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La réalisation des Objectifs de développement durable (ODD) a été freinée par la crise consécutive à l’épidémie de Covid-19, laquelle a entraîné une augmentation de la pauvreté et des inégalités. Des efforts supplémentaires pour s’adapter au changement climatique sont donc nécessaires pour « reconstruire en mieux » et rendre les économies plus vertes. Selon Idsert Boersma, le recours au financement mixte, qui permet de stimuler les investissements du secteur privé, pourrait être la clé pour atteindre les ODD.

SP&D : VOUS PRÉCONISEZ UN RECOURS À LA FINANCE MIXTE. COMMENT CETTE SOLUTION PEUT-ELLE ÊTRE MISE EN ŒUVRE ?

Idsert Boersma : Il faut agir de façon stratégique. Les étapes doivent être bien conçues, en tenant compte des risques spécifiques perçus par le secteur privé. Il y a énormément d’argent dans le secteur privé, beaucoup moins dans les secteurs public et philanthropique. L’objectif est d’utiliser une partie des fonds publics pour mobiliser une grande quantité de fonds privés. Il faudra beaucoup de temps pour y parvenir, et nous devons faire très attention à ne pas gaspiller l’argent des contribuables. Le financement mixte ne peut être utilisé que lorsqu’il est vraiment nécessaire, et la contribution des gouvernements ne doit être que temporaire.

 

POUVEZ-VOUS DONNER UN EXEMPLE DE PROJET DE FINANCEMENT MIXTE QUI RÉPOND À CES CRITÈRES ?

Examinons un projet d’adaptation au climat. Comment pouvons-nous vivre et protéger les moyens de subsistance des populations si leur environnement est impacté par le changement climatique ? Au sein du Dutch Fund for Climate and Development (DFCD), un fonds auquel FMO collabore avec deux ONG, SNV et WWF, ainsi qu’avec Climate Funds Managers, un projet est en cours d’élaboration au Vietnam, dans le delta du Mékong, où vivent 17 millions de personnes. Il s’agit de l’un des écosystèmes les plus productifs du monde et, en même temps, de l’une des régions les plus vulnérables aux catastrophes liées à l’eau et au climat. L’érosion du lit du fleuve accroît l’intrusion d’eau salée, qu’on retrouve par endroits jusqu’à 130 km à l’intérieur des terres. Cette eau salée affecte la fertilité des sols et empoisonne les cultures. Au départ, les agriculteurs pratiquaient une monoculture intensive de riz sur une partie de leurs terres et de crevettes sur l’autre. Pour créer un paysage capable de résister au changement climatique, le projet de riziculture et d’aquaculture intégrées dans le delta du Mékong comprend des bassins d’aquaculture mixtes de riz et de crevettes. Ces bassins produisent du riz et des crevettes d’eau douce pendant la saison des pluies, puis des crevettes d’eau saumâtre pendant la saison sèche et les périodes d’intrusion d’eau salée. L’avantage de ce système est que les crevettes fournissent les nutriments nécessaires à la croissance du riz. Le revenu des agriculteurs a doublé. Il s’agit d’un projet relativement modeste (150 000 dollars), mais si les effets positifs se poursuivent, nous multiplierons ce montant par 100, grâce à un financement mixte. Quand l’effet est démontré, d’autres acteurs peuvent suivre, et l’impact devient alors exponentiel.

 

QUEL IMPACT LA FINANCE MIXTE POURRAIT-ELLE AVOIR SI ELLE ÉTAIT UTILISÉE À GRANDE ÉCHELLE ?

Si nous nous y prenons bien, elle peut apporter de vraies solutions. Elle pourrait devenir un outil puissant pour atteindre les ODD. Mais elle reste pour l’instant limitée. C’est à nous de montrer qu’elle fonctionne ; alors les « gros sous » commenceront à circuler à New York et à Londres. La finance mixte requiert des compétences que nous devons développer ensemble.

 

COMMENT LIBÉRER TOUT LE POTENTIEL DE LA FINANCE MIXTE ?

Quelques tendances actuelles pourraient être adaptées à la finance mixte et contribuer à l’accélérer. Tout d’abord, il y a le taux d’intérêt faible : les gens veulent investir pour gagner un peu d’argent, tout en ayant un impact. Le secteur du financement du développement est en train de réaliser qu’il doit collaborer avec le secteur privé dans ce contexte. Le secteur privé ne sait pas encore très bien travailler avec les gouvernements, même s’il existe de nombreuses possibilités d’utiliser les forces de chacun. Les technologies utilisées par les entreprises de la fintech et de l’agritech offrent de nouvelles possibilités d’atteindre des personnes qui étaient peu accessibles. Les investisseurs sont à la recherche d’opportunités ; il y a une volonté de travailler ensemble ; et de nouvelles possibilités apparaissent grâce à la technologie.

 

COMMENT LE MODÈLE PEUT-IL ÊTRE TRANSPOSÉ À PLUS GRANDE ÉCHELLE ?

Il faut montrer aux investisseurs commerciaux ce qui a été déjà accompli. Il doit y avoir un historique de rendement et d’impact. Pour y parvenir, il faut utiliser une « architecture » ouverte à tous, montrant ce que nous faisons et comment nous le faisons, et inviter tout le monde à nous rejoindre. Cette structure n’est pas fondée sur la concurrence mais sur la coopération. Nous montrons, d’autres copient, améliorent le modèle. Nous apprenons tous, et le monde en bénéficie. La finance mixte offre la possibilité d’agir ensemble, de manière transformatrice.

 

QUE PEUVENT FAIRE LES IFD POUR TIRER PARTI DU POTENTIEL DES EFFORTS DE REDRESSEMENT DE L’APRÈS-COVID ?

La plupart des investisseurs considèrent qu’il est aussi risqué de « s’engager » dans le capital-investissement sur les marchés émergents que « d’en sortir ». L’absence d’un marché secondaire d’actions qui fonctionne bien pour la sortie des investissements est une défaillance évidente du marché, ce qui dissuade les investisseurs de s’aventurer sur les marchés émergents (en particulier en Afrique). Une innovation en matière de financement mixte, établissant une plateforme d’actions sur le marché secondaire ouverte à toutes les IFD et banques multilatérales de développement (BMD), correspondrait à l’objectif de la « Team Europe » de la Commission d’investir dans les jeunes entreprises en Afrique. Au fil du temps, des acteurs du secteur privé pourraient également s’y joindre.

Idsert Boersma

Directeur des partenariats pour l’impact (P4i)
FMO

Parcours

Idsert Boersma est le directeur des partenariats pour l’impact (P4i) à la FMO. Avant de diriger P4i, il a occupé plusieurs postes de direction au sein de la société néerlandaise de financement du développement, dont celui de directeur des affaires juridiques. Avant de rejoindre la FMO en 2008, Idsert Boersma a travaillé pour la Banque mondiale et au ministère néerlandais des Finances. Il est titulaire d’une maîtrise en sciences de l’administration des affaires et d’une maîtrise en droit de l’université Erasmus de Rotterdam.

FMO

La FMO est la banque internationale de financement du secteur privé des Pays-Bas. En tant qu’investisseur à impact de premier plan, elle soutient depuis près de cinquante ans la croissance durable du secteur privé dans les pays en développement et les marchés émergents. La FMO est convaincue qu’un secteur privé solide est un facteur de développement économique et social. Elle se concentre sur trois secteurs qui présentent un fort impact sur le développement : les institutions financières ; l’énergie ; l’agroalimentaire, l’alimentation et l’eau. Avec un portefeuille de 12,5 milliards d’euros engagés dans plus de 85 pays, la FMO est l’une des plus grandes banques bilatérales de développement du secteur privé au monde.

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