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Pendant la pandémie de Covid-19, de nombreuses activités et services du quotidien – travail, santé, éducation, achats… – se sont poursuivis grâce à leur basculement en ligne. Cette situation a mis en lumière le rôle clé des infrastructures numériques dans le maintien de l’économie. Les investisseurs commerciaux restent cependant réticents à s’engager dans l’écosystème digital, dont ils considèrent qu’il dépasse leur seuil de tolérance au risque. Cela fait des acteurs du numérique d’excellents candidats pour un financement par les IFD. Ces dernières peuvent aussi attirer des capitaux privés, pour un impact accru sur le développement.

Dans les pays développés, le transfert vers internet semble depuis longtemps inéluctable pour beaucoup d’activités, mais le rythme des change­ments s’est accéléré sous l’effet de la pandémie. Ces deux dernières années, une bonne partie de notre activité quotidienne est passée en ligne. Des réunions de travail aux rendez-vous médicaux en passant par les courses alimentaires, notre façon d’accéder aux produits et services a radi­calement évolué. On estime désormais que le trafic mondial dépassera cette année l’ensemble des flux cumulés entre la création du Web et l'année 2016. Pour les pays en développement, cette trajec­toire numérique est cependant moins clairement tracée. Plus du tiers de la population mondiale n’a jamais utilisé internet. L’Union internatio­nale des télécommunications (UIT), agence de l’ONU, estime que 96 % de ces non-utilisateurs se trouvent dans des pays en développement. Au sein même de chaque pays, il existe en outre des différences importantes entre les usages rural et urbain, et entre les hommes et les femmes, les écarts les plus importants étant constatés dans les pays les moins développés. Nous savons pourtant aujourd’hui que la connectivité peut transformer la vie des populations. L’accès à un internet abordable et de bonne qualité est indispensable au développement, à la fois pour renforcer la croissance des entreprises et des économies locales, et pour accroître l’accès aux soins, à l’éducation, aux services financiers et aux services publics. Pour élargir la connectivité à internet, les défis restent cependant de taille. On estime à 100 milliards de dollars les investissements nécessaires, rien qu’en Afrique, pour généra­liser l’accès à l’internet haut débit d’ici 2030. Les institutions de financement du développement (IFD) ont un rôle à jouer pour relever ce défi. La capacité et la volonté des IFD d’investir sur les marchés émergents ont démontré que cela permettait de débloquer des investissements supplémentaires. Les domaines clés dans lesquels les IFD sont à même d’accélérer l’investissement dans le numérique sont au nombre de trois : les infrastructures, les start-up et les activités digitales de rupture.  
 

En Afrique, le numérique pourrait atteindre 5,2% du PIB d'ici 2025

C’est sur les infrastructures que repose la crois­sance de toute économie numérique. Un rapport conjoint de Google et de la Société financière internationale (SFI) estime que l’économie numé­rique a le potentiel d’atteindre 5,2 % du PIB du continent africain d’ici 2025, ce qui représenterait une contribution de 180 milliards de dollars à son économie. D’ici 2050, celle-ci pourrait être portée à 712 milliards de dollars pour l’ensemble de l’Afrique. Des entreprises comme Liquid Intelligent Technologies (ex-Liquid Telecom) – le plus grand prestataire indépendant de technologies de fibre optique, de cloud et de data centers en Afrique – amènent l’internet à haut débit dans des endroits isolés et les moins connectés du continent. À ce jour, Liquid Intelligent Tech­nologies a déployé plus de 100 000 kilomètres de fibre optique sur tout le continent africain, y compris dans des zones reculées de pays comme la République démocratique du Congo (RDC), qui ne dispose pas d’un accès internet abordable et fiable. Grâce à leurs investissements dans des sociétés d’infrastructures numériques de ce type, les IFD sont susceptibles de catalyser les investissements de tout le secteur privé, et d’ouvrir la voie à la croissance économique. Du fait de la réussite de son modèle, Liquid Intelligent Technologies est par exemple devenu le principal partenaire africain de géants améri­cains du numérique, dont Microsoft, Google et Facebook. Un refinancement obligataire et une émission de dette ont récemment permis à cette entreprise de lever 800 millions de dollars, à des taux qui étaient parmi les plus bas constatés sur les marchés émergents.

Grâce à leurs investissements dans des sociétés d’infrastructures numériques de ce type, les IFD sont susceptibles de catalyser les investissements de tout le secteur privé, et d’ouvrir la voie à la croissance économique.
 

Rôle crucial des NTIC pour fournir des biens et services essentiels

Ces deux dernières années, la croissance des entreprises digitally native (nées du numérique) et digitally enabled (activées par le numérique) s’est révélée cruciale pour continuer à fournir des biens et services essentiels durant la pandémie, mais aussi pour assurer que d’autres entreprises puissent poursuivre leurs activités via le tra­vail à distance. L’OCDE estime notamment que plus de 500 entreprises africaines proposent des innovations technologiques dans les services financiers sur l’ensemble du continent. Parmi les entreprises digitally native, la société indienne iMerit Technology, spécialisée dans l’intelligence artificielle, emploie 3 000 personnes en Inde et au Bhoutan. Ses services d’étique­tage de données permettent d’entraîner les algorithmes d’intelligence artificielle, qui sont ensuite utilisés dans de nombreux domaines, de l’imagerie médicale à la prévention des risques d’inondation. Pourtant, malgré la nature des activités de l’entreprise, ses salariés ont dû eux aussi s’habituer, pendant la pandémie, à travailler depuis leur domicile, avec le soutien de leurs équipes dirigeantes. Les entreprises digitally enabled, en revanche, ont recours à la technologie numérique pour améliorer les produits et services qu’elles four­nissent, afin de les rendre plus efficaces ou plus accessibles. Nous avons vu ces entreprises prospé­rer ces deux dernières années parce que certains services essentiels comme l’enseignement et la santé ont migré vers internet pendant la pandé­mie. En Inde par exemple, la société LoadShare utilise la technologie numérique pour fédérer les petites et moyennes entreprises de logistique au sein d’un même réseau national. Ce dernier leur assure, malgré leur taille modeste, un meilleur accès au marché, ce qui dynamise leur croissance et la création d’emplois. En investissant dans ce type d’entreprises, les institutions de financement du développe­ment peuvent avoir un impact mesurable, qui passe par l’amélioration de l’accès aux biens et services de communautés souvent marginalisées.  
 

Des solutions innovantes pour relever les défis du développement

Les entreprises dites « disruptives » utilisent les technologies numériques pour relever direc­tement certains défis du développement, par exemple en améliorant l’accès des exploitants agricoles au financement ou aux outils de rési­lience climatique. Ces entreprises présentent en général un risque significatif, et sont créées par des entre­preneurs qui ont besoin de capitaux extérieurs pour monter en puissance. Parce que les IFD, adossées à des États, ont plus que d’autres inves­tisseurs la capacité de prendre des risques, et qu’elles peuvent proposer aux entreprises qu’elles financent un accompagnement en complément des fonds apportés, elles sont particulièrement bien adaptées à cette configuration. C’est ce qu’illustre le cas de CropIn, une société installée en Inde et spécialisée dans les logiciels desti­nés à l’agriculture. L’entreprise développe une approche pionnière en matière de résilience des petites exploitations agricoles au changement climatique. Elle utilise pour cela des technolo­gies telles que l’imagerie satellite, l’intelligence artificielle et l’apprentissage machine pour monitorer la croissance des cultures, produire des données météorologiques, établir des pré­visions de rendement agricole et transmettre tous ces éléments aux exploitants. Ainsi dotés d’informations adaptées, les agriculteurs peuvent affronter plus efficacement les effets du chan­gement climatique. Des études ont montré une amélioration de la résilience climatique dans 92 % des exploitations en moyenne, et ce dès la première année d’utilisation de la technolo­gie CropIn. S’il présente un risque initial, l’in­vestissement dans des entreprises de rupture a ainsi également le potentiel de transformer radicalement les marchés et de déployer des solutions innovantes pour relever les défis du développement.

À mesure que notre monde accélère sa migration vers les activités en ligne, le numérique n’est plus seulement le résultat du développement, mais aussi un outil pour y parvenir.

 

Le numérique souffre d'un déficit de financement majeur

C’est sur l’ensemble du secteur du numérique – des grandes infrastructures aux entreprises en phase de démarrage – que l’investissement peut contribuer à changer la vie des populations, par la mise en œuvre de solutions digitales répondant à certains défis de développement jusqu’ici dif­ficilement surmontables. Mais le secteur souffre d’un déficit de financement majeur. Il est donc essentiel qu’un large éventail d’acteurs puissent pleinement tenir leur rôle, des investisseurs institutionnels aux investisseurs d’impact en passant par les IFD et les entités multilatérales de développement. Le déficit de financement constaté actuelle­ment existe pour plusieurs raisons. Les investis­seurs commerciaux préfèrent les modèles déjà éprouvés et les entreprises bien établies. Or, lorsqu’il s’agit de surmonter les obstacles et le manque d’infrastructures, notamment électriques, les économies en développement ont souvent besoin de modèles inédits. Les investisseurs commerciaux se montrent donc réticents à financer ces modèles novateurs. Les investisseurs d’impact, qui poursuivent l’objectif de produire des bénéfices sociaux et environnementaux en même temps qu’un rendement financier, auraient donc un rôle à jouer, en particulier au niveau des investissements en capital souvent lourds dont le secteur numérique a besoin. Le Global Impact Investing Network (GIIN) estime pourtant que seulement 3 % des investis­sements d’impact dans les économies émergentes concernent le secteur des NTIC. Cela résulte d’un certain nombre d’idées fausses. Tout d’abord, en dépit de l’omniprésence actuelle d’internet, les investisseurs d’impact (notamment) consi­dèrent encore – à tort – que les infrastructures numériques ne sont pas aussi indispensables au développement que celles de secteurs tradition­nels comme l’énergie ou les services financiers. Ce n’est pas le cas. Les infrastructures numé­riques sont un élément constitutif des écono­mies modernes, et il a été démontré qu’elles stimulent la croissance des entreprises et de l’économie. À ce titre, elles sont donc indis­pensables à un développement pérenne. Cet aspect a été encore renforcé par deux ans de pandémie, durant lesquels les infrastructures numériques ont permis de soutenir les écono­mies. Deuxièmement, il existe une croyance répandue que les besoins de financement des entreprises ou infrastructures numériques sont satisfaits par le secteur privé, et qu’elles peuvent donc se passer des investissements d’impact. Or les entreprises disruptives constituent une part importante de l’économie numérique, et elles nécessitent un capital d’amorçage qui, dans les marchés émergents, est souvent apporté par les investisseurs d’impact.  
 

Les IFD ouvrent la voie à d'autres investisseurs

Pour les IFD, il existe des opportunités d’inves­tissement dans les trois catégories : infrastruc­tures numériques, entreprises « nées du » ou « activées par » le numérique, et entreprises de rupture. En termes d’approche, ce qui distingue ces trois groupes, c’est le niveau de risque – les infrastructures numériques tendant à présenter le profil le moins risqué. Cela signifie que les infrastructures et la plupart des entreprises du secteur digital sont bien adaptées au financement par les IFD, en dette comme en capital, tandis que la nature fondamentalement expérimen­tale des entreprises numériques disruptives en fait de bons candidats pour l’investissement en capital. Les financements concessionnels ou par subvention sont importants également, et ont leur rôle à jouer dans les trois catégories pour optimiser l’impact sur le développement. Ils peuvent être octroyés par diverses institu­tions, parmi lesquelles les IFD et les fondations philanthropiques, afin de soutenir des entre­prises développant des solutions digitales à fort potentiel d’impact, mais situées en dehors du champ d’application du capital remboursable. L'épidémie de Covid-19 a encore renforcé le besoin de ce type de financements, en raison du rôle crucial qu’a tenu la numérisation de l’éco­nomie dans l’accès aux biens et services, et parce qu’elle a eu des effets directs sur l’amélioration de la vie de tous les jours. Dans le secteur de la santé par exemple, le numérique a permis de mettre à disposition des outils d’autodia­gnostic et un accès à la télémédecine, tous deux nécessaires dans le contexte d’une limitation des contacts humains. Cela a également impliqué un accompagnement technique lorsqu’il s’est agi par exemple de financer le déploiement d’une plateforme de rendez-vous médicaux à distance, ou le lancement d’une application permettant de reconnaître les symptômes de la Covid-19. En résumé, la pandémie a mis en lumière de façon très crue les inégalités à l’échelle mondiale, mais elle a aussi permis d’identifier des voies de développement. La transformation numérique de l’économie apporte une solution à certains des défis du développement auxquels nous sommes confrontés, notamment en matière de santé et d’éducation. À mesure que notre monde accélère sa migration vers les activités en ligne, le numérique n’est plus seulement le résultat du développement, mais aussi un outil pour y parvenir. En investis­sant sur tout le spectre de l’économie digitale, les IFD sont ainsi en mesure non seulement de démultiplier l’impact en termes de développement, mais aussi de créer des opportunités ouvrant la voie à d’autres investisseurs.

Abhinav Sinha

Directeur général et responsable Technologies et télécoms
British International Investment

Parcours

Depuis qu’il a rejoint British International Investment (BII, anciennement CDC Group) en 2018, Abhinav Sinha a pris la responsabilité de quelques-uns des investissements les plus importants du groupe, parmi lesquels Liquid Intelligent Technologies, le plus grand fournisseur indépendant de services pour le cloud et la fibre optique en Afrique, ou encore Safaricom Ethiopia, premier réseau mobile privé d’Éthiopie. Avant de rejoindre BII, Abhinav Sinha était associé chez Fidelity Growth Partners, où il était chargé de la construction du portefeuille dans l’industrie et les télécommunications.

British International Investment

British International Investment (BII, anciennement CDC Group) est l’institution de financement du développement du Royaume-Uni. Sa mission est de contribuer à relever les plus grands défis mondiaux en matière de développement via l’investissement d’un capital flexible et de long terme destiné à soutenir la croissance et l’innovation du secteur privé. Depuis plus de soixante-dix ans, l’organisation apporte un soutien efficace à la croissance durable et pérenne des entreprises en Asie et en Afrique. Plus récemment, elle a étendu ses activités d’investissements à l’espace indopacifique et à la zone Caraïbe. BII occupe une place centrale dans l’offre de financements internationaux du Royaume-Uni, afin d’aider les pays émergents et en développement à satisfaire leurs importants besoins de financement, au niveau des entreprises comme en matière d’infrastructures.

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