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La confection de vêtements est devenue en soi une véritable activité marchande. Cependant, les opérations de découpe et de couture ne sont pas, en tant que telles, commercialement viables. Les entreprises du secteur doivent donc proposer des services complémentaires et diversifier leurs portefeuilles de clientèle – y compris en développant, le cas échéant, leurs propres produits. Il faut donc qu’elles prennent en compte toutes les étapes de la chaîne de valeur de leur secteur, en parvenant à apporter de la valeur ajoutée à chacune d’entre elles. Le GTEX propose à cet effet une théorie du changement (la « courbe en sourire ») visant l’accroissement de la valeur ajoutée et apporte un soutien à sa mise en œuvre dans les six pays où le programme GTEX concentre son action.

avertissementArticleMatthiasKnappeLe Programme mondial pour le textile et l’habillement (GTEX) s’attaque aux défis sectoriels que rencontrent couramment de nombreux pays en développement. Ces défis sont liés à l’évolution des modèles commerciaux exigée par les marques et les distributeurs. Car désormais, s’appuyer essentiellement sur la proximité géographique et l’accès préférentiel à un marché ne suffit plus pour satisfaire des clients de plus en plus tournés vers une approche de coût complet, et qui souhaitent vendre à leurs consommateurs des vêtements au prix du marché, sans réduction.

Et les défis sont effectivement nombreux. Dans les pays en développement, la diversification commerciale est généralement peu importante, la dépendance aux opérations de base (taille et couture) est forte, avec un niveau de service assez faible, une productivité insuffisante et des approches techniques inadaptées. Il n’y a, en outre, que très peu d’intégration en amont : les matières premières (tissus et fournitures) sont majoritairement importées. L’encadrement intermédiaire des entreprises est souvent en grande partie constitué d’expatriés, car elles ont du mal à identifier les compétences locales pour ces postes. Les problématiques sociales et environnementales ne sont pas toujours suffisamment prises en compte. Enfin, dans le secteur, les institutions sont souvent trop faibles pour aider les entreprises à relever efficacement ces différents défis – ce qui explique que le programme GTEX intervient à la fois au niveau des entreprises et au niveau institutionnel.

ArticleMatthiasKnappeGtex

THÉORIE DU CHANGEMENT

La théorie du changement proposée par le Programme peut être schématisée par une « courbe en sourire » (smiley curve, voir ci-dessous) ; elle vise à accroître la valeur ajoutée dans la chaîne de valeur mondiale du vêtement. La courbe montre de façon synthétique où et avec quelle offre de services les entreprises vont pouvoir capter de la valeur – et en créer davantage dans leurs opérations. Cette approche permet également d’identifier des opportunités de collaboration plus étroite au niveau régional, afin de répondre aux problèmes de « chaînons manquants » dans cette chaîne de valeur. Les étapes les plus importantes dans la création de valeur concernent les services immatériels et les phases de préproduction (côté gauche du « sourire ») et de postproduction (côté droit de la courbe).

ArticleMatthiasKnappeChangementGtex

Le simple assemblage des vêtements est devenu une activité commerciale assimilable à une matière première. La « pente » de la « courbe en sourire » s’est, de ce fait, accentuée, reflétant un recul de la part des tâches d’assemblage dans l’apport de valeur. Pour beaucoup d’entreprises, ArticleMatthiasKnappeReperesGtexla réalisation d’opérations consistant à couper et coudre ensemble des vêtements ne constitue donc plus un positionnement souhaitable, ni viable. Si la productivité, la rationalisation des processus et la conformité des unités de production avec les normes sociales et  environnementales sont nécessaires pour consolider l’actuelle clientèle, elles ne suffisent pas non plus à assurer la croissance. Il pourrait même s’avérer dangereux de se reposer uniquement sur des avantages de coûts, nécessairement temporaires. Il faut donc aller au-delà de la production et proposer d’autres services, tout en diversifiant les portefeuilles de clients.

DÉVELOPPER LA COMPÉTITIVITÉ DES PME POUR GRAVIR LA CHAÎNE DE VALEUR

Fort de ces constats, le programme GTEX-MENATEX apporte son soutien aux entreprises de pays en développement pour leur permettre de renforcer leur capacité à capter plus de valeur ajoutée tout au long de la chaîne de valeur. En diversifiant leurs activités, les entreprises sont plus en mesure de passer des simples opérations de coupe et d’assemblage à une offre complète, voire, dans certains cas, au développement de leurs propres produits.

L’apport de valeur ajoutée par la prestation de services débute au stade de la production : elle passe par l’introduction de techniques de fabrication optimisées et par la performance sociale et environnementale de l’entreprise. Au niveau de la préproduction, le Programme s’attache à renforcer les compétences nécessaires aux achats de tissus et d’ornements. Il propose aussi des formations sur le développement de produits, le design et la création. En postproduction, il se concentre sur l’acquisition d’expertise en marketing et en stratégie de marque, et des techniques de développement commercial.

Pour glisser progressivement vers la droite, le long de la « courbe en sourire », il faut une connaissance approfondie du marché et du consommateur, une marque reconnue sur le segment de clientèle visé, et des points de vente physiques ou virtuels sur les marchés identifiés. Sur les marchés d’exportation traditionnels, très peu d’entreprises ont les compétences, les savoir-faire et les réseaux de distribution requis. C’est pourquoi le Programme accompagne certaines d’entre elles dans le développement d’une offre propre, afin d’accroître la valeur économique dans la phase de postproduction, d’abord dans leur pays d’origine, puis dans la région.

Au Tadjikistan – l’un des premiers pays où a débuté le Programme –, les entreprises bénéficiaires font état d’exportations supplémentaires s’élevant à 18,6 millions de dollars depuis 2018, soit 15 % de l’emploi du secteur, et une augmentation salariale qui a atteint 10,5 % en 2019.

Le Programme encourage aussi la collaboration entre les entreprises, ce qui fait peu à peu évoluer les mentalités. En Tunisie, par exemple, les entreprises du secteur ont créé deux consortiums ; le premier regroupe les fabricants de lingerie pour leur permettre de mutualiser leurs achats de matières premières – ce qui s’est traduit par une baisse de 10 % du coût des intrants. L’autre consortium a mis sur pied une collection complète, en vue de sa présentation lors d’un prochain salon.

Le GTEX met aussi en avant une approche fondée sur le mentoring : des industriels bien établis parrainent des entreprises de taille plus modeste. Les « parrains » profitent ainsi de nouvelles opportunités de sous-traitance et bénéficient des mesures incitatives prévues par le Programme pour la création de liens économiques avec leurs « poulains ». Cette approche innovante, d’abord perçue comme difficile à mettre en œuvre, a montré sa pertinence lors de la crise liée à la Covid-19. Au Maroc et en Tunisie, certaines entreprises de plus grande taille, qui avaient accès aux équipements, aux matières et aux compétences nécessaires, ont ainsi pu encadrer des entreprises plus petites pour la fabrication de masques répondant aux normes  sanitaires.

UNE AMÉLIORATION DE L’ÉCOSYSTÈME INSTITUTIONNEL DU SECTEUR

Dans chaque pays, le Programme ne peut travailler en direct qu’avec un nombre limité d’entreprises individuelles. Il œuvre donc également au renforcement des capacités des institutions qui soutiennent le secteur du textile et de l’habillement.

Il s’engage au côté de ces institutions dans l’élaboration d’une feuille de route visant à améliorer les performances et à élargir leur offre de services aux entreprises. Les institutions universitaires et la formation continue sont également associées au secteur sur le long terme, par l’intermédiaire de partenariats renforcés. En Tunisie, par exemple, un partenariat a été mis en place entre l’association professionnelle du textile (FTTH) et une école de commerce, l’ESSECT. Il permet à des titulaires de masters et à des doctorants de collaborer avec des entreprises du secteur, avec lesquelles ils partagent ensuite les résultats de leurs recherches et analyses universitaires. De même, le Programme a facilité une collaboration entre la FTTH et l’École nationale d’ingénieurs de Monastir (ENIM) qui a permis de réorienter le diplôme d’« ingénieur en habillement », pour l’adapter à l’évolution des besoins industriels. Au Kirghizstan et au Tadjikistan, pour répondre aux besoins du secteur, les universités locales mettent sur pied des centres de formations spécialisés dans l’habillement, qui dispensent des enseignements théoriques et techniques.

Pour les pays de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, le Programme favorise également une coopération plus étroite sur le plan régional, dans la mesure où aucun des pays concernés (sauf l’Égypte, au moins en partie) ne dispose au niveau national d’une chaîne de valeur intégrée. Cette collaboration constitue néanmoins un défi, car les acteurs du marché régional se perçoivent davantage comme des concurrents que comme des partenaires. Au niveau des entreprises, cependant, le Programme a établi un certain nombre de liens prometteurs. Par exemple, une entreprise tunisienne a pu implanter des unités de production en Égypte, ce qui lui permet d’exporter ses produits en franchise de droits de douane vers le marché américain ; des entreprises tunisiennes et marocaines s’approvisionnent désormais en Égypte pour bénéficier du cumul régional et ainsi répondre aux exigences des « règles d’origine » de l’Union européenne sur la double transformation.

La pandémie, et les conséquences qu’elle a eues sur l’offre comme sur la demande, impacte bien entendu le Programme. Si ses objectifs doivent être ajustés, l’approche d’ensemble reste néanmoins parfaitement valable : elle traite les principales faiblesses du secteur du textile et de l’habillement et vise à rendre les fabricants plus compétitifs et plus résistants à ces chocs.
La crise oblige les entreprises, les marques et les détaillants à inventer de nouveaux processus innovants et à développer des partenariats. Le Programme incite notamment les entreprises à moderniser leurs modèles d’évaluation des coûts et de fixation des prix, afin de permettre à leurs clients de vendre leurs vêtements sans réduire fortement les prix.