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Grand consommateur d’énergies fossiles, le secteur industriel est le principal secteur émetteur de gaz à effet de serre (GES). Pourtant, les projets d’efficacité énergétique dans le secteur de l’industrie, principal levier de réduction d’émissions de GES, ne sont pas aussi nombreux qu’ils pourraient l’être – et l’accès aux financements n’est pas le seul frein à leur développement, même s’il est l’un des principaux. Comment, dans ces conditions, favoriser la transition énergétique du secteur industriel, en particulier dans les pays en développement ?

 

L'industrie représente, à l’échelle mondiale, 25 % de la consommation d’énergie finale. Mais, du fait de ses besoins importants en électricité, souvent liés à l’utilisation de combustibles fossiles, l’industrie consomme environ 40 % de l’énergie primaire mondiale. Elle est donc, à ce titre, l’une des activités les plus émettrices de gaz à effet de serre. Pour réduire ces émissions, l’accent est en général mis sur l’efficacité énergétique des bâtiments ou sur la production d’énergie renouvelable intermittente – mais cette dernière ne suffira pas à alimenter l’industrie de demain, en particulier dans les pays en voie de développement. En parallèle, la décarbonation des procédés industriels avance lentement, faute de marché et de moyens. La part de l’industrie dans le PIB français a été divisée par deux en 40 ans, suivant une tendance générale dans pratiquement tous les pays de l’OCDE. Ce déclin conduit à un désintérêt pour les innovations industrielles, supplantées par l’innovation dans le secteur numérique et les services. Ce déficit d’intérêt pour l’innovation dans les technologies « bas carbone » se traduit aussi par l’échec de son financement (Gaddy et alii, 2016). Le système de crédits carbones mis en place dans le cadre de l’accord de Kyoto n’est pas suffisamment incitatif et aujourd’hui, les mécanismes d’aide à l’investissement ou au financement d’équipements destinés à décarboner l’industrie ou la production d’énergie des pays en développement n’existent quasiment plus. La question du financement est centrale et constitue un des principaux freins à la transition énergétique du secteur industriel. Mais il n’est pas le seul.

 

LES FREINS AU CHANGEMENT

L’efficacité énergétique industrielle n’est pas encore réellement au cœur des priorités des acteurs du secteur de l’énergie. Ce manque d’intérêt touche aussi bien les activités liées à la production d’énergie (en particulier dans le pétrole et le gaz) que la préférence qui est en général donnée à la création de nouvelles capacités de production. Dans les pays en développement, les industriels produisent souvent l’énergie dont ils ont besoin. L’économie réalisée grâce à l’efficacité énergétique électrique concerne uniquement, dans ce contexte, le combustible qui est économisé pour produire de l’électricité. Et comme les centrales sont en général thermiques, qu’elles fonctionnent au charbon ou au fuel lourd, le combustible n’est en général pas très coûteux, rendant les gains liés à l’efficacité énergétique peu attractifs. Le principal obstacle au remplacement des combustibles fossiles par des sources sans CO2 est donc le faible coût de ces combustibles. Pour que les projets de décarbonation de l’industrie voient le jour, il faut que leur rentabilité s’améliore. Si, dans le principe, la levée d’une taxe carbone pourrait y concourir, les pays en développement n’ont pas les moyens de taxer les combustibles fossiles. Il est donc indispensable que les méca-nismes d’appui isolent les nouvelles filières tech-nologiques, pour les protéger des fluctuations du prix du pétrole. Au moins pour un temps. La concentration de l’activité industrielle ne favorise pas non plus toujours la mise en œuvre de solutions innovantes en matière d’économie d’énergie. Cela s’explique de multiples façons : les industriels sont réticents à mobiliser des compétences et des technologies externes, et à collaborer avec des PME industrielles souvent fragiles.

Pour se déployer, les technologies industrielles d’efficacité énergétique et de production de combustibles décarbonés ont, de toutes façons, besoin de prescripteurs. Certains ingénieurs-conseils savent identifier les besoins et les ressources, connaissent les nouvelles technologies et peuvent conseiller les industriels. Faute de premiers contrats leur permettant d’acquérir les références utiles et les compétences nécessaires, ces prescripteurs sont aujourd’hui rares et peu formés. À l’autre bout de la chaîne, les industriels ont besoin de sociétés de service énergétique (ESCO, pour Energy service company) pour mettre en œuvre et exploiter ces nouvelles technologies. Nombreuses en Chine, les ESCO sont aujourd’hui rares ailleurs et ne capitalisent que très peu sur une offre technologique innovante et ciblée. Que ce soit pour remplacer le coke par de l’hydrogène sans CO dans les hauts-fourneaux, transformer du gaz torché en électricité ou récupérer la chaleur fatale1 sur les cheminées d’une cimenterie, le déploiement de nouvelles technologies est risqué. Les rares sociétés ESCO et les industriels eux-mêmes ne sont pas bien placés pour porter seuls les risques. Il faut mettre en œuvre les financements qui leur permettent de supporter les risques liés à ces projets, pour leur permettre par exemple de collaborer dans la durée avec de nouvelles filières technologiques – ce qui leur permettra de se renforcer.

 

DES CONDITIONS FAVORABLES POUR DÉVELOPPER L’EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE   INDUSTRIELLE

Il semble inévitable que la décarbonation du secteur passe, au moins sur une période donnée, par des mécanismes de subvention qui permettent de rentabiliser l’investissement dans des technologies peu rentables aujourd’hui. Ce soutien, qu’il prenne la forme d’un tarif de rachat, d’une taxe, de droits de douane carbone, ou d’un certificat d’économie d’énergie, a pour seule alternative la contrainte réglementaire, que les industriels ne souhaitent pas. Les « green bonds » et les fonds impacts semblent peu efficaces dans ce domaine, s’ils ne sont pas associés à ces mécanismes2. Il faudrait aussi financer des études de faisabilité permettant de souligner les bénéfices liés à l’amélioration de l’efficacité énergétique de certaines industries dans les pays où l’approvisionnement en énergie est contraint. Un programme d’assistance aux projets d’efficacité énergétique dans l’industrie, similaire à celui qu’on trouve dans le bâtiment avec le PEEB (Program for Energy Efficiency in Buildings), donnerait une impulsion réelle au domaine. L’efficacité énergétique industrielle ne se déploiera pas non plus sans tiers-financement3, que rendent possible par exemple les ESCO, sociétés de service énergétiques spécialisées capables de déployer rapidement des technologies complexes (voir Encadré). Il faut appuyer la création et le financement de ce type d’acteurs, faute de quoi les nouvelles technologies d’efficacité énergétique industrielle ne se développeront pas. La Chine a aujourd’hui un rôle pionnier dans ce domaine en enregistrant, en 2017, 58 % de l’activité mondiale de l’efficacité énergétique sur le modèle ESCO, pour un montant de 17 milliards de dollars (IEA, 2019). L’Europe devrait mettre en place et favoriser des partenariats avec la Chine dans ce domaine, pour développer ensemble les solutions compétitives dont les industries des pays du Sud ont besoin. Les concentrations industrielles en cours depuis des décennies ont créé de grands groupes à vocation mondiale ; ils devraient être sensibles à une approche globale de la maîtrise de leur consommation d’énergie, en particulier dans le cadre de partenariats avec des acteurs du développement comme Proparco, avec des PME technologiques, des ESCO et des ingénieurs-conseils. Ce type de partenariat combinerait le cofinancement d’études à la mise en œuvre de projets en tiers-financement, via des sociétés ESCO. Ils pourraient contribuer, à travers une obligation de réserver une partie des économies d’énergie, à alimenter les installations publiques établies aux alentours des sites industriels. D’ailleurs, il faudrait que tous les nouveaux investissements industriels, lorsqu’ils sont financés ou garantis par des organismes bilatéraux, proposent les meilleures technologies en matière d’efficacité énergétique. Ainsi il ne devrait pas y avoir de scierie, rizerie ou huilerie sans cogénération biomasse, pas de centrale diesel, incinérateur ou station de compression de gaz sans valorisation de la chaleur fatale, etc.

 

CONCLUSION

Industrie et climat sont donc compatibles. Il ne faut pas oublier, en effet, que si l’industrie est grande consommatrice d’énergie, elle est elle même, potentiellement, une source d’énergie « circulaire ». C’est déjà le cas par exemple dans l’agro-industrie, où la balle de riz, la bagasse de canne à sucre ou les tiges de coton représentent des ressources énergétiques importantes qui peuvent être valorisées localement. Dans le secteur du ciment, du verre ou dans le transport du gaz naturel, c’est l’énergie perdue dans les fumées qui peut se transformer en chaleur et en électricité.

Ce potentiel sera pleinement exploité si les pouvoirs publics, les organisations internationales, les entreprises, les pays concernés, leurs populations et les ONG travaillent ensemble à favoriser les projets d’efficacité énergétique. Prendre en compte à la fois les besoins de l’industrie et l’urgence climatique sera d’autant plus possible si la Chine et l’Inde participent, dans le cadre de partenariats internationaux, au déploiement de technologiques innovantes participant à l’indispensable transition énergétique. L’environnement est un bien commun qui a besoin que toutes les parties prenantes avancent de manière concertée pour le protéger. 

 

1 L’énergie fatale (ou énergie de récupération) est la quantité d’énergie inéluctablement présente ou piégée dans certains processus ou produits, qui parfois - au moins pour partie - peut être récupérée et/ou valorisée. Ces énergies peuvent prendre différentes formes (chaleur, froid, gaz, électricité). Source : Wikipédia, article Énergie de récupération, consulté le 05/09/20
2 Voir à ce sujet : https://www.xerfi.com/economie/emission/Anton-Brender-Le-capitalisme-ne-s-adaptera-au-defi contrainte_3748380.html (consulté le 05/09/20).
3 Le concept de « tiers-fi» consiste à proposer une offre de rénovation énergétique qui inclut le financement de l’opération et un suivi post-travaux, de telle sorte que le propriétaire n’a rien à financer car les économies d’énergies futures remboursent progressivement tout ou partie de l’investissement (source : http://www.planbatimentdurable.fr/tiers-fi.html, consulté le 05/09/20).

Gilles David

Cofondateur et PDG

Parcours

Cofondateur d’Enertime et PDG, Gilles David est ingénieur électricien de formation. Il a passé la majeure partie de sa carrière dans l’industrie de l’énergie : chez Cegelec, il s’occupait d’équipements de production d’énergie hydroélectrique avant d’intégrer, puis de diriger, Alstom Philippines. De retour en France, il créé l’activité Énergie distribuée-bioénergie au sein d’Alstom T&D, qui deviendra Areva Bioénergies

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