en Sciences de l’Université du Québec et est diplômé de Télécom Paris.