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Dans les pays d’Afrique australe, la mauvaise gestion des pâturages détenus collectivement accroît la dégradation des terres, réduisant de ce fait la capacité de la nature à régénérer les prairies de façon à assurer la pérennité des cheptels et de la faune sauvage. Abandonnées à leur sort et dégradées, ces terres se transforment en friches faiblement pourvoyeuses de services écosystémiques, entraînant la paupérisation des populations concernées. Cette situation met en péril les efforts de préservation de l’environnement et le tourisme. La résolution de ces problèmes requiert une approche globale, intégrant des systèmes de pâture fondés sur les pratiques traditionnelles, les avancées scientifiques et les forces du marché.

L’élevage représente une part importante du PIB des pays d’Afrique méridionale, et il est bien entendu vital pour les familles qui en dépendent. Conscients de cette réalité, les spécialistes de la conservation de la nature se tournent de plus en plus souvent vers le secteur privé pour encourager de meilleures pratiques dans l’exploitation des terres de pâture. L’investissement privé dans les activités de conservation et de réhabilitation environnementale peut tout à fait être motivé par les résultats financiers. À travers un certain nombre d’intermédiaires, beaucoup d’acteurs du secteur privé achètent et transforment en effet du bétail et des produits de l’élevage issus de pâturages exploités collectivement par des communautés. Les spécialistes de la conservation de la nature peuvent ainsi démontrer aux agents de ce marché que, lorsque les « terres de parcours » sont correctement gérées, la productivité du bétail augmente, assurant un approvisionnement fluide et continu du marché. L’effet vertueux sur l’environnement se traduit ainsi directement en termes de bénéfices financiers.

 

COLLABORER LOCALEMENT AVEC LES COMMUNAUTÉS CONCERNÉES

Dans cette région, on rencontre de plus en plus d’exemples de réussite de l’implication du secteur privé dans la gestion durable des pâturages. C’est le cas par exemple à Umzimvubu, en Afrique du Sud – un bassin versant hydrographique majeur, extrêmement riche en biodiversité. Cette zone, exploitée depuis de longues années selon des pratiques d’élevage inadaptées et non durables, était fortement dégradée. Depuis 2015, la branche sud-africaine de Conservation International s’est associée à d’autres partenaires au sein du groupement Umzimvubu Catchment Partnership Platform, dans le but de travailler avec les communautés locales à une transition vers la gestion durable et raisonnée de leurs pâturages. Dans le cadre de ce partenariat, les communautés concernées s’engagent à adopter des systèmes de pâture planifiés pour assurer la restauration des sols, mais aussi à protéger les zones humides et à éliminer les espèces végétales envahissantes. En contrepartie, l’organisation à but non lucratif Meat Naturally organise des ventes de bétail pour les éleveurs respectueux de la charte. Elle se charge d’inviter des acheteurs à ces enchères, permettant ainsi à la communauté d’accéder au marché. En 2019, cette activité a atteint 715000 dollars de chiffre d’affaires, qui ont bénéficié à 1 398 familles, avec un effet incitatif sur la transition vers une gestion plus durable des terres pastorales : les zones humides sont en cours de restauration, avec une augmentation de la quantité et de la qualité des eaux. La prairie endémique se reconstitue peu à peu, et les espèces envahissantes d’acacias disparaissent. Ces efforts conduisent à une amélioration qualitative des terres et, par là-même, du bétail et des produits d’élevage.

À Umzimvubu, les ONG jouent un rôle essentiel dans l’organisation des communautés pastorales et les encouragent à respecter leurs engagements en matière d’environnement. Elles les aident aussi à accroître la productivité et à répondre aux exigences de qualité. Mais c’est le secteur privé qui est le véritable moteur du développement durable. Les ventes aux enchères permettent à des éleveurs jusqu’ici privés d’accès direct au marché de négocier de meilleurs prix, en évitant les  intermédiaires. Les accords de préservation fournissent de leur côté un cadre transparent à l’engagement des éleveurs. Ces derniers savent ce que l’on attend d’eux, et à quel soutien ils peuvent prétendre de la part de leurs partenaires de la société civile. Les acteurs du secteur privé y gagnent pour leur part des produits d’élevage de qualité, et l’assurance que la production respectera les pratiques environnementales durables. Les accords passés se fondent en outre sur une performance dûment  attestée.

 

ÉTABLISSEMENT DE CHAÎNES DE VALEUR FAVORABLES À LA BIODIVERSITÉ

Dans le sud-ouest du Ghana, l’ONG Noé soutient la mise en place de chaînes de valeur qui favorisent la biodiversité. Dans cette région, la forêt de Kwabre-Tanoé fournit aux communautés locales de nombreux services écosystémiques, et elle abrite une biodiversité exceptionnelle, notamment le cercopithèque de Roloway (Cercopithecus roloway), l’une des vingt-cinq espèces de primates les plus menacées au monde. Pour protéger cet habitat naturel menacé par la déforestation et le braconnage, un accord de conservation a été signé localement entre l’organisation civile Ankasa-Tano Community Resource Management Area (CREMA) et la Savannah Fruit Company, un négociant en huile de coco. Aux termes de cet accord, la communauté s’engage en faveur de la préservation de la forêt, via la surveillance des écosystèmes, la reforestation et le respect des normes de certification biologique. En contrepartie, la Savannah Fruits Company lui apporte son soutien technique, s’engage à acheter les noix de coco aux exploitants à un prix équitable, assorti d’une prime, et verse 1 pesewa par noix de coco vendue au Community Conservation Fund. Cela représente une dotation de 5 500 dollars par an pour ce fonds local de protection de l’environnement, qui lui permet de s’autofinancer.

En 2015, Conservation International a lancé l’initiative CAPPP (Conservation Agreements Private Partnership Platform), visant à accélérer la contribution du secteur privé à la préservation de la biodiversité et au maintien des services écosystémiques sur les sites naturels importants. Avec l’appui du Earth Fund du GEF (Fonds pour l’environnement mondial), et en collaboration avec le Programme des Nations unies pour l’environnement – organisme d’exécution –, la CAPPP s’est employée à nouer des partenariats mutuellement avantageux entre le secteur privé d’une part et, d’autre part, les communautés locales et les propriétaires fonciers, qui s’engageaient à préserver la biodiversité, limiter la dégradation des terres, soutenir les réglementations environnementales et promouvoir la gestion durable des ressources naturelles. Cinq ans plus tard, en 2020, une superficie totale de 1,2 million d’hectares, abritant une très forte biodiversité et s’étendant sur neuf pays, faisait l’objet d’accords de préservation sous l’égide de la CAPPP. Dans le prolongement de cette démarche, l’AFD (Agence française de développement) a financé l’initiative « Pro-nature Enterprises for the People of Southern Africa ». En partenariat avec Conservation International et des ONG locales, cette collaboration continuera de rechercher l’appui du secteur privé, avec pour objectif la protection d’un million d’hectares de zones transfrontalières essentielles en Afrique australe. Dans ce dispositif d’amélioration des pâtures, les communautés concernées bénéficient, au niveau de l’offre, de la mise en place de relations commerciales privilégiées avec des acteurs privés du tourisme, de l’élevage et de secteurs qui leur sont rattachés. Ces communautés s’engagent à améliorer les conditions de coexistence entre les humains, la faune et la flore, ainsi qu’à une gestion durable de leurs pâturages, par le recours à des pratiques d’élevage culturellement et climatiquement adaptées.

 

CONCLUSION

Il existe aujourd’hui une impérieuse nécessité en même temps qu’une opportunité de faire évoluer les activités économiques dans certaines zones essentielles au maintien de la biodiversité. L’enjeu est de passer de la dégradation à la défense de l’environnement, selon une approche fondée sur le marché. En collaboration avec la société civile, le secteur privé a les moyens de jouer un rôle moteur dans cette évolution. Les perturbations économiques engendrées par l’épidémie de Covid-19 sont aussi une opportunité de remettre à plat les engagements pris par les acteurs du secteur privé, les communautés productrices et la société civile, afin de bâtir des modèles de production plus respectueux de l’écologie, qui bénéficieront aux communautés en phase de rétablissement, en même temps qu’à la nature dont elles dépendent.

Amos Thiongo

Directeur régional de Conservation Finance Afrique
Conservation international

Parcours

Amos Thiongo travaille pour Conservation International (CI) au Kenya, d’où il supervise les accords de protection de l’environnement passés par CI dans toute l’Afrique. Son travail consiste à concevoir avant tout sur des solutions de gestion durable des ressources naturelles impliquant une collaboration entre les communautés concernées, le secteur privé et la société civile.

Conservation international

Depuis plus de 30 ans, Conservation International (CI) travaille à mettre en lumière et à préserver tous les bienfaits que la nature apporte aux sociétés humaines. En associant le travail de terrain à l’innovation scientifique, politique et financière, CI a contribué à la protection de plus de 6 millions de kilomètres carrés d’étendues terrestres et maritimes, dans plus de 70 pays. À ce jour, avec des bureaux implantés dans près de 30 pays et un réseau de plusieurs milliers de partenaires tout autour du globe, son rayon d’action est véritablement mondial. https://www.conservation.org/

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